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• ALLOCUTION DU RECTEUR

M. le professeur Antony BABEL
A LA SÉANCE DU DIES ACADEMICUS
le 6 juin 1945

PLUSIEURS de mes collègues, au moment où ils me félicitaient amicalement de mon accession à la charge que j'ai l'honneur d'occuper aujourd'hui, ont émis le souhait que mon rectorat soit celui de La paix enfin reconquise.

Leur espoir a été en partie réalisé. La guerre, en Europe tout au moins, a interrompu le cours de ses brutalités, de ses tueries et de ses destructions. Est-ce à dire que nous sommes entrés dans l'ère de la paix? Pas encore, hélas! Nous nous trouvons dans un état indéterminé, dans une période de transition pleine d'embûches et de dangers, d'instabilité et même, pour beaucoup, de souffrances.

Une fois de plus, nous devons, à l'instant où les différents pays de l'Europe établissent le tragique bilan de leurs deuils, de leurs misères, de leurs ruines matérielles et morales, bénir Dieu de nous être tirés à aussi peu de frais d'une aventure qui aurait pu se terminer pour nous de plus dramatique façon.

On se prend à songer en particulier au sort de beaucoup d'universités. Au cours de la tourmente, certaines ont été détruites de fond en comble. D'autres seront paralysées, pour un temps plus ou moins long, par les dévastations dont elles ont été les victimes. Qu'on se représente les murs à édifier, les salles à meubler, les laboratoires en quête d'équipement, les bibliothèques à la. recherche de livres dont beaucoup sont introuvables.

Peut-être les universités qui n'ont que des ruines matérielles à relever ne sont-elles pas les plus à plaindre. Le sort est autrement tragique de celles qui ont été atteintes dans leur esprit et dans leur âme, de celles qui, sous l'empire des idéologies, des passions, des intérêts ou de la peur, ont renié les traditions académiques, l'idéal de libre recherche scientifique, le respect de la personnalité humaine, pour se plier aux injonctions d'un pouvoir que les unes ont admiré et les autres subi.

Nous n'oublions pas d'ailleurs que les universités qui, comme la nôtre, ont été épargnées par le sort, n'ont pas à s'ériger en juges. Leur devoir, les hostilités étant terminées, c'est d'obéir à l'appel de la solidarité, à l'esprit de communauté qui doit unir toutes les hautes écoles. Puisque leurs forces sont intactes, elles doivent, dans la mesure de leurs possibilités, aider matériellement leurs soeurs dans le besoin en leur faisant parvenir en particulier les éléments qui leur permettront d'opérer un nouveau départ. Car il s'agit, après cinq ou six ans de désorganisation des études académiques, de ne pas perdre un jour.

Mais il est une chose qui est encore plus nécessaire qu'un appui matériel. Les universités victimes de la guerre ont besoin de sympathie, de l'expression de sentiments humains, qui leur permettront de recréer le climat moral dans lequel elles doivent renaître et se développer. C'est ainsi que les écoles suisses — ce qui est d'ailleurs chose toute simple et naturelle — ont compris leur devoir. Toutes, elles s'intéressent à l'une ou l'autre des universités qui sont dans la peine. Genève, pour sa part, a pris la décision d'aider, dans les modestes limites de ses moyens, les facultés de Lyon, s'inspirant des traditions historiques et des rapports de bon voisinage qui unissent les deux cités.

Une visite m'a permis de me rendre compte des dégâts qu'avait subis l'Université de Lyon du fait des bombardements alliés, puis de la destruction des ponts du Rhône par les occupants au moment de leur départ. Laboratoires, bibliothèques et auditoires dévastés, livres, instruments et collections

détruits, vitres brisées: tel est le bilan, très incomplet, de la guerre pour les facultés lyonnaises. Avec courage, elles se sont remises à l'oeuvre, l'hiver dernier déjà, improvisant des salles de cours, remplaçant les vitres par du papier, faisant des prodiges d'ingéniosité.

Nous avons cherché à satisfaire quelques-uns des besoins les plus urgents de l'Université de Lyon. Des produits chimiques, des livres, sont partis. D'autres suivront encore, et aussi des instruments de physique. Un envoi d'un millier de m2 de verre à vitre est en préparation. Mais ce qui a paru le plus urgent, dans notre action de secours — M. le Recteur Allix me le faisait remarquer lors de ma visite —c'est l'expédition de vivres aux trois restaurants universitaires dans lesquels beaucoup d'étudiants prennent leurs repas. Or ils y sont nettement sous-alimentés. Nous avons tenté un effort dans ce sens et nous le poursuivrons.

M. le Recteur Allix a bien voulu écrire à ce sujet: «Grâce à ce don généreux des étudiants de Genève à leurs camarades lyonnais, ceux-ci recevront un appoint substantiel de nourriture, particulièrement appréciable en ces temps de disette où la sous-alimentation commune à tous les. Français menace dangereusement leur santé et leur intégrité intellectuelle.

Demain, dans une France ressuscitée, les étudiants d'aujourd'hui devenus les cadres de la nation, auront une lourde tâche. Déjà ils contribuent vaillamment au redressement du pays, assistés avec sympathie par leurs amis suisses qui prouvent une fois de plus que la solidarité humaine n'est pas un vain mot et que l'amitié internationale s'exerce également dans la grande famille universitaire.»

D'ailleurs, dans notre esprit, cette action de solidarité pourra s'étendre, dans la mesure où nos moyens nous le permettront, à d'autres universités, à d'autres pays.

Pour subvenir à ces frais, nous avons ouvert une souscription. Elle a donné des résultats d'autant plus appréciables que les Genevois ont été sans cesse sollicités de mille manières en faveur d'oeuvres qui sont toutes d'une utilité, d'une urgence incontestables. Professeurs, privat-docents, anciens étudiants,

amis de l'Université, Français fixés à Genève ont rivalisé de générosité. La Ville de Genève a bien voulu destiner à notre souscription 6.000 francs, pris sur la somme qu'elle a votée en faveur du Don Suisse. Que MM. les conseillers administratifs et leur président, M. Marcel Raisin, veuillent bien accepter les sentiments de vive gratitude de l'Université.

Mais cette action en faveur de Lyon a été aussi en grande partie l'oeuvre des étudiants eux-mêmes. Avec un dévouement, un sens de la solidarité qui nous ont beaucoup touchés, ils ont mis toutes leurs forces et tout leur coeur au service de leurs camarades lyonnais. Comment ne pas signaler l'action extraordinairement efficace entreprise par l'Association générale des étudiants, soutenue d'ailleurs par plusieurs sociétés portant couleurs. Le comité de l'Association générale a organisé en particulier une vente d'insignes qui a rapporté plus de 8.000 francs de bénéfice net. De remarquables conférences ont été aussi offertes au public, celle du Dr Mazel, professeur de médecine légale à l'Université de Lyon, celle de notre collègue, M. le professeur J.-A. Weber: à un grand intérêt scientifique, elles ont ajouté des résultats financiers substantiels.

Des concerts sont encore prévus. Dans quelques jours, dans cette aula, grâce à la grande compréhension de M. René Dovaz, directeur de Radio-Genève, M. Edmond Appia et l'Orchestre de la Suisse Romande exécuteront le «Dardanus» de Rameau: ce sera un des événements marquants de la saison musicale genevoise. M. Eric Schmidt, