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ALLOCUTION DU RECTEUR A LA SÉANCE DU DIES ACADEMICUS du lundi 5 juin 1939 PAR

M. le professeur Victor MARTIN

Il y a deux ans, une audacieuse initiative où nous trouvons la marque du brillant tempérament de mon prédécesseur avait allégrement bouleversé l'économie traditionnelle de de la cérémonie du Dies Academicus. Les rapports des jurys des concours qui en formaient jusqu'ici l'élément essentiel étaient supprimés pour faire place à des allocutions demandées à des étudiants. Le but avoué de cette innovation était de ranimer l'intérêt de la jeunesse universitaire pour cette célébration qui paraissait la laisser trop indifférente. Répétée deux ans de suite, cette tentative ne nous a pas paru assez concluante pour que nous nous sentions autorisés à la renouveler une troisième fois. Et comme nos prédécesseurs, en parlant de leurs essais, les qualifiaient d'expériences, comme il convient du reste à des adeptes de la méthode scientifique, nous avons cru pouvoir à notre tour tenter la nôtre.

Vous trouverez sans doute que l'imagination nous a manqué puisque nous sommes revenus à l'état de choses traditionnel. Nous avons tout de même cherché : le rétablissement du costume académique, à l'exemple de plusieurs universités suisses, aurait pu nous fournir, momentanément du moins, l'attraction désirée. Nous ne nous sommes pas encore résolus à recourir à cet expédient vestimentaire et vous offrons simplement le régal austère que constituent le discours rectoral et les appréciations des jurys des concours académiques. Mais comme tout en ce bas monde est affaire de comparaison, nous espérons

que le public, privé depuis deux ans de l'audition de ces rapports, leur trouvera une saveur nouvelle. Peut-être que la solution du problème n'est pas dans la recherche d'une introuvable perfection, mais plutôt dans un balancement et une alternance qui, par de judicieuses interruptions et des changements temporaires, éveillent le regret de ce qu'on n'a plus et le désir de le retrouver. Dans ce cas, la sagesse serait de ne se lier définitivement à aucun programme. C'est dire que l'on pourra sans scrupules, une autre année, reprendre l'une ou l'autre des innovations qui marquèrent les deux derniers Dies, si les circonstances y invitent. Ne voyez donc, Mesdames et Messieurs. et je pense ici surtout aux étudiantes et étudiants, dans ce retour, sans doute momentané, aux usages traditionnels, nulle manifestation réactionnaire, nul indice de pétrification, mais plutôt une satisfaction donnée au génie de la variété.

Du reste, en revenant à l'ancienne procédure, nous avons tout de même introduit une nouveauté en demandant à chaque rapporteur un effort digne de son talent sous la forme d'un petit chef-d'oeuvre de brièveté et de concentration consistant à condenser en un discours de cinq minutes l'essentiel des réflexions que lui auront suggérées les travaux soumis à sa critique. Ainsi votre patience ne sera pas mise à l'épreuve aujourd'hui et, alléchés par les raccourcis dont on vous aura gratifiés, vous désirerez lire dans la brochure imprimée les développements qui n'auront pu être communiqués ici.

Messieurs les rapporteurs, le succès de notre séance dépend dc vous, je le confie hardiment à votre brièveté experte, tout en vous remerciant chaleureusement et de votre précieux concours et du soili que vous mettrez à seconder nos efforts pour rendre cette cérémonie aussi attrayante que sa nature le permet.

Notre corps enseignant en activité n'a eu à déplorer la perte que d'un seul de ses membres dans la personne de M. Marcel Minod, privat-docent et chef de travaux à l'Institut de botanique pendant seize ans. C'était un travailleur aussi savant (lue consciencieux et modeste, dont la disparition prématurée laisse un vide difficile à combler dans la grande institution au service de laquelle il a dépensé le meilleur de ses forces, Une belle et émouvante cérémonie a été consacrée le 12 novembre dernier à la mémoire du très regretté Georges Werner.

La mort nous a ravi deux anciens collègues, M. le Dr Johannes Martin, en retraite depuis 1899, et M. Hans Töndury, professeur honoraire, qui nous avait quittés en 1928 pour l'Université de Berne où il enseignait au moment de son décès.

Nous avons perdu trois de nos docteurs honoraires, MM. Ch. Edouard Guillaume, Ernest Roguin et Henry Correvon, et deux étudiants, Mile Gilberte Lourdin, de Genève, et M. Wilhelm Späing, de Düsseldorf, ce dernier victime d'un accident de montagne au cours de cet hiver.

Nous garderons pieusement le souvenir de ces disparus et adressons à leurs familles l'expression renouvelée de notre sympathie.

Si nous avons payé à la nature un tribut relativement modéré cette année, des démissions répétées sont venues creuser dans nos rangs des vides impressionnants. Quatre facultés sur Six ont été ainsi atteintes dans leurs oeuvres vives par la retraite, désormais définitive malgré nos instances, de MM. Alfred Lendner, Charles Bally, Max Askanazy et Eugène Choisy. Ces noms suffisent à faire mesurer l'étendue de nos pertes et la difficulté que va avoir l'Université à trouver pour de tels savants de dignes successeurs. Tous quatre ont tenu à devancer la limite d'âge avec une élégance qui ne fait qu'accroître nos regrets. Au moins avons-nous la satisfaction de voir ces collègues aimés et respectés augmenter le corps de nos professeurs honoraires, et de savoir qu'en renonçant, trop tôt à notre gré, à un enseignement qui faisait tant d'honneur à notre Ecole, ils restent au service de la Science.

Une seule des chaires qui vont devenir vacantes cet automne a trouvé un nouveau titulaire, celle de théologie historique, à laquelle vient d'être appelé, par décision du Conseil de fondation ratifiée par le Conseil d'Etat, M. le pasteur Jaques Courvoisier, licencié en théologie, auquel nous souhaitons une cordiale bienvenue.

La chaire d'anglais n'ayant pas encore reçu de titulaire définitif, c'est quatre enseignements de première importance qui sont encore à repourvoir.

Par contre, l'année écoulée a vu l'installation du nouveau professeur de psychiatrie, M. le Dr Ferdinand Morel, tandis que deux professeurs extraordinaires accédaient à l'ordinariat, MM. Maurice Battelli et Ernest Stueckelberg, et que

deux nouveaux chargés de cours étaient désignés, M. Hermann Conrad à la Faculté de droit et M. le Dr Georges de Morsier à la Faculté de médecine.

Nous avons eu la satisfaction de voir notre savant collègue M. Jean Piaget appelé à occuper la chaire de sociologie de l'Université de Lausanne, ce qui heureusement ne nous prive pas de ses services hautement appréciés et constitue un lien nouveau et bienvenu entre nous et l'Université vaudoise. Une satisfaction du même genre nous a été causée par la nomination d'un de nos gradués et ancien privat-docent, M. André Mercier, aux fonctions de professeur extraordinaire de physique théorique à l'Université de Berne.

Nous avons aussi eu à enregistrer l'habilitation de nouveaux privat-docents:

à la Faculté des sciences: MM. René Verniory, André Mirimanoff, William Schusselé;

à la Faculté des lettres: M. Willy Tappolet;

à la Faculté des sciences économiques et sociales: M. Edmond Silberner;

à la Faculté de droit: MM. André Balasko, Umberto Campagnolo;

à la Faculté de médecine: MM. Michel Demole, René Patry.

Trois doctorats honoris causa ont été décernés, l'un en théologie à M. Imre Revesz, de l'Université de Debreczen (Hongrie), l'autre en sciences à M. Otto Fuhrmann, de Neuchâtel, qui lui a été remis à l'occasion des belles fêtes du centenaire de son Université, en novembre dernier, le troisième en sciences économiques à M. Harold Butler, directeur du B. I. T., qui quittait Genève pour assumer à Oxford la direction du nouveau Collège fondé par Lord Nuffield.

Plusieurs congés ont été accordés pour permettre des voyages d'étude ou des tournées de conférences. En ont bénéficié: MM. les professeurs Jean Weigle, Léon W. Collet et M. Henri de Ziégler, chargé de cours. Des raisons de santé, par contre, ont éloigné de nous depuis de longs mois les professeurs Charles Du Bois et Albert Richard. Leur absence est vivement

ressentie. Nous en déplorons profondément la cause et formons des voeux fervents pour qu'ils puissent bientôt reprendre une activité si nécessaire au fonctionnement de notre maison.

