reden.arpa-docs.ch Rektorats Reden © Prof. Schwinges
Textbreite
Schriftgröße
Kapitel 

DISCOURS DE M. FRANK OLIVIER

Recteur sortant de charge.

MONSIEUR LE CHEF DU DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, MONSIEUR LE RECTEUR, MESSIEURS LES PROFESSEURS ET LES ETUDIANTS, MESDAMES, MESSIEURS,

Au moment de remettre officiellement à mon successeur le mandat que vous m'aviez confié, les premières paroles qui conviennent sont de reconnaissance. De reconnaissance pour vous, Monsieur le conseiller d'Etat, car vous m'avez donné l'inestimable appui d'une bienveillance qui ne s'est jamais démentie; pour vous, Messieurs les doyens et directeurs, dont l'aide toujours prête et souvent spontanément offerte m'a seule permis d'accomplir un travail qui menaça parfois de dégénérer en un pénible labeur; pour vous, mon, cher collègue, qui voulûtes bien assumer au pied levé les fonctions de chancelier de l'Université et dont l'active et bienfaisante collaboration m'a été infiniment précieuse. Permettez-moi enfin, Messieurs et très honorés collègues, de vous remercier de la confiance que vous m'avez faite et que je vous serais reconnaissant de bien vouloir me continuer, au moment où je redeviens chancelier de l'Université.

Mais celui qui a le privilège de vous faire ses remerciements a trop nettement eu conscience et des difficultés de l'heure présente, et surtout des hauts devoirs de sa charge, pour ne pas se rendre compte que souvent il n'a pas répondu à ce qu'on attendait de lui,. Il vous prie de bien

vouloir l'en excuser, certain que son successeur, auquel il a l'honneur de présenter ses voeux de bienvenue, saura mieux faire que lui et sans doute profiter d'erreurs que celui qui les a commises est te premier à déplorer.

Peut-être sera-t-il permis d'en chercher la principale cause dans les nombreux et difficiles problèmes que la guerre, avec ses conséquences, nous a forcés à examiner et souvent à résoudre à la hâte. Un des plus graves, et d'ailleurs les derniers à être abordé, fut sans doute celui des traitements. La loi sur les pensions de retraite et d'invalidité est venue, peu après, compléter la première. Nous remercions 1'Etat de ce qu'il a fait pour donner à ces deux problèmes une solution équitable et généreuse.

D'autres surgissent sans cesse ou prennent un aspect nouveau; ils sont posés soit par nos relations avec l'étranger, soit par notre vie intérieure. La guerre a déplacé l'axe du monde spirituel et mis en question nombre de valeurs qui paraissaient stables; de nouveaux groupements nationaux se sont formés. Comment améliorer nos relations avec les nations les plus proches de nous par leurs traditions et leur idéal; comment en nouer avec les dernières venues? Après bien des tâtonnements, iii semble que nous ayons quelque chance de nous entendre sur un petit nombre de points avec la France; que nous en ayons beaucoup d'obtenir des garanties de réciprocité vraiment utiles avec la Belgique; et qu'enfin nous arrivions un jour au même résultat avec l'italie, notre plus proche voisine et, jusqu'ici, la plus négligée. Pour l'Angleterre, plus éloignée et surtout plus distante, il sera probablement difficile de faire plus que nous ne faisions déjà, mais nous pourrons perfectionner à son usage notre brevet spécial de français.

D'ailleurs, pour ma part, j'estime heureux que la concurrence ait si promptement dissipé les mirages fantastiques de la première heure et réduit les espoirs chimériques à leur réelle mesure. Nous savons déjà mieux où diriger nos efforts; nous comprenons combien de temps sera nécessaire pour amener la conclusion d'accords durables;

nous sentons combien il y faudra de doigté. Mais aussi, nous sommes certains que nous pourrons facilement devenir ou redevenir un foyer de culture latine pour un certain nombre de nations de l'Europe centrale; actuellement, seul notre change meurtrier empêche la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie de nous envoyer leur jeunesse. Malgré les circonstances défavorables à l'extrême, nous avons pu recevoir une très intéressante clientèle égyptienne, qui nous prouve par son excellent travail qu'elle apprécie ce que nous pouvons lui offrir. Nous avons été amenés ainsi à étudier l'organisation d'examens d'accès à l'Université, réservés aux ressortissants de pays où l'enseignement secondaire est moins développé ou administré autrement que chez nous. Ces facilités d'accès existent d'ailleurs, et la France, par exemple, les a étrangement étendues; sans les exagérer, il serait absurde d'en méconnaître l'utilité. Ouvrir plus libéralement la porte d'entrée mais ne rien rabattre de nos légitimes exigences pour les examens de fin d'études: tel est le principe auquel nous cherchons à adapter notre pratique.

