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ALLOCUTION DU RECTEUR

M. le professeur Eugène PITTARD
A LA SÉANCE DU DIES ACADEMICUS
du jeudi 5 juin 1941

En tête des Leges Academia Genevensis, imprimées par le célèbre Robert Estienne, on lit ceci:

«L'an du Seigneur 1559 et le cinquième de juin, un jour a lui, qui a paru une cause de grande joie pour tous les hommes de science et de foi. Ce jour a réuni, au temple de Saint-Pierre, une assemblée nombreuse des très honorés citoyens de Genève et près de six cents écoliers. Quatre présidents du Sénat (qu'on appelle syndics) ont pris séance, entourés de plusieurs des seigneurs conseillers, des ministres de la parole, des professeurs et des régents. Et tandis qu'auparavant la cité de Genève, bien que Dieu l'eût comblée de ses dons les plus précieux, était obligée de demander, non sans désavantage et difficultés, l'instruction de ses enfants ès bonnes lettres et disciplines aux villes et aux nations qu'elle même instruisait de son propre fonds en ce qui est de beaucoup le plus important, à savoir la science de la vraie religion, Dieu, dans sa bonté, a accordé à cette République ce privilège, dont très peu ont joui avant elle, d'avoir une seule et même ville pour mère de son savoir et de sa foi.»

C'est ainsi que le premier Recteur de l'Académie de Calvin, Théodore de Bèze, annonçait la fondation de l'Université et du Collège de Genève.

Et c'est pourquoi, chaque année, nous commémorons le 5 juin.

Il semble, à lire Théodore de Bèze, que l'Académie de Genève était destinée seulement — ou disons surtout — à une Ecole de Théologie. Elle le fut tout d'abord, en effet. Et lorsqu'on pense à son fondateur et à ses premiers collaborateurs. et à l'époque où vivaient ces hommes, à leur atmosphère morale et spirituelle, cela devait être ainsi. Mais, très vite, l'Ecole eut des chaires de Lettres et des chaires de Droit. Et c'est sous cet angle qu'apparaît, à la fin du XVIe siècle, notre Maison.

Nais qu'on veuille bien attendre.

La position géographique de Genève lui permet de recevoir de l'air de tous les côtés. Et nous savons que l'Esprit souffle où il veut. L'Académie est à peine installée qu'elle appelle â monter en chaire Jean Tagaut, originaire d'Amiens. Il est chargé de l'enseignement des mathématiques. Sous ce nom commun, on donnait des leçons d'arithmétique, de géométrie euclidienne, de géographie, d'astronomie.

Ainsi, les sciences apparaissent. Et ce n'est pas qu'à l'Académie que l'on élargit l'esprit! En 1564, le Conseil autorise, dans un but de démonstration, les «anatomies», c'est-à-dire, les dissections du corps humain, celui des suppliciés et même, dans certains cas, des décédés de l'hôpital de la Ville. Cette date est à retenir. Car il faut se rappeler que c'est trois ans auparavant — en 1561 — que le plus grand anatomiste de son époque, André Vésale, a été condamné à mort par l'Inquisition — (depuis longtemps, elle avait l'oeil sur lui) — pour une dissection trop osée. On sait que grâce à Philippe II, cette peine fut commuée en un pèlerinage expiatoire en Terre Sainte et, qu'au retour, Vésale mourut dans un naufrage.

Au siècle suivant, de très grandes transformations vont s'opérer. Un seul exemple: le «Discours de la méthode» est daté de 1637. Il ira partout révolutionner les esprits au fur et à mesure qu'il pénétrera — ça n'a pas toujours été facile — dans les milieux instruits. Le culte prodigué à Aristote, jusqu'alors si exclusif, va sombrer.

Le 15 mai 1669, le Genevois Jean-Robert Chouet est appelé à la chaire de philosophie. Et c'est de ce jour-là que nous devons véritablement dater l'enseignement des sciences à notre Académie et, par voie de conséquence, certaines libérations de pensées; l'entrée victorieuse, chez nous, de ce qu'on appelle l'esprit scientifique.

Nous assistons alors, dans l'enceinte de notre ville, à un véritable bouleversement des notions jusqu'alors acceptées. Et Genève se range déjà dans les avant-gardes. Jugez-en: un mois avant que Chouet ne monte dans sa chaire professorale, la Seigneurie de Berne avait frappé d'interdit l'oeuvre de Descartes!

J'aimerais pouvoir reprendre avec vous ce que fut, dans l'histoire universelle des sciences, l'oeuvre de l'ancienne Académie, marquer la place qu'occupèrent ses professeurs dans la marche de la pensée. J'avais l'espoir de dire cela aujourd'hui. Trop de faits d'administration, dont il faut que je rende compte, m'en empêchent. Peut-être aurai-je l'occasion de revenir à cet important sujet.

Puis, n'ai-je pas toujours demandé que le rapport du recteur soit un court rapport!

Mesdames, Messieurs,

Je crois que jamais, au cours de l'existence entière de l'Université, la mort n'a frappé aussi souvent et aussi durement à notre porte. Dans le courant de l'année scolaire, nous avons perdu un professeur en charge et quatre professeurs honoraires, deux privat-docents, un étudiant. Je rappellerai brièvement leur souvenir.

Le 29 septembre 1940, Edouard Claparède quittait ce monde après y avoir vécu 68 ans. Ses études médicales achevées, Claparède se tourna résolument vers les recherches de psychologie qu'alors Th. Flournoy, son parent, illustrait. Déjà sa thèse de doctorat, sur le sens musculaire, montrait la direction qu'allait prendre son esprit.

Après avoir dirigé le laboratoire de psychologie expérimentale, crée par Flournoy, Claparède, en 1908, devenait professeur extraordinaire de psychologie expérimentale; puis en 1915, professeur ordinaire. Pendant 32 ans, il appartint à

cette Maison. Travailleur infatigable, l'esprit toujours en éveil, Claparède a publié considérablement. Plus de 350 mémoires attestent cette activité de pensée qui, chaque jour, cherchait du nouveau dans toutes les directions.

Par la variété, la valeur des recherches, Claparède se fit une large place dans le monde scientifique. Graduellement, sa réputation était devenue universelle. En relation personnelle avec les psychologues de tous les pays, il a, par cela même, auréolé l'Université de Genève, à laquelle il était profondément attaché. Il l'était de telle façon que, sur son lit de mort, il confirma la volonté qu'il avait eue depuis longtemps, — et d'accord avec sa femme et sa fille — de faire don à l'Université, de sa belle propriété familiale de Champel.

Claparède eut toujours un grand souci des problèmes pédagogiques. Il fonda, avec notre collègue, le professeur Bovet, l'Institut Jean-Jacques Rousseau, qui attira chez nous de nombreux élèves venus de tous les pays.

En perdant Charles Borgeaud, l'Université a perdu le véritablement grand, l'amoureux historien de sa propre Maison. Rappelez-vous: le 5 juin 1900 paraissait le Tome 1er de l'Histoire de l'Université, consacré à «L'Académie de Calvin (1559-1798)». En 1909, c'était le deuxième volume: «L'Académie de Calvin dans l'Université de Napoléon (1798-1814)»; en 1934, le troisième: «L'Académie et l'Université au XIXe siècle (1816-1900)». Je pense que peu de Hautes Ecoles, dans le monde, peuvent se glorifier de posséder un tel monument pour rappeler leur histoire.

Charles Borgeaud entra à l'Université en 1896, en qualité de professeur extraordinaire d'histoire des institutions politiques de la Suisse. Deux ans pins tard, il était professeur ordinaire de droit constitutionnel comparé et professeur d'histoire nationale. Et pendant 40 ans, il enseigna dans cette Maison.

La carrière scientifique de Borgeaud ne se borna pas à la publication de l'histoire de l'Université. Avant et après ce grand oeuvre, Borgeaud fit paraître d'importants mémoires, la plupart consacrés à des chapitres de l'histoire suisse. Sa complaisance ne connaissait pas plus de limites que n'en avaient ses connaissances et nous savons tous quelle était l'étendue de

celles-ci. Profondément attaché à la Cité qu'il avait choisie pour y écouler sa vie studieuse, Borgeaud lui a donné, sans compter, son intelligence, son savoir, toutes ses forces civiques. N'oublions pas que nous lui devons, pour une bonne part, l'érection, à quelques pas d'ici, du Mur de la Réformation.

Pendant 35 ans, Max Askanazy enseigna dans l'Université. 11 eut dans son auditoire des milliers de médecins qui répandirent, dans le monde entier, le nom de leur réputé professeur, associé au nom de Genève. L'anatomie pathologique reconnaissait Askanazy comme un de ses plus éminents maîtres. Toute la vie de notre collègue défunt fut consacrée à cette science. Il l'a fait progresser dans plusieurs de ses chapitres les plus importants. Et l'Université de Genève en eut les plus certains bénéfices.

Askanazy fit ses études à l'Université de Königsberg. Son doctorat en médecine une fois terminé, il voua sa vie à la recherche scientifique et à l'enseignement.

En 1894, il est privat-docent de pathologie. En 1903, il occupe la chaire de professeur extraordinaire. C'est en 1905 qu'un appel venu de Genève nous l'attachait pour toujours. Ce n'est pas à un profane comme moi d'entrer dans le détail des recherches, si nombreuses et si variées, entreprises par Askanazy au cours de sa laborieuse carrière. Ces investigations qui ont trait à la plupart de nos maladies ont été rappelées par plusieurs de ses collègues — entre autres par notre vice-recteur, M. Bujard — dans des nécrologies parues en divers lieux. Ces résultats seront encore utilisés pendant longtemps, peut-être même toujours, car Askanazy a fixé, semble-t-il définitivement, certains points de nos connaissances.

Askanazy qui était entré dans nos rangs nationaux par l'octroi de la bourgeoisie d'honneur — si rarement accordée — rendit d'inappréciables services aux médecins et aux cliniciens de chez nous — à d'autres savants aussi — par les examens microscopiques qu'il ne cessa de faire pour tous avec la plus inépuisable complaisance. Par l'accord de son esprit et de sa science, singulièrement élargie à la vision des problèmes les plus importants, de son travail assidu, de son désintéressement, il était véritablement devenu un de nos grands citoyens.

Hector Christiani est né à Triests en 1862. 11 poursuivit ses études médicales à Padoue, à Turin, à Genève, à Berne et à Paris. En 1891, ii est inscrit chez nous comme privat-docent à la Faculté de Médecine. Dix ans plus tard, il devient, alors âgé de 40 ans, professeur ordinaire d'hygiène, puis directeur du Service cantonal d'hygiène. En 1911, il ajoute à sa chaire un enseignement de bactériologie. Il conservera ce double enseignement jusqu'en 1934.

Les recherches scientifiques de Cristiani furent nombreuses et variées. Son biographe du Journal de Genève, le professur Albert Jentzer, a rappelé deux découvertes dues à Hector Cristiani; la greffe thyroïdienne ayant pour but la guérison du myxoedème et l'étude de la fluorose, maladie grave due à l'accumulation du fluor dans les os, lesquels, alors, perdent leur résistance et deviennent fragiles.

Grâce à notre collègue défunt, des milliers de travailleurs furent protégés contre cette redoutable maladie. Une tâche plus belle peut-elle être accomplie?

Les succès répétés de cette carrière, à la fois scientifique et sociale, furent reconnus de tous côtés. Un seul exemple: en 12 ans, Cristiani fut dix fois lauréat de l'Académie de Médecine de Paris. Plusieurs sociétés savantes, suisses et étrangères, se l'attachèrent comme membre honoraire ou membre correspondant.

Par ses recherches, par son enseignement, par les créations diverses que nous lui devons (je pense en particulier à l'Institut d'Hygiène) Cristiani a bien mérité de l'Université.

Bernard Wiki était un Confédéré. Né à Lucerne le 9 avril 1867, ii fit ses études médicales à Genève et, dès lors, resta fidèle à cette ville dont l'atmosphère lui parut celle où il pouvait le mieux respirer.

En 1917, Wiki était professeur extraordinaire de thérapeutique; dès 1923, professeur ordinaire. Ses leçons réunissaient toujours de larges auditoires. Il était considéré, par ses élèves et par ses collègues, comme un pédagogue de grande classe. C'est d'ailleurs, sur cette partie de son activité universitaire qu'insistait surtout notre collègue.

Wiki a publié d'importants travaux concernant la spécialité qu'il avait choisie. Ses pairs — parmi lesquels son successeur

M. Frommel — citent de lui ses recherches sur l'action pharmacodynamique des dérivés de l'opium, de la strychnine, de l'ergot de seigle et des somnifères. Les résultats de ces investigations, comme celles consacrées à l'action curarisante du magnésium sont envisagées comme étant de premier ordre. Dans ces dernières années, principalement, Wiki avait étudié, avec la conscience qu'il mettait à toutes choses, la toxicité des champignons, et la liste de ses publications mentionne une série de travaux dans cette direction.

Malgré qu'il cherchât toujours à s'effacer et que cette modestie fût une règle inflexible de sa vie, Wiki était entouré du respect et de l'admiration de ses élèves et de ses collègues.

Chose à relever, ce Lucernois, né dans un milieu de culture germanique, était devenu un maître de la langue française.

Il avait désiré que sa mort ne fût suivie d'aucune manifestation universitaire. Nous nous sommes inclinés devant cet ordre.

L'Université a perdu deux de ses privat-docents.

C'est d'abord, le 18 décembre 1940, le Dr Louis-Henri Aubert. II était attaché à la Faculté de Médecine depuis 1906. Aubert fut un observateur consiencieux, un travailleur qui laisse derrière lui une oeuvre scientifique déjà. considérable. La liste de ses publications nous fait connaître de nombreuses recherches toutes consacrées à l'obstétrique et à la gynécologie opératoire.

Le 20 janvier 1941, nous apprenions le décès de M. Ernest Pronier, Dr ès-lettres, privat-docent depuis 1934. Cette année-là, il publia un important travail consacré à la vie et à l'oeuvre de François de Curel. Cet ouvrage lui valut le bonnet de Docteur et fut couronné par l'Académie française. Lorsque la mort est venue le prendre, Pronier venait de terminer, pour l'Université de Paris, qui l'avait acceptée, une thèse fondamentale. Nous avons l'espoir qu'elle sera publiée.

Il y a quelques semaines, la Faculté de Droit rendait les derniers honneurs à un de ses étudiants, Nicolas Verdier. Une telle mort prématurée est particulièrement douloureuse.

Au cours de cette année scolaire, l'Université a renouvelé divers mandats professoraux. Elle s'est agrégé quelques nouveaux professeurs et chargés de cours.

Dans la Faculté des Sciences, le mandat de M. Hochreutiner, professeur extraordinaire, a été renouvelé pour trois ans; l'enseignement de la psychologie expérimentale, laissé vacant par le décès d'Edouard Claparède, a été confié à M. le professeur Jean Piaget.

M. Elie Lecoultre, professeur d'électro-technique au Technicum, a été nommé chargé de cours pour l'enseignement pratique d'électricité appliquée.

Les mandats, comme chargés de cours, de MM. Charles Valencien (analyse des denrées alimentaires) et André Chaix (levés topographiques) ont été renouvelés.

Dans la Faculté des Lettres, l'enseignement de M. le professeur Guglielmo Ferrero a été porté à 2 heures.

M. Henri Frei, Dr ès lettres, a été appelé à succéder, en partie, à M. le professeur Bally, en qualité de professeur extraordinaire d'histoire et comparaison des langues indo-européennes et de sanscrit.

Le mandat de M. Antoine Velleman, comme professeur extraordinaire de langue et de littérature rhéto-romanes a été renouvelé.

M. Henri Naef, Dr ès lettres, a été chargé, pour l'année universitaire 1940-41, d'un cours d'histoire du XVIe siècle.

Les mandats de chargés de cours de MM. Samuel Baud Bovy (langue et littérature grecques modernes), Louis Gielly (histoire de l'art), Serge Karcevski (langue et littérature russes) et Henri de Ziégler (langue et littérature italiennes) ont été renouvelés.

Dans la Faculté de Droit, M. Alexandre Martin-Achard, jusqu'alors chargé de cours, a été nommé professeur extraordinaire (propriété intellectuelle), et M. William Dunand, Dr en droit, chargé d'un cours de procédure civile allemande.

Le mandat de M. Léopold Boissier (droit constitutionnel comparé) a été renouvelé.

Dans la Faculté de Médecine, nous trouvons une nomination nouvelle celle de M. le Dr Henry Henneberg, comme professeur extraordinaire de policlinique gynécologique et

obstétricale, en remplacement du professeur de Seigneux, appelé à la retraite.

Et aussi plusieurs renouvellements de mandats : tout d'abord celui de M. Edouard Frommel, professeur extraordinaire de thérapeutique, prescription et dispensation de médicaments, et ceux de trois chargés de cours MM. les Drs Charles Perrier (urologie), Charles Martin du Pan (orthopédie infantile) et Georges de Morsier (neurologie).

A l'Institut de médecine dentaire, le mandat conféré, comme professeur extraordinaire, à M. le Dr Ernest Comte (orthodontie) a été également renouvelé.

Enfin, dans la Faculté de Théologie, le Conseil d'Etat a ratifié la nomination de M. Henri d'Espine, professeur extraordinaire de théologie pratique.

Quatre Facultés ont enrichi leurs programmes grâce au concours de plusieurs privat-docents.

Nous avons eu le plaisir d'accueillir: dans la Faculté des Sciences, MM. Rodolphe Cortesi, Lucien Féraud, André Rey; dans la Faculté des Lettres MM. William Mackensie et Jacques Pirenne; dans la Faculté des Sciences économiques et sociales, Mme Marguerite Lobsiger-Dellenbach; et, dans la Faculté de Médecine, M. Robert Montant.

Les étudiants devraient se rendre compte du bénéfice qu'ils peuvent retirer en suivant les cours spéciaux donnés par nos collègues privat-docents sur des chapitres de l'enseignement qu'en général les professeurs n'ont pas le temps d'aborder.

Nous souhaitons, encore une fois, à tous ces collègues, une très cordiale bienvenue.