Après cette trop sèche revue des faits concernant le corps des professeurs, nous pouvons passer au chapitre des étudiants.

L'année universitaire dont le terme approche a commence sous le signe des graves événements de septembre dernier dont l'effet incalculable et loin d'être épuisé reste suspendu sur l'Europe comme un nuage menaçant. Il n'est ni individu, ni collectivité, de la plus humble à la plus étendue, qui n'en ressente la commotion. Qu'allait-il en être pour notre institution?

Plusieurs des pays où se recrutent nos étudiants sont travaillés de tendances contradictoires. La doctrine politique et les conditions économiques régnantes les porteraient à se replier sur eux-mêmes et à rendre impossible à leurs ressortissants le séjour à l'étranger, et en même temps leur désir de se débarrasser par tous les moyens de certaines minorités poussent les représentants de celles-ci à émigrer sans espoir de retour. On pouvait donc penser que le nombre des étudiants appartenant à cette dernière catégorie augmenterait pendant que diminuerait celui des nationaux autorisés et possédant le droit de retour. Cette prévision ne s'est qu'imparfaitement réalisée par suite de diverses circonstances qui ont atténué l'effet des tendances précitées. D'une part certains pays, au premier rang desquels figurent l'Allemagne, l'iran et la Turquie, ont continué, en dépit des impératifs politiques et économiques du jour, à diriger sur Genève une partie de leur jeunesse nationale et, d'autre part, la police fédérale des étrangers s'est efforcée de n'ouvrir que parcimonieusement aux émigrants l'accès du territoire helvétique, dans la crainte compréhensible de voir le pays envahi par des étrangers dépourvus de moyens d'existence et parfois même de tout état civil. Il n'est pas facile, dans l'étrange époque où nous vivons, de concilier les exigences souvent incompatibles de l'humanité et de la sécurité, de la charité et de la justice. Nous sommes intervenus toutes les fois qu'il nous a paru justifié de le faire en faveur d'anciens ou de

nouveaux étudiants menacés dans leur droit de séjour, et, avec l'appui éclairé de M. le chef du Département de l'Instruction publique, nous avons dans bien des cas, et même dans la plupart, obtenu satisfaction. C'est dire avec quel souci d'humanité et avec quelle souplesse les autorités de police tant fédérales que cantonales exercent leurs ingrates et harassantes fonctions. Nous sommes heureux de pouvoir ici leur rendre publiquement cet hommage.

Il est résulté des circonstances qui viennent d'être décrites qu'au dernier semestre d'hiver le nombre des étudiants étrangers, loin de diminuer, a passé de 414 à 438. Pour le présent semestre d'été, la comparaison ne peut être faite mais, à en juger par les nouvelles immatriculations, la situation serait sensiblement identique à celle de l'été 1938.

Le contingent d'étudiants étrangers le plus élevé continue à être fourni par l'Allemagne; 137 étudiants de cette nationalité étaient inscrits au semestre d'hiver 1938-39 contre 106 l'an dernier à pareille époque, c'est-à-dire plus du quart de la population étrangère de notre Université. Leur présence n'est pas un fait nouveau dû à des circonstances particulières du moment; des accords remontant à la fin du précédent siècle, et toujours en vigueur, permettent aux jeunes juristes allemands de passer à Genève quelques semestres qui leur sont comptés dans leur pays d'origine en vue des examens qu'ils ont à y subir. Le gouvernement actuel du Reich fait en sorte que les restrictions apportées par lui au transfert des devises n'empêchent pas des sujets choisis de profiter de ces anciennes relations que nous voyons avec satisfaction se maintenir en dépit de la difficulté des temps actuels. De nos deux autres grandes voisines, celle du Sud n'a jamais fourni de matière à nos statistiques, par contre la France perpétue une vieille tradition en nous envoyant des théologiens, en nombre plus restreint qu'autrefois il est vrai, mais nous avons été heureux d'assister à la résurrection de la Société des étudiants français.

