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Séance d'installation du recteur et de deux professeurs ordinaires

du 26 octobre 1944

DISCOURS DE M. LE

PROFESSEUR ROGER SECRETAN
recteur sortant de charge
Monsieur le conseiller d'Etat,

Mes chers collègues, Messieurs les étudiants

et Mesdemoiselles les étudiantes,

Mesdames et Messieurs,

Prendre congé est, pour le recteur sortant de charge, plus difficile qu'inaugurer ses fonctions. Non pas, comme on pourrait le croire, qu'il regrette les fastes (pourtant bien modestes) auxquels il participa, car le soulagement, la satisfaction de la tâche achevée, le plaisir de pouvoir, bientôt, se vouer à nouveau complètement à son enseignement, l'emportent de beaucoup sur les autres impressions. Mais, au moment où il était intronisé, le recteur, même s'il n'avait pas ambitionné sa charge, l'acceptait avec espoir mêlé de crainte; sa profession de foi était teintée d'optimisme. Lorsque, deux ans s'étant écoulés, le recteur dépose son fardeau, il a commis des erreurs, il a perdu quelques illusions, il a souffert cruellement de la lourdeur de ses fonctions et d'une organisation intérieure périmée. Alors, contemplant le chemin parcouru, il voit surtout ce qu'il n'a pas pu réaliser.

Et cependant, ce n'est pas qu'il ne se soit rien passé pendant ces deux ans. La chronique de l'Université, que vous venez d'entendre, atteste que, comme l'a dit M. le conseiller d'Etat, on a travaillé dans cette maison, passablement travaillé, même ; nombreux ont été les événements et les transformations, les innovations dont on veut croire qu'elles constitueront des progrès. Mes remerciements vont donc à tous ceux qui m'ont aidé à accomplir ma tâche: à M. le prorecteur Marchand tout d'abord, qui a bien voulu, avec infiniment de complaisance, me décharger de ce qui se rapportait à la revision du règlement général et qui m'a remplacé pendant mes périodes de service militaire; puis à MM. les doyens et directeurs, représentants diligents de leur Faculté ou Ecole; à M. le chancelier Bonnard, dont le zèle est sans bornes et l'activité considérable; au personnel du secrétariat, toujours si dévoué et si complaisant pour le recteur; enfin à notre ancien huissier, M. Henry, qui a dû récemment quitter son poste, pour raisons de santé et auquel je souhaite, ainsi qu'à son épouse, une heureuse retraite. Le recteur est heureux, d'autre part, d'exprimer sa gratitude très vive à M. le chef du Département de l'instruction publique, chez lequel il a toujours trouvé aimable accueil et fine compréhension des besoins et de l'esprit de l'Université. La vie du recteur n'est supportable que grâce à l'appui constant qu'il trouve auprès de son conseiller d'Etat

et auprès du chef du 3e Service, M. Guignard, ainsi que de ses secrétaires, MM. Brunner, Gallay et Bron.

Dans cette époque, d'où sont bannies toutes les occasions de représentation extérieure, la tâche du recteur nous avait paru revêtir trois aspects principaux: Assurer, tant au point de vue enseignement qu'au point de vue équipement, la marche de l'institution, dont le but essentiel est de modeler les jeunes intelligences qui lui sont confiées et de former des hommes cultivés et maîtres de leur spécialité. Puis: faire mieux connaître l'Université au dehors, établir des contacts indispensables et s'assurer certains appuis. Enfin: maintenir entre les professeurs et les étudiants une atmosphère de confiance et d'amitié.