La nouvelle loi sur l'instruction publique n'a pas apporté de modifications sensibles dans le statut de l'Université et dans ses rapports avec le Département de l'Intruction publique. Elle a modifié la situation de l'Institut de Médecine dentaire qui devient un institut auxiliaire de la Faculté de Médecine

La situation de nos étudiants mobilisés a été, pour nous, une préoccupation constante. Grâce à la bonne volonté des autorités militaires, la plupart des étudiants ont pu bénéficier de 3 mois de congés au semestre d'hiver 1940-41. D'autre part, pour des raisons d'économies de chauffage, le semestre a dû être écourté, et tous nos étudiants mobilisés ont pu accomplir ainsi, au moins les trois quarts de leur semestre dans des conditions qui, si elles n'étaient pas très favorables, leur ont tout au moins permis de ne pas augmenter le retard dans leurs études, que le service du pays exige d'eux.

Par contre, leur situation s'est trouvée beaucoup plus critique au semestre d'été 1941. Les nécessités de l'heure présente ont obligé l'armée à garder sous les drapeaux les hommes qui ont été libérés du service en hiver, et de renvoyer aux champs tous les cultivateurs. Nos étudiants n'ont pu, au semestre d'été, obtenir une dispense, que s'ils avaient déjà un retard d'une année dans leurs études. C'est dire que bien peu ont bénéficié de cette disposition et ce n'est pas sans angoisse que beaucoup voient venir l'époque des examens, en se demandant s'ils seront à même d'affronter les épreuves ou s'ils devront encore prolonger le terme de leur préparation.

Beaucoup d'étudiants étrangers, venus faire leurs études dans notre Maison, se sont trouvés pris par les événements, et ne peuvent retourner dans leurs pays. Ils ont été astreints au régime des camps de travail pour émigrants; mais ils bénéficient des mêmes congés que les étudiants suisses mobilisés et ne sont pas obligés d'interrompre complètement leurs études.

Ceux de nos collègues qui ont eu l'occasion de visiter des camps de travail en ont rapporté une excellente impression. Beaucoup de nos étudiants émigrants ont à coeur d'exprimer leur reconnaissance au pays qui les a accueillis, en participant avec bonne humeur aux travaux d'utilité publique qui leur sont demandés.

Plusieurs cérémonies jubilaires ont eu lieu au cours de l'année.

Ce fut d'abord le 150e anniversaire de la Société de Physique et d'Histoire naturelle, auquel l'Université s'est intéressée par la participation active de plusieurs de ses membres et par la collaboration qu'elle a donnée à la dite société pour l'installation d'une exposition rétrospective dans le hall du 1er étage.

C'est ensuite, au cours de la séance annuelle de la Société Académique, la commémoration du 200e anniversaire de la naissance d'Horace Benedict de Saussure.

A cette occasion, lors d'une séance solennelle à l'Aula, M. le professeur Collet rappela les traits principaux de la carrière scientifique de l'illustre naturaliste et M. le professeur Marcel Raymond fit une conférence sur «Horace Benedict de Saussure et la littérature alpestre».

Quelque temps plus tard, une exposition des instruments ayant servi à Horace Benedict de Saussure était l'occasion, pour MM. les professeurs Tiercy et Weigle, de montrer aux très nombreuses personnes réunies ce jour-là dans l'auditoire de physique, ce qu'avaient été les principaux résultats des investigations de de Saussure.

Le Recteur, au cours de ces deux séances, prit aussi la parole pour évoquer les étapes principales de la vie et de l'oeuvre de cet éminent citoyen.

Le 7 mai 1941, une très nombreuse assistance occupait l'Aula, jusque dans ses recoins. L'Université commémorait, ce jour-là, le 650e anniversaire de la fondation de la Confédération suisse.

A cette occasion, le professeur Paul-Edmond Martin prononça une conférence remarquablement documentée sur les origines de la Confédération. L'orchestre académique, sous la direction de M. Jean Meylan, prêtait son concours. La séance débuta par une allocution du Recteur, sur le rôle national des Universités. Le président du Conseil d'Etat, et le chef du Département de l'Instruction publique, le président du Conseil administratif, le vice-président du Grand-Conseil, le président du Conseil municipal, ainsi que les directeurs de l'Enseignement secondaire, le président de la Société Académique, honoraient, par leur présence, cette séance commémorative qui a laissé, je crois, à tous, le meilleur souvenir.