Mais l'intérêt que nous portons à la clientèle étrangère sérieuse, et qui n'est en dernière analyse que le souci du bon renom de notre pays, ne saurait nous faire oublier nos Confédérés. Depuis quelques années, un nombre respectable et croissant de jeunes Suisses allemands viennent faire quelques semestres dans la Suisse française, et je suis heureux de constater que notre Université les attire et les retient tout autant et même plus que tel autre en Suisse romande: c'est un encouragement, c'est aussi une responsabilité que nous assumons.

Ici nous touchons à ce qui est proprement de notre vie intérieure; et c'est dans ce domaine, naturellement, que surgissent les questions les plus nombreuses, les plus attachantes, parfois même les plus troublantes. Qui ne voit que pour faire rayonner notre influence et attirer à nous

la jeunesse, il faut que notre vie spirituelle et scientifique soit active, saine et forte? D'un mot: il faut que notre Université soit un foyer constamment renouvelé d'énergie. Empruntant à un géomètre sa définition, j'entends par énergie «le travail et toutes les quantités qui résultent de sa transformation, ou qui peuvent, par leur transformation, produire du travail».

Or, j'ose dire, messieurs, que notre effort, depuis la fin de la guerre et en raison précisément des énormes difficultés qu'elle a engendrées, a constamment et consciemment tendu à accumuler et à faire valoir le plus d'énergie possible, avec un minimum de pertes. Réduction des dépenses pour une plus forte production, tel a été notre invariable et constant souci. Il convient d'affirmer nettement. à l'heure où cette formule jouit d'une faveur méritée par sa relative nouveauté, que nous l'appliquions à l'Université depuis des années, et de rappeler que nous y faisions déjà tous nos efforts, lorsque la plupart d'entre nous étaient aux prises avec de très graves difficultés financières.

Mais tout organisme vivant est exposé à des invasions parasitaires ou à des développements anormaux. Peut-être le contraste brutal entre le rapide accroissement de notre prospérité, dans les dernières années d'avant-guerre, et le déséquilibre universel produit par le cataclysme de la guerre, a-t-il été la principale raison de certaines erreurs. Peu importe d'ailleurs ici. Les avoir reconnues spontanément n'est probablement pas un mérite; y avoir promptement cherché des remèdes n'en a pas davantage la prétention. Mais nous tenons à remercier le Département de l'instruction publique de l'appui qu'il nous a donné, lorsqu'il s'est agi de réprimer un abus ou de réorganiser tel ou tel service, et nous le prions de bien vouloir nous le continuer.

Car ce qu'il importe avant tout, c'est de produire du bon travail en s'accommodant aux conditions toujours changeantes de la vie. On commettrait en effet une grave erreur à ne voir dans l'Université que la gardienne rigide

d'une invariable tradition. Si elle limitait là son idéal et y réduisait son effort, elle aurait, du même coup, prononcé sa propre condamnation. Le jour où elle n'aurait plus l'instinct profond de se renouveler, sans renier les inspirations de son passé — je ne dis pas: où elle n'aurait plus le goût du progrès, dédaignant user d'un mot qui prétend à couvrir tout et le plus souvent ne signifie rien, — ce jour-là, l'Université aurait cessé de vivre. Et je ne pense pas seulement à la nôtre, mais à cette catholique université, que je tiens pour une des plus nobles créations de l'esprit humain et qui compte déjà, dans ses quelques millénaires de pensée, un certain nombre de triomphes sur la barbarie d'où nous commençons à nous dégager. Ce besoin de renouvellement dans la pérennité, messieurs, il est certain que nous l'avons rarement aussi profondément éprouvé et plus diligemment cherché à satisfaire. Il n'est pas une Faculté ou Ecole à l'Université de Lausanne qui n'en montre les signes. La création d'instituts de travail et l'organisation de conférences et d'exercices pratiques, surtout dans les Facultés qui en étaient démunies jusqu'à ces toutes dernières années, n'en est qu'un des effets, mais un des plus heureux. Et qu'on nous permette de remarquer qu'il n'en a rien coûté à l'Etat, et que cela réclame des professeurs un don de soi-même et une préparation souvent supérieure à ce qu'exige un cours magistral. Quand je me reporte aux temps déjà lointains où je faisais mes études, et que je compare les aides et les moyens de travail dont jouit maintenant tout étudiant avec ceux que nous avions, je trouve que la jeunesse d'aujourd'hui a bien de la chance, et ce n'est pas moi qui m'amuserais à soutenir que le passé nous paraît toujours plus beau pie le présent. Il est certain que la limite d'âge à l'activité professorale, fixée sur notre demande à soixante-dix ans; que la réorganisation de certaines écoles, entreprise spontanément; que la refonte générale des programmes; que les conférences organisées par l'extension ou par d'autres oeuvres universitaires révèlent toutes la même recherche de travail utile;