La présence parmi nous d'une quarantaine d'étudiants polonais s'explique plutôt par les mesures prises dans les universités de leur pays pour y limiter le nombre des ressortissants appartenant à certaines catégories de la population. Ces étudiants viennent chez nous de leur initiative personnelle,

leur admission en Suisse n'est pas toujours très aisée et une fois admis ils se trouvent souvent en difficulté pour se procurer les devises nécessaires.

Le contingent balkanique, si important avant la grande guerre, s'est singulièrement réduit sous l'empire surtout des phénomènes économiques. Si nous voyons avec satisfaction un petit nombre de Bulgares et de Roumains maintenir la tradition d'amitié académique entre leur pays et Genève, nous regrettons l'absence quasi absolue des Grecs qu'attirait autrefois chez nous le philhellénisme traditionnel de la patrie d'Eynard. Nous espérons qu'en des temps moins troublés la sympathie toujours vivace de part et d'autre pourra trouver son expression dans une reprise de ces anciennes relations.

L'Iran et la Turquie continuent à nous envoyer des boursiers qui fréquentent surtout les Facultés des sciences, de droit et de médecine. Nous remercions ces deux pays de l'amitié qu'ils nous témoignent en nous confiant la préparation universitaire de sujets choisis parmi les plus promettants de leur jeunesse.

La présence d'une mission scolaire égyptienne à Genève place nos étudiants venus de ce pays dans une catégorie intermédiaire entre les étudiants libres et les boursiers d'Etat. Subvenant eux-mêmes aux dépenses de leurs études, ils sont, au point de vue de ces dernières, soumis à la surveillance de l'autorité officielle susmentionnée avec laquelle nous extretenons de cordiaux rapports.

Le chiffre des étudiants suisses s'est élevé, au semestre d'hiver dernier, à 671, soit 347 Confédérés et 324 Genevois. On voit donc que le nombre des nationaux dépasse largement celui des étrangers. Ce fait provient du nombre élevé d'étudiants qui nous viennent du reste de la Suisse. Est-il besoin de dire que c'est une catégorie particulièrement bienvenue? Le souci de renforcer la cohésion nationale a poussé la Confédération à envisager diverses mesures destinées à favoriser les échanges d'étudiants entre les différentes parties du pays. Elles rentrent dans le cadre de la sauvegarde du patrimoine spirituel de la nation à laquelle la nouvelle fondation «Pro Helvetia» est appelée à veiller. Ces innovations, inspirées par le souci le plus honorable, sont encore à l'état de projets assez imprécis. Ils demanderont en tout cas une sérieuse mise

au point. En attendant, le prolongement du service militaire. produit des mêmes circonstances, va avoir une profonde répercussion sur l'organisation des études supérieures. La Conférence des recteurs, dont Genève se trouve avoir la présidence pour l'année civile courante, s'est saisie de la question. Elle est entrée en rapport avec le Département militaire fédéral pour étudier comment on pourrait concilier les exigences de l'autorité militaire avec les nécessités académiques. Vu l'excellent esprit qui anime les deux interlocuteurs, nul doute qu'on arrive à un modus vivendi supportable. Mais il est d'ores et déjà certain que les étudiants devront consentir de grands sacrifices de temps s'ils veulent obtenir à la fois un brevet d'officier et un grade universitaire.

Cette géographie académique que nous venons d'esquisser à grands traits est bien différente de celle qu'offrait l'Université de 1913 et, par rapport à elle, se caractériserait plutôt par des déficits. Sur un point pourtant nous pouvons, depuis cet automne, enregistrer une conquête. Nous avons, en effet, eu le plaisir d'accueillir un groupe important d'étudiants américains venus pour la plupart de l'Université de Delaware, grâce à l'initiative d'une Américaine amie de Genève, Miss Doty. Le «groupe de Delaware», où le sexe féminin domine, n'a pas tardé à acquérir une juste popularité. Installé sous la direction de son instigatrice et d'un état-major de précepteurs dans une villa où le corps enseignant genevois a été reçu plus d'une fois de façon charmante, il s'est mis avec ardeur au travail. Nous avons été heureux de pouvoir organiser pour ces jeunes amis d'outre-Atlantique une session particulière d'examens de fin d'année qui leur permettra, nous l'espérons, de voir leurs études genevoises prises en considération par l'Université de laquelle ils nous sont venus.