La Faculté des Sciences économiques et sociales aurait dû fêter le 25e anniversaire de sa fondation au début du semestre d'hiver 1940-41. Les circonstances internationales ont retardé cette célébration. Toutefois ce 25e anniversaire sera marqué par la publication, au cours du semestre d'été 1941, d'un volume d'Etudes économiques et sociales, dû à la collaboration de tous les membres de la Faculté. En voici le premier exemplaire.

Au mois d'août prochain, le Séminaire de français moderne atteindra l'âge de 50 ans. Cette étape déjà longue, marque le succès de l'initiative prise par Charles Thudichum, secondée par M. Bernard Bouvier, fécondée, année après année, par les enseignements réguliers et les conférences donnés par un

personnel de choix que dirigent MM. les professeurs Alexis François et Georges Thudichum. Dès maintenant, nous souhaitons au Séminaire une nouvelle étape de 50 ans, couronnée du même succès.

On sait que le professeur de Seigneux est l'inventeur d'une plastique anatomo-pathologique aujourd'hui très appréciée pour l'enseignement. Au moment où M. de Seigneux dut songer à la retraite, l'Université pensa qu'il eût été dommageable pour elle de voir cesser une activité qui nous fait honneur. Aussi, par arrêté du 17 octobre 1940, et sans qu'il n'en coûte rien au budget, un Institut de plastique anatomo-chirurgicale fut-il institué en faveur de l'inventeur de cette plastique. M. de Seigneux peut ainsi continuer ses créations et, entre autres préoccupations, enrichir les collections de la Faculté de Médecine.

Un arrêté du 13 mai 1941 instaura, à l'Université, une Ecole d'interprètes. Une telle école répondait à un besoin souvent exprimé et nous sommes heureux de signaler cet enrichissement de notre Faculté des Lettres, à laquelle est rattaché ce nouvel Institut. Nous souhaitons que l'Ecole d'interprètes attire dans notre Maison, Confédérés et Etrangers. Pour le premier semestre de son existence, nous constatons déjà un nombre réjouissant d'incriptions.

La Faculté des Sciences économiques et sociales a commencé l'impression d'une série de mémoires sous le titre:

Publications de la Faculté des Sciences économiques et sociales

Deux volumes ont paru, l'un signé du secrétaire de l'Université, M. Blanc, sur «La Chambre des Blés de Genève; l'autre de Mme Afet sur «l'Anatolie, le pays de la race turque.»

Il faut souhaiter longue vie à cette initiative qui marque d'une très heureuse façon l'activité scientifique d'une Faculté.

L'Université n'a pas beaucoup de moyens pour témoigner sa reconnaissance aux personnes qui, sous une forme ou sous une autre, lui ont rendu service. Elle ne peut offrir ni titre, ni décoration. Il lui est cependant possible d'exprimer sa gratitude avec encore antje chose que des mots.

Au cours de l'année, elle a remis deux exemplaires de la belle médaille dont elle dispose. Et j'ajoute que la rareté d'un tel geste lui donne sa valeur. L'une de ces médailles a été décernée à M. Guillaume Fatio, l'autre à M. Georges Thudichum. Tous deux, pour des raisons diverses, méritaient — et bien au delà — un tel remerciement de notre part.

On se rappelle qu'environ 30.000 hommes des troupes françaises furent internés en Suisse.

Parmi eux un assez grand nombre d'intellectuels furent groupés en des camps d'étudiants. Genève fut chargée de la Faculté des Sciences de Berthoud, et notre collègue, M. Henri Fehr, nommé Doyen de ce groupe. Celui-ci manifesta une féconde activité. 10e nombreuses leçons et conférences furent données par des professeurs de carrière, ou improvisés, figurant dans les rangs de l'armée française, et aussi, par des professeurs appartenant aux Universités de Lausanne, Neuchâtel et Genève.

Nous avons tous gardé les meilleurs souvenirs des rapports

que nous entretînmes avec nos collègues français et leurs élèves. Et je crois qu'eux aussi ne chercheront pas à rapidement nous oublier.

La Maison internationale des Etudiants a continué son heureuse carrière. Elle rend, il faut y insister, de grands services à l'Université et j'ajoute, après avoir entendu la lecture, par M. Guillaume Fatio, d'un rapport annuel sur la marche de cet établissement, que le pays tout entier peut bénéficier de l'activité de ce foyer accueillant.

Il est à souhaiter que la Maison internationale des Etudiants sorte enfin des difficultés économiques qui, un jour ou l'autre, risqueraient d'entraver — ou même d'arrêter — sa nécessaire activité.

L'Université et ses amis doivent faire en sorte qu'apparaisse enfin, pour la maison dont je parle, le sentiment d'une sécurité définitive. Pour y arriver, ii ne suffirait que d'une chose: d'un peu de cette matière dont dispose le dieu Plutus. Je souhaite que quelqu'un, en coquetterie avec la mythologie, arrive à convaincre ce dieu!