et, si l'on compare l'Université d'aujourd'hui avec celle d'il y a quelque 15 ou 20 ans, on conviendra que jamais peut-être elle n'eut plus pressant le souci de sa mission, et, plus claire, ta conscience de ses devoirs. Mettons que cela n'ait rien que de naturel, encore reste-t-il que nous pouvons ici marquer une avance; et l'on m'accordera qu'en une génération — car c'est le temps qui s'est écoulé depuis sa reconstitution — notre Haute Ecole s'est complètement transformée et a donné des preuves décisives de sa vitalité et de son utilité pour lia patrie vaudoise. Oserais-je ajouter qu'elle l'a fait avec des dépenses relativement faibles, comme peut s'en rendre aisément compte toute personne capable de lire un budget ou des comptes d'Etat, et qu'il y aurait une véritable injustice —peut-être l'a-t-on fait? -— à soutenir le contraire?

Permettez-moi enfin, Messieurs, quelques mots où, si brefs soient-ils, je vous prie de voir non un acte de foi, mais bien une conviction raisonnée, qui s'est lentement formée et que je crois essentiellement juste. Depuis quelque temps, on entend parfois suggérer qu'en répartissant sur trois cantons romands les services d'une Université unique on trouverait la vraie solution financière; des autres aspects de la question, on ne parle guère ou pas du tout. On nous fera l'honneur de croire que nous n'avons pas attendu à ce jour pour l'envisager et la poser; et des années de réflexion nous ont convaincu que cette solution n'est ni juste, ni élégante, ni désirable ou même possible. Je ne parie pas des difficultés de réalisation, que la bonne volonté générale pourrait tout au plus atténuer. Mais, du point de vue financier, je crois facile de montrer qu'un pareil essai coûterait, immédiatement et par répercussion, exactement aussi cher, pour un moindre rendement. Du point de vue social, je ne puis concevoir (pour ne citer que ceux-là) que les pasteurs de notre peuple, ses avocats et ses magistrats, et les maîtres de ses enfants aillent se former

ailleurs; ou qu'une partie d'entre eux seulement bénéficient du contact avec le sol sacré de la patrie, et non les autres; or, c'est chez nous qu'ils trouvent leur débouché naturel, non chez nos voisins. Enfin, et ceci est la vraie, ta souveraine, l'imprescriptible raison, que tout le monde sans doute a déjà discernée ou du moins sentie profondément: une Université, c'est-à-dire un foyer d'enseignement supérieur, ne vaut, ne vit et ne rayonne que s'il est complet; ce n'est pas pour rien que l'Université porte depuis bientôt mille ans ce nom magnifique. Retranchez à cet organisme vivant quelques membres, et vous en faites une chose inutile ou morte. Je m'explique. Une Ecole de théologie ne se conçoit plus sans le contre-poids d'une Faculté des sciences; une Faculté de droit et une Faculté des lettres se complètent et se stimulent; une Faculté de médecine a besoin du concours des sciences et même du droit, comme une Ecole de pharmacie; les lettres et les sciences se rencontrent dans le domaine de la philosophie; l'économie politique et la science sociologique s'abreuvent à des sources très diverses: en voilà assez, Messieurs, pour montrer que tout se tient dans un corps si complexe et que sa vie même tient à sa complexité. J'ai la conviction que, si l'on cherchait à disjoindre et à éparpiller l'Université — pour lui donner plus d'efficacité, dit-on! — on rendrait immédiatement impossible l'effort qu'elle doit constamment faire, parce qu'on supprimerait toute collaboration et toute émulation. Elle en mourrait, ou elle n'aurait plus qu'un désir: celui de se reconstituer intégralement et elle y tendrait de tout ce qu'il lui resterait d'énergie.