En ce qui concerne le premier point, disons d'emblée que la période universitaire qui vient de se clore a heureusement été marquée de progrès certains, Grâce à la hauteur de vues du Conseil d'Etat et du Grand Conseil, plusieurs enseignements essentiels ont pu être assurés dans de meilleures conditions et, d'autres, utiles, ont été introduits. Les autorités du pays, en dépit des circonstances difficiles, n'ont jamais, durant ces deux ans, refusé à l'Université ce que celle-ci démontrait être indispensable. Nous sommes particulièrement heureux que, grâce au vote du Grand Conseil, du 8 février 1943, le problème, depuis si longtemps en suspens, des bâtiments de l'Ecole d'ingénieurs, ait reçu une solution déclarée, en dépit des critiques, excellente par l'Université, première intéressée. C'est aussi sous le rectorat qui vient de finir qu'ont été ouverts l'Ecole d'architecture et d'urbanisme et le très moderne Institut d'anatomie pathologique, rendu possible par les libéralités de feu le professeur Spengler. Des laboratoires annexes de chimie ont été installés dans un immeuble de la rue Vuillermet. Et, bientôt, nous pourrons inaugurer le jardin botanique suspendu aux flancs de la colline de Montriond. Tout ceci constitue de belles réalisations à l'actif de ces deux années. Nous en sommes profondément reconnaissant à tous ceux — individus ou pouvoirs publics — qui en furent les artisans. Nous pensons particulièrement, en ce qui concerne les professeurs, à M. le directeur Stucky et M. le chancelier Bonnard, â MM. les doyens Cosandey et Placide Nicod et aux professeurs de la Faculté de médecine. Car ces réalisations ne nous font pas oublier ce qui nous manque encore, déficits auxquels les collègues que je viens de nommer ont tout fait pour parer; je pense à la nouvelle Ecole de médecine, devenue indispensable, à l'Ecole de chimie, à la Bibliothèque cantonale. Mais les résultats acquis nous permettent d'avoir confiance et d'espérer que ces problèmes brûlants seront résolus dans un avenir très prochain, si possible sous le rectorat de M. Rosselet.

Sur le second des principes énoncés plus haut, on sera d'accord, pensons-nous, pour dire qu'actuellement plus que jamais, l'Université doit éviter de se replier sur elle-même. Il faut saisir toutes les occasions d'intéresser le public à ce qui se passe ici, de faire comprendre le caractère, les tendances et le but des études supérieures, de montrer tout ce qu'on y pourrait entreprendre de

beau et de grand si l'on était soutenu et stimulé. L'Université doit être présente, pour se faire connaître, et, par là, désarmer la méfiance.

Un troisième pilier de l'activité universitaire nous a paru être, disions-nous, l'établissement et le maintien de relations plus étroites et plus amicales entre les professeurs, singulièrement le recteur, et les étudiants. Dans notre discours d'il y a deux ans, nous exprimions notre désir de diriger une Université où régnerait l'ordre et où l'on travaillerait, certes, mais aussi où étudiants et professeurs seraient unis par la confiance et la sympathie, où l'atmosphère serait oxygénée, où il y aurait du coeur et de la générosité d'esprit. Ce désir, nous le disons avec joie, a été réalisé en très grande partie. Le recteur sortant de charge a entretenu des rapports particulièrement agréables et confiants avec le comité et les commissions de l'Association générale des étudiants, notamment avec ses présidents successifs MM. Baechtold et Ceresole, ainsi qu'avec le Turnus, les sociétés d'étudiants et les étudiants individuellement. Cette bonne harmonie qui a régné entre la direction de l'Université et les étudiants a été pour le recteur une grande satisfaction et un précieux encouragement. Il faut comprendre les étudiants; la vie n'est pas toujours facile pour eux. La plupart voient leurs études hachées et même parfois compromises par les périodes toujours plus fréquentes de service militaire. Si nous comprenons la nécessité de ces sacrifices et si nous devons nous estimer bien heureux qu'ils soient limités à cet ordre-là, il n'en reste pas moins que la charge militaire devient sensiblement plus lourde pour les jeunes gens d'aujourd'hui qu'elle ne l'était pour leurs devanciers de l'époque 1914-1918. Certains de nos étudiants totalisent actuellement 700, 800, voire 900 jours de service militaire, et très nombreux sont ceux qui ont 300 à 500 jours derrière eux. Aussi les Facultés ont-elles presque toutes pris des mesures exceptionnelles pour faciliter à ces étudiants longuement mobilisés la présentation de leurs examens, notamment sous la forme de sessions extraordinaires d'examens et du fractionnement des grosses épreuves, afin que puissent, par contre, être maintenues les exigences relatives à la qualité du travail et des examens. La vie n'est pas facile non plus pour beaucoup d'étudiants du fait des circonstances économiques. Un très grand nombre d'entre eux sont obligés, à côté de leurs études, de gagner leurs frais d'écolage, souvent leur subsistance, et par divers moyens autres que les classiques leçons données aux collégiens: certains ont été charger de la lignite et pousser des vagonnets dans les mines des environs de Lausanne; un autre a fait des appartements à fond. Et, en me remerciant d'avoir prolongé pour lui le délai de paiement des finances de cours, ce jeune étudiant ajoutait: «C'est parfois dur de chercher un peu partout de quoi gagner son semestre, mais on apprend alors à apprécier les cours à leur juste valeur».