L'Université tient à remercier, par ma voix, Mlle Balmer, M. Guillaume Fatio et tous leurs collaborateurs pour les soins qu'ils accordent à la Maison internationale des Etudiants et je remercie aussi les membres du Comité qui vouent tous leurs efforts à maintenir pour nous cette utile institution.

Je ne saurais, à cette place, oublier d'exprimer notre gratitude à Mlle Mathilde Gampert, dont l'activité altruiste permet, au Foyer des étudiantes de l'avenue Henri Dunant, de continuer à rendre les grands services que nous nous plaisons à reconnaître.

Comme de coutume, l'Université a organisé une soirée de réception des nouveaux étudiants. Elle eut lieu le 17 décembre dernier, dans la Maison internationale de la rue Colladon, dont le cadre est si bien approprié pour une telle manifestation.

Ce fut, au dire des assistants, une soirée en tous points fort réussie. Son succès doit être attribué — je les indique dans l'ordre du programme — à un groupe d'étudiants et d'amateurs qui jouèrent un acte de Marivaux, la Dispute; à M. le professeur Cheridjian et à Mme Marie Panthès. Je remercie encore très vivement pianiste, chanteur, metteur en scène, comédiens.

La situation économique actuelle, si douloureuse pour tous, oblige l'Etat à se faire Harpagon partout où il peut l'être. Et, pour ce qui nous concerne, nous comprenons et — douloureusement — nous acceptons.

Mais ces économies ne se font pas sans troubler la marche de l'enseignement.

En ce moment-même, d'importantes modifications de locaux sont rendues obligatoires par le transfert du laboratoire de pharmacognosie, jusqu'alors installé Boulevard du Pont d'Arve. Pour se plier à ces dures circonstances, la Faculté des Lettres et la Faculté de Droit ont abandonné des salles de cours et de conférences — et cela a jeté un certain désarroi dans notre organisation intérieure. L'Université, je dois l'affirmer, ne pourrait plus subir de nouvelles amputations de locaux. Nous avons même été au-delà de nos possibilités. Heureusement que le chef du Département de l'instruction publique n'est pas que le grand maître nominal de l'Université. Il a passé lui-même plusieurs années dans cette Maison, et il en sait, aussi bien que nous, tous les besoins. D'autre part, nous connaissons sa bienveillante compréhension.

A cause de cela même, je me permets de lui adresser une supplique autour de nous les Universités s'organisent pour l'après-guerre. Elles aspirent à un meilleur équipement de

leurs instituts, de leurs cliniques, de leurs laboratoires. Elles cherchent, chacune d'elles, à bâtir une Maison qui encourage les étudiants au travail, en leur fournissant des moyens de recherches perfectionnés. Il ne faudrait pas, sur un tel chemin, nous laisser trop devancer.

Depuis bien des années, cette salle de l'Aula, dans laquelle nous tenons présentement séance est, cruellement, et à juste titre, critiquée. Reconnaissons qu'elle est lugubre. On lui a donné, l'an dernier, par les fresques de son entrée, un aspect engageant. Bientôt les vitrages qui sont devant vos yeux seront, en partie, remplacés par de très beaux vitraux — nous les avons vus — dus au talent de M. Cingria.

A cette heure, l'Université fait la toilette de ses façades. Puis-je dire que celles-ci en avaient besoin? Mais, que de plaintes légitimes sont parvenues au Recteur, de la part des professeurs obligés de donner des cours au milieu de coups de marteaux incessants. On m'a assuré, en haut lieu, qu'il était impossible d'exécuter ces travaux à une autre saison. Et c'est la seule réponse que j'aie pu donner à ceux qui avaient toute raison de se plaindre.

Et, puisque je parle des plaintes qui m'ont été adressées, je ne dois pas oublier celles qui avaient pour objet l'accumulation des bicyclettes — y compris la mienne — contre les murs et les bords des trottoirs. Dans la mauvaise saison, il y a là

un véritable danger; il est arrivé, certains jours, où l'encombrement était maximum, que des passants, la nuit venue — elle vient tôt en hiver — sont tombés sur des machines qu'ils ne voyaient pas dans l'obscurité et se sont blessés. N'y aurait-il pas moyen de construire un garage dans quelque endroit approprié?

L'Université, cette année, a été favorisée de dons généreux. Nous pouvons marquer ces deux semestres par un caillou blanc. Vers la fin de l'année dernière, Mmc Gourfein-Welt, en souvenir de son mari qui fut, pendant de longues années, professeur à la Faculté de Médecine, remettait à l'Université une somme de 50.000 fr. pour créer une bourse et un prix destinés à aider, ou à récompenser, des étudiants se vouant aux recherches de biologie.