Concentration, collaboration, émulation: on ne m'en voudra pas de rappeler ces trois paroles, dont on croit pouvoir dire que l'on s'est constamment inspiré. Mises en pratique, je suis certain qu'elles nous vaudront la collaboration active et sympathique du public qui pense et du pays tout entier; ce sont eux qui nous aideront à maintenir, en ces temps difficiles, une tradition de savoir et d'idéal qui comptera dans quinze ans quatre siècles de vie

et qui est la plus ancienne sur sol romand. Notre Haute Ecole a eu des débuts très modestes; elle a connu des périodes de félicité et des temps de crise; mais elle n'a pas cessé de se développer toutes les fois qu'elle n'a visé qu'à l'équilibre et à la modération. Au moment de passer à mon successeur le soin pieux de l'entretenir, qu'il me soit permis une dernière fois de lui dire ma fierté, ma foi en ses destinées et mon profond amour...

MESSIEURS LES ETUDIANTS,

En rappelant brièvement de quels principes s'est inspirée l'activité de notre Université en ces dernières années, ma pensée s'est souvent reportée sur vous. Comment aurais-je pu m'empêcher de constater que toutes les mesures prises ou les améliorations effectuées ont pour raison et pour fin votre bien ou votre bien-être? Sans doute risque-t-on aisément de se tromper à vouloir faire le bonheur d'autrui, mais c'est déjà beaucoup de ne pas vouloir le faire à tout prix; et notre mémoire des désirs et des besoins de cet âge est peut-être encore assez juste, notre capacité de nous y accommoder peut-être encore assez grande, pour espérer d'éviter l'excès ou l'absurdité.

Mais, je ne voudrais pas prendre congé de vous sans vous remercier et, une fois encore, vous rappeler les inestimables privilèges qui sont vôtres et qu'on ne comprend vraiment que plus tard. —Qu'as-tu, que tu ne l'aies reçu? — Si je m'applique fréquemment cette parole à moi-même, c'est que, de plus en plus, je sais ce qu'elle emporte de responsabilité et ce qu'elle impose de devoirs.

Peut-être en prendrez-vous un sentiment plus vif à considérer ce qui s'est passé en Russie. Une des premières institutions qui ait été visée, frappée, anéantie par le bolchévisme, ce fut précisément l'Université, parce qu'on savait quelle force elle incarnait dans la nation. En ce moment-ci, plus de 10,000 jeunes Russes, dénués de tout,

cherchent dans le monde entier, mais surtout en Europe, les moyens d'étudier, pour être aptes à reconstituer leur patrie quand le régime actuel se sera effondré. C'est sur eux que se concentre maintenant l'espoir d'un des peuples les plus richement doués et du plus effroyablement malheureux qu'il y ait au monde.

Inutile d'en dire plus. J'aime mieux, en terminant, ramener vos regards sur la richesse, la beauté et la noblesse possibles de la vie qui s'ouvre devant vous, que nous tâchons dans la mesure de nos moyens de vous aider à découvrir, et que vous aurez bientôt la noble mission de transmettre. Puissiez-vous faire vôtre cette admirable prière d'un philosophe qui est un grand poète: «O Vie, ô départ du port d'ombre et de néant vers l'infinie aventure, sois ici saluée et bénie, telle que tu es encore en cet âge! Ne me sépare pas plus de mes désirs futiles que de mes plus nobles et pures ambitions. De la sorte, devenu riche d'un bénéfice acquis à des jeux où la tricherie est impossible, j'aurai, quand sonnera l'heure, la conviction que cette fortune ne peut s'anéantir. Peu à peu, dans le noir vers lequel il semble à tant d'hommes qu'ils roulent, un peu d'éternité flamboiera, un point lumineux, à peine distinct d'abord, mais qui s'élargira, deviendra astre, soleil, chassera toute l'ombre redoutée, si je le mérite.»

Si je le mérite... C'est la grâce que je nous souhaite à tous.