Il est encore un point que je me dois d'aborder: il concerne l'entraide universitaire internationale et la part qu'y a prise notre Université. Tout à l'heure, le représentant des étudiants vous parlera plans d'avenir. Pour le présent, je me bornerai à signaler que, conscients des privilèges dont ils jouissent, nos étudiants comme leurs professeurs ont tenu à apporter leur contribution au Fonds européen de secours aux étudiants, si bien dirigé à Genève par M. André de Blonay. Les quelque 5500 francs produits, en trois semestres, par le timbre apposé facultativement sur les livrets de nos étudiants lausannois, comme les

11.000 francs recueillis en trois ans chez les professeurs, chargés de cours et privat-docents, ont permis, entre autres, d'alimenter en livres deux Universités de captivité et d'envoyer quelque subsistance aux étudiants et professeurs grecs souffrant de la famine. La collaboration du Fonds européen de secours a aussi été utile lorsque est survenu, il y a un an, l'afflux de réfugiés civils et d'internés militaires. Les premiers ont été environ 160 et les militaires sont venus au nombre de 250 approximativement. Deux mots d'explications ne seront peutêtre pas inutiles à ce sujet:

Comme les autres Universités romandes, nous avons estimé de notre devoir d'accueillir les réfugiés et les internés auxquels l'autorité fédérale accordait la permission de reprendre leurs études. La tâche des Universités n'est-elle pas d'essayer de sauver des intelligences? Peut-être un de ces jeunes Israélites sera-t-il un Spinoza? ou, simplement, quelques-uns de ces étudiants deviendront-ils des hommes de mérite, utiles à leur pays, voire au nôtre; le général Dufour n'est-il pas lui-même né réfugié, à Constance?

D'autre part, en venant en aide aux' intellectuels réfugiés, l'Université ne fait que se conformer à la tradition suisse de l'asile. Plus particulièrement, le sort et la raison d'être de nos Universités romandes est de constituer des lieux de rencontre, des points de confluence, ce qui se traduit par une proportion parfois considérable 'd'étudiants étrangers.

Une des légendes les plus coriaces veut que beaucoup de ces internés n'aient, en réalité, pas été des universitaires. Mais, à l'encontre, nous pouvons affirmer que l'autorisation d'étudier n'a été accordée qu'après de minutieuses vérifications et des examens. L'erreur est humaine, et il arrive à chacun de se tromper. On est cependant en droit d'affirmer que le choix des réfugiés et internés admis à l'Université a été entouré de toutes les précautions possibles pour que, d'une part ne soient accueillis que des universitaires dignes de cette faveur et que, d'autre part, aucun préjudice sensible ne résulte de leur présence dans nos Facultés.

Certes, l'intégration de ces nouveaux étudiants dans notre organisme n'a pas été sans difficultés et sans graves soucis pour le recteur, le chancelier, les doyens et les directeurs. Ces réfugiés avaient souvent perdu depuis longtemps le contact avec les études. Il a fallu organiser le raccordement des programmes; nous avons pu bénéficier, à cet égard, du concours de professeurs étrangers réfugiés; je voudrais dire tout particulièrement ma reconnaissance à notre collègue, M. Colonnetti, recteur de l'Ecole polytechnique de Turin.