Au début de cette année même, Mme Nathalie Lebedinsky, en souvenir de son mari, M. Jacques Lebedinsky, ancien professeur de sciences naturelles à l'Université d'Odessa, remettait à l'Université de Genève une somme de 25.000 fr. dont les intérêts serviront à créer une bourse en faveur d'un étudiant suisse poursuivant des recherches de sciences naturelles et biologiques.

Et hier, exactement, Mmc Nathalie Lebedinsky augmentait encore sa générosité, en faisant don d'une somme de 14.000 fr. pour créer une bourse, dans les mêmes conditions que la première, mais en faveur, cette fois-ci, d'un étudiant appartenant aux disciplines de la physique, des mathématiques, de l'astronomie.

La Faculté des Sciences économiques et sociales, de son côté, a reçu un don précieux: M. André de Maday, ancien directeur de la Bibliothèque du B.I.T. a remis à la Faculté, un très grand nombre d'ouvrages, de brochures et de revues. C'est là pour les étudiants, — et aussi pour les professeurs — une source précieuse de documentation dont il faut chaleureusement remercier M. de Maday.

Une triple subvention nous a permis de maintenir au programme le cours de langue et littérature rhéto-romanes. Elle provient de la Société Académique, de la Fondation Cadonau et de M. Félix Calonder, ancien conseiller fédéral.

Je viens de citer la Société Académique. Elle est notre bienfaiteur le plus généreux. Sans les soins éclairés dont elle nous entoure, nous ne pourrions faire face aux obligations qui incombent à de nombreux enseignements. Je suis heureux de pouvoir le dire publiquement à son Président qui veut bien être parmi nous à cette heure.

Et puisque j'en suis au paragraphe des dons faits à l'Université, j'ajoute que le Département de l'instruction publique a bien voulu nous remettre une collection des oeuvres de Ramuz, de la nouvelle édition que vous savez.

Au nom des professeurs, et aussi au nom des étudiants actuels et futurs, je tiens à dire encore une fois aux auteurs de ces largesses, notre vive gratitude.

Enfin, j'ai le plaisir de vous informer que la famille du professeur Hector Cristiani a remis à l'Université le buste de notre regretté collègue. L'inauguration de ce buste aura lieu prochainement.

Ce rapport s'est allongé bien au delà de ce que j'imaginais, bien au delà de ce que j'espérais. J'aurais bien voulu mettre ici autre chose que des rappels administratifs, quelque chose qui soit plus en rapport avec les heures angoissantes que nous vivons.

En terminant ce compte rendu, je veux adresser nos pensées les plus reconnaissantes à nos étudiants-soldats et, par eux, — ils seront, je sais, des interprètes fidèles — à tous les soldats du pays, qui font une chaîne ininterrompue autour de la Patrie. Si, aujourd'hui, nous pouvons tenir séance, si je puis rappeler une activité qui, au cours de deux semestres, ne fut pas inutile, si nous pouvons émettre des souhaits, ambitionner de nouvelles perspectives, n'oublions pas que nous devons cette

sécurité relative à ceux qui, sous le casque et le gris-vert, gardent nos frontières, à des centaines de milliers d'hommes qui, tous, ont fait des sacrifices — parfois extrêmement lourds — de temps, d'argent, de santé, pour que vive la Patrie, pour que nos traditions, transmises depuis 650 ans, au travers de tant d'alarmes, ne soient pas bousculées ou anéanties. Ils sont le bouclier derrière lequel notre vie civile a pu continuer. Ils ont gardé l'unité de la nation, élevé la conscience de ce que valent pour nous — et aussi pour les autres — nos libertés. C'est à leur obéissance aux ordres du Pays, à leur discipline, à leur énergie, à leur sentiment du plus haut devoir — il est bien ici la plus grande des vertus — qu'ils ont maintenu, chez nous, cette disposition de l'âme — nous la voulons inscrite en nous, dans notre chair même — qui permet encore de croire, et, contre toute attente, semble-t-il, d'espérer.

Les jours qui viendront nous promettent sans doute plus d'austérité que les jours que nous avons vécus ; peut-être aussi de très lourdes épreuves. Nous, gens de l'arrière, nous avons un double devoir: laisser dormir nos passions partisanes; récriminer le moins possible contre ceux qui ont pris le souci de guider nos pas; augmenter sans cesse notre amour pour le Pays.

Dans ces jours sombres, la Patrie ne doit pas avoir un autre visage que celui façonné par notre esprit dans les plus belles heures.