Cette jeunesse avide de s'instruire et pleine d'un encourageant optimisme nous a fait la meilleure impression. Souhaitons qu'elle emporte de son côté un souvenir favorable de son expérience genevoise et qu'en la faisant connaître autour d'elle elle entraîne des camarades à tenter la même aventure. Nous serions particulièrement heureux de voir la tradition s'établir pour de jeunes Américains de venir s'initier à Genève à la vie européenne et aux méthodes académiques du Vieux-Monde. Genève sera toujours heureuse de les accueillir,

de mettre à leur disposition les ressources que sa situation lui procure et de développer ainsi d'une façon pratique ses relations avec la grande République d'au-delà des mers à laquelle la lient, à côté de tant de souvenirs historiques, une même conception de la vie civique et un amour identique de la liberté.

Par la variété nationale de ses étudiants, notre Université, on le voit, reste fidèle à ses origines: un trait essentiel de notre Ecole au XVIe siècle a été son cosmopolitisme. Ses étudiants lui ont toujours été fournis par les contrées les plus diverses et le corps professoral donne matière à la même observation.

Avec les vicissitudes de l'histoire, les lieux de recrutement de notre population universitaire ont passablement varié. Inventorier ces variations reviendrait à faire l'histoire de l'Europe. Nous ne pouvons y songer ici. Il nous suffira, en rappelant ce cosmopolitisme invétéré, de relever qu'il avait à l'origine un puissant contrepoids dans l'unité d'inspiration qui animait toute l'Ecole sous Calvin et ses successeurs et marquait d'une même et forte empreinte tous ceux qui la fréquentaient. Les temps ont changé; l'inspiration exclusivement théologique du début a dû s'élargir et cependant nous nous flattons qu'il existe toujours à l'Université de Genève une unité d'inspiration, d'un autre genre sans doute qu'au XVIe siècle et moins aisée à définir, s'imposant de façon moins impérative, mais, nous l'espérons, tout aussi efficace à travers l'enseignement qu'on y donne et qui provient d'une conception identique chez ses maîtres des exigences morales et intellectuelles du travail scientifique et des conditions indispensables à sa réussite.

Ayons garde aussi d'oublier l'esprit de la cité dont l'Université fait partie et qui contribue à lui assurer un caractère bien à elle, à l'influence duquel il est d'autant moins aisé da se soustraire qu'elle est plus discrète et moins concertée. La meilleure propagande est celle qui s'opère inconsciemment par le rayonnement d'une forte individualité. Soyons nous-mêmes, sans préoccupation de prosélytisme, ni agressivité. Si nous donnons à l'observateur intelligent — et je ne puis admettre que cette qualité manque à aucun de nos hôtes —

le spectacle d'une communauté académique vivante, enchâssée elle-même dans une communauté nationale cohérente et harmonieuse, capable de concilier l'ordre intérieur avec la liberté et la diversité indispensables à la vie de l'esprit, alors l'observateur impartial ne pourra refuser son adhésion à notre système, et, loin de désirer qu'il soit modifié, il en souhaitera au contraire la généralisation. Travaillons donc à nous perfectionner nous-mêmes, et l'approbation du monde, que nous n'aurons pas sollicitée, nous sera donnée par dessus.

Nous n'avons aucune crainte de voir à l'Université de Genève un cosmopolitisme de Palace Hôtel l'emporter sur l'esprit traditionnel et éprouvé de la maison. Ce serait faire injure au milieu genevois que d'entretenir une pareille idée, comme ce serait faire injure à nos hôtes académiques, à quelque nationalité qu'ils appartiennent, de penser qu'ils auraient la chimérique intention, en nous visitant, de porter atteinte à nos habitudes d'enseignement et de pensée plutôt que de s'instruire avec, nos méthodes. Voltaire fit autrefois l'expérience que l'esprit genevois ne se laissait pas facilement entamer. Il avait cependant beaucoup de charme et la manière insinuante. Je ne crois pas que nous ayons beaucoup changé. Malgré les controverses auxquelles les événements internationaux peuvent donner lieu, nous continuerons à accueillir avec faveur tous les étudiants disposés à user loyalement de notre hospitalité, persuadés qu'à côté de l'enseignement lui-même nous ne pourrions rien leur offrir de plus profitable que les relations avec des camarades de nationalité et de formation différentes, au contact desquels ils pouront vérifier leurs points de vue nationaux, apprendre la nécessité de la tolérance et s'apercevoir qu'il est possible de vivre en bonne harmonie malgré la diversité des opinions grâce à la bonne volonté.

Cet enseignement précieux entre tous se dispense moins dans les salles de cours et les laboratoires que dans ces prolongements indispensables de l'Université que sont le Foyer des Etudiantes, la Maison Internationale des Etudiants, au Calabri, et l'Union Internationale des Etudiants du quai Wilson ou, sous des directions dévouées auxquelles je rends un reconnaissant hommage, les rapprochements s'opèrent, les idées s'échangent et les conceptions se confrontent dans une atmosphère

de sincérité et d'entente que l'on donnerait volontiers en modèle à de plus augustes rassemblements. Nous voudrions seulement encourager nos étudiants genevois et confédérés à profiter davantage des occasions magnifiques que leur offrent ces lieux attrayants de réunion si généreusement mis à leur disposition pour apprendre à mieux connaître leurs camarades étrangers, s'informer de leur état d'esprit, redresser courtoisement les opinions erronées que, d'aventure, ils entretiennent à notre égard, en un mot pour s'instruire tout en instruisant, et contribuer ainsi à un rapprochement des esprits qui s'avère comme le besoin essentiel d'une époque empoisonnée par des dogmatismes contradictoires que leurs propagateurs proclament d'autant plus impérieusement qu'ils entendent les soustraire à tout examen critique.

Comme Genève et son Université restent encore des lieux où toute doctrine peut être sereinement étudiée selon les règles de la méthode scientifique, nous nous félicitons que, malgré les obstacles que la malice des temps oppose sans relâche aux échanges internationaux dans l'ordre académique, un certain nombre de jeunes gens de diverses nations puissent encore fréquenter notre Ecole et y apprendre, au contact les uns des autres et sous l'influence du milieu, qu'il existe plusieurs conceptions de la vie, que toutes ont leur raison d'être dans la mesure où elles n'excluent pas les autres, que cette variété même représente une inestimable richesse et que seule l'uniformité serait mortelle pour la vie de l'esprit.

Fidèles à une tradition séculaire et à une mission que nous tenons pour utile, nous continuerons dont à faire notre possible pour attirer vers nous la jeunesse studieuse des pays étrangers. Comme l'attraction naturelle de Genève ne saurait à elle seule assurer ce résultat, nous devons, pour lutter contre une concurrence trop facilitée par l'élévation de notre monnaie, avoir recours à la publicité. C'est une méthode coûteuse, aussi éprouvons-nous une reconnaissance particulière envers l'Association des Intérêts de Genève qui a bien voulu élever considérablement cette année l'allocation qu'elle nous octroie dans ce but.

Comme la publicité la mieux orchestrée ne saurait assurer le succès d'un produit de qualité inférieure, nous pouvons invoquer pour étayer la nôtre le monumental tome VIII du

Catalogue des ouvrages, articles et mémoires publiés par les professeurs ei privat-docents de l'Université pendant les onze années écoulées depuis la publication du tome VII, c'est-à-dire les années 1927 à 1937. Ce considérable répertoire, pour le laborieux établissement duquel notre secrétaire, M. Hermann Blanc, a droit à toutes nos félicitations, atteste l'ampleur du travail de recherche fourni par le corps professoral de l'Université et l'importance qu'il attribue à ce complément indispensable de son activité pédagogique. La force d'une Haute Ecole ne se marque-t-elle pas précisément dans l'harmonieux équilibre de ces deux efforts qui se fécondent mutuellement?

En les mentionnant nous n'épuisons cependant pas le champ d'action de l'Université. Il lui serait dangereux de s'isoler dans le cercle relativement étroit des étudiants et des érudits. Le soin de sa santé exige qu'elle entretienne des relations avec un plus vaste public et qu'elle s'intéresse de façon directe à la vie de la communauté qui l'entretient. Cette préoccupation explique certains aspects de notre vie académique. Si les conférences internationales des sciences mathématiques, à l'organisation desquelles notre collègue M. Wavre consacre une si féconde activité, exigent pour être suivies une érudition que sont seuls à posséder de rares spécialistes, l'initiative prise par l'Université au cours du semestre d'hiver, de faire revivre, grâce au concours désintéressé de maîtres de nos diverses facultés, les traditionnelles «Conférences publiques de l'Aula» supprimées depuis plusieurs années, s'inspirait du désir de mettre un public étendu au courant des résultats obtenus par les spécialistes dans différents champs de la science. Cet essai a, croyons-nous, donné un résultat encourageant et sa reprise l'année prochaine est à l'étude. Plusieurs facultés ont organisé dans leur cadre des conférences isolées dont on trouvera l'énumération dans le rapport administratif.

Une autre occasion de contact avec le grand public nous était offerte cette année par l'Exposition de Zurich dont les organisateurs, dans leur désir de donner un tableau complet de l'activité nationale, ont tenu à consacrer un pavillon spécial aux Universités et à la recherche scientifique. La formule dite thématique et le principe de l'exposition active qui ont été appliqués avec rigueur dans cette grande entreprise, tout

en donnant dans beaucoup de cas des résultats remarquables, notamment pour la présentation des sciences physiques et naturelles, étaient beaucoup moins favorables à celle des sciences morales, dont il est difficile de montrer l'élaboration en action et d'une manière plastique, leurs résultats seuls se concrétisant sous forme d'ouvrages écrits, lesquels étaient, de principe, sévèrement proscrits. 11 est résulté de ces dispositions un certain défaut de proportion dans la présentation des diverses sciences, et certaines absences étonneront. Ainsi, à parcourir le dit pavillon, on pourrait croire que personne, en Suisse, ne s'occupe de science juridique, historique ou sociale. Mais c'est là un détail dans un ensemble singulièrement imposant et original, dont la révélation, lors de l'inauguration du 6 mai à laquelle le recteur a eu l'honneur d'assister, a fait une profonde impression. Les Universités sont fières de tenir leur partie dans cette puissante symphonie de la vie nationale helvétique.

C'est encore la préoccupation de remplir plus complètement son rôle social qui a conduit l'Université, en collaboration avec le Département de l'instruction publique, à envisager un perfectionnement de sa participation à la préparation du personnel enseignant secondaire. C'est là une question dont nous saisissons toute l'importance et qui est eu ce moment à l'étude dans plusieurs facultés.

Le souci de la santé de nos étudiants nous a amenés à introduire, à la suite d'autres Universités, l'examen radiologique d'entrée qui permettra de découvrir ceux qui sont guettés par la maladie, et de les faire bénéficier, en cas de besoin, du Sanatorium universitaire. Ce nouveau service, à l'installation duquel le Comité de la Caisse d'assurance-maladie a travaillé avec un grand dévouement, fonctionnera, nous l'espérons, dès l'automne prochain.

Par ces différentes activités, l'Université s'efforce de remplir dignement la place qui lui revient dans la communauté et de mériter toujours davantage la sympathie du milieu dont elle fait partie. Cette sympathie, si nécessaire à son bon fonctionnement, hâtons-nous de le dire avec reconnaissance, ne lui est en général pas marchandée. Est-il besoin de rappeler, si ce n'est pour la célébrer une fois de plus, la sollicitude de notre bonne marraine, la Société académique, dont la 5O me

assemblée générale fut célébrée avec éclat cet automne dans cette salle même. C'est à sa libéralité inépuisable que je dois de me faire entendre sans élever la voix grâce aux hauts-parleurs dont notre Aula est désormais pourvue. Qu'ils nous permettent de porter l'expression de notre reconnaissance jusque dans les moindres recoins de ce vaste local.

Le Gouvernement français, par l'obligeante entremise de M. le Consul général de France à Genève, nous a remis des ouvrages de droit et de littérature dont les bibliothèques des deux facultés intéressées ont pris possession avec une vive gratitude.

La série déjà longue de nos prix vient de s'enrichir encore, à la suite du don fait à l'Université par Mme Georges Regard d'une somme de 12.500 francs dont les revenus serviront à récompenser alternativement un essai de conciliation des résultats des sciences biologiques avec les affirmations de la foi chrétienne et une étude sur les vaccins antituberculeux. C'est dire que ce nouveau concours, qui portera le nom de «Prix Georges Regard», tout en perpétuant le souvenir d'un savant et d'un penseur trop tôt disparu, servira à prolonger l'effort du défunt dans les deux directions où il l'avait fait porter de préférence. Nous exprimons à Mme Regard et aux amis qui lui ont facilité ce geste de piété conjugale au bénéfice de la science, notre respectueuse reconnaissance. Nous souhaitons que cette généreuse initiative suscite des recherches propres à rapprocher de leur solution les grands problèmes auxquels le docteur Georges Regard s'est si passionnément intéressé.

L'Institut de botanique a bénéficié d'un legs dû à la générosité de feu Mlle Pautex. Il s'agit de peintures représentant des sujets botaniques. Si leur contemplation ne réjouira que les habitués du grand Institut du deuxième étage, il n'en sera pas de même des décorations murales qui bientôt couvriront l'espace qui se déploie dans le vestibule de part et d'autre de la porte principale de cette salle. Les crédits fédéraux destinés à combattre le chômage des artistes ayant procuré les fonds nécessaires, et la commission chargée de leur répartition ayant constaté que le lieu public le plus approprié à recevoir une grande composition picturale était celui que je viens de décrire, un concours fut ouvert qui mit au

premier rang le projet de M. Goerg Lauresch. Cet artiste, aussi probe que modeste, avait su trouver la formule décorative la plus heureuse pour glorifier plastiquement, dans un style et une tonalité heureusement appropriés à l'emplacement désigné, les sciences et les lettres, thème proposé à l'imagination des concurrents. Le recteur, qui a eu le privilège d'assister en observateur aux délibérations du jury, sait avec quelle conscience celui-ci, sous la présidence de M. Daniel Baud-Bovy, s'est acquitté de sa délicate mission. L'observateur que j'étais eut la satisfaction de voir ses secrètes préférences sanctionnées par le verdict de ce tribunal d'artistes distingués, et la présentation d'une maquette grandeur naturelle, il y a quelques mois, n'a fait que confirmer ce senti-- ment. C'est ainsi qu'à cause de la misère des temps — mais notre époque n'en est pas à un paradoxe près — nous aurons un beau vestibule tout neuf, animé d'une souple allégorie où notre esprit comme nos yeux pourront s'enchanter. Mais un vestibule est un lieu de passage et il ne faudrait pas que sa neuve splendeur fasse ressortir la décrépitude des lieux où il doit conduire. C'est ce que je me suis permis de faire observer à M. le Président. Avec cette rapidité de décision dont nous admirons si souvent les effets, il voulut bien entrer dans mes vues et en parler à son collègue des travaux publics. Nous pouvons donc raisonnablement espérer que, grâce à des appuis si élevés et grâce aussi à la malice des temps procureuse d'allocations inattendues, mon successeur, à défaut de moi-même, célébrera le Dies Academicus dans une Aula rajeunie digne de son antichambre, ce qui sera peut-être le meilleur moyen d'y attirer la grande foule. Je le souhaite et remercie d'avance tous ceux qui contribueront à cette indispensable rénovation.

Et puisque nous en sommes au chapitre des embellissements, qu'il me soit permis de remercier ici, dans la personne de son distingué représentant, le Conseil administratif de la ville de Genève pour les transformations opérées dans la promenade des Bastions. En voyant la triste asphalte céder la place au gazon vert, en écoutant le murmure du jet d'eau qui anime depuis quelques semaines la pelouse du palais Eynard, les universitaires, habitués professionnels de la promenade, se réjouissent dans leur coeur et rendent grâce à nos édiles

d'avoir, à leur manière, accompli l'antique prophétie: «Le désert et le pays aride se réjouiront, la solitude s'égayera et fleurira comme un narcisse... car des eaux jailliront dans le désert et des ruisseaux dans la solitude.»

Terminons ce trop long rapport sur cette vision d'un inonde rajeuni et régénéré, en souhaitant qu'elle s'applique bientôt, dans son sens littéral comme dans son temps symbolique, à de plus vastes espaces que celui qu'enferme dans son périmètre notre vieille et chère promenade des Bastions.