Sans doute a-t-on souvent trouvé nos hôtes sympathiques, mais un peu envahissants. Il faut cependant relever que, chaque fois qu'un fait concret a été articulé, il s'est révélé, à l'enquête, être un pur racontar, et qu'aucune plainte fondée n'est parvenue sur la conduite de ces étudiants étrangers; il nous est même arrivé de recueillir des appréciations fort élogieuses, de la part de personnes appelées à côtoyer nos universitaires internés. L'évolution de la guerre semble devoir provoquer une notable diminution de ces hôtes. Nous en sommes heureux pour eux, et nous espérons qu'ils conserveront quelque souvenir de la Suisse et, peut-être, aussi, un peu d'amitié pour elle.

Monsieur le recteur Rosselet,

Le règlement général de l'Université dispose à son article 73, que «le recteur est présenté aux étudiants, en séance publique du Sénat, par le recteur

sortant de charge.». C'est de cette tâche agréable que je vais m'acquitter pour finir, en m'inspirant, d'ailleurs, outrageusement, du discours que vous adressait en 1941 M. le chef du Département, lors de votre élévation à l'ordinariat.

Votre carrière, si belle, si unie et si remplie, qui trouve aujourd'hui son couronnement, se caractérise par votre double préparation, scientifique et médicale, vos deux doctorats, et l'enseignement de la radiologie, que vous avez créé de toutes pièces ici. Né en 1887 dans ce canton de Neuchâtel auquel vous êtes resté attaché, vous avez conquis à Lausanne votre baccalauréat puis, en 1907, votre licence ès-sciences physiques et naturelles, et, deux ans plus tard, le doctorat. Vous allez à Paris, compléter vos études au Collège de France, au Muséum d'histoire naturelle, à la Sorbonne et à l'Institut Pasteur. Puis vous travaillez à Leysin, avec le Dr Rollier, vous faites dans l'enseignement secondaire un bref passage, et vous devenez assistant au laboratoire de physique de notre Université.

C'est alors, en 1912, que, conseillé par votre maître et ami, le Dr Rollier, vous vous décidez à entreprendre de nouvelles études, des études de médecine. Etudes que vous menez vigoureusement, en homme de science expérimenté, puisque le doctorat vous est décerné en 1918 déjà. A Genève, vous devenez chef du service de radiologie et de physiothérapie de l'Hôpital et privat-docent de radiologie à l'Université de cette ville. Puis, après avoir pratiqué la médecine à Leysin, avec le Dr Rollier, vous acceptez, en 1922, la charge de chef du service de radiologie de l'Hôpital cantonal vaudois. Privat-docent de radiologie en 1923, professeur extraordinaire en 1926, doyen de la Faculté de médecine de 1940 à 1942, professeur ordinaire en 1941, vous voilà aujourd'hui notre recteur.

Vos publications scientifiques, mon cher collègue, sont nombreuses et leur apport régulier; elles portent sur les sujets les plus variés touchant votre spécialité. Cette activité scientifique et votre enseignement devaient tout naturellement vous créer une place en vue dans nombre d'associations suisses et étrangères. Vous avez, notamment, présidé la Société vaudoise des sciences naturelles, la Ligue nationale suisse contre le cancer et la Société suisse de radiologie. Vous avez été, en 1924, un des fondateurs du Centre anticancéreux romand et vous êtes membre correspondant de la Société italienne de radiologie. C'est enfin à votre initiative que l'on doit la première Conférence internationale de la lumière, qui s'est réunie à Lausanne en 1928 et qui groupa dans notre ville de nombreux savants suisses et étrangers. Aussi bien êtes-vous devenu le président d'honneur du Comité international de la lumière.

En vous appelant à sa présidence, le Sénat a donc entendu honorer un savant. Mais il sait aussi qu'il a mis à la tête de l'Université un homme de coeur et de conscience, une personnalité et un caractère indépendant, qualités indispensables à celui qui, dans des temps qui ne s'annoncent pas faciles, aura pour tâche de défendre les droits de la libre recherche scientifique et de l'enseignement, comme aussi de veiller aux intérêts de nos étudiants. C'est pourquoi, en vous félicitant de votre élection et en vous souhaitant un brillant rectorat, suis-je heureux de vous dire la confiance dont vous entourent le corps professoral et l'ensemble des étudiants. Nous savons les destinées de l'Université en de bonnes mains.

J'ai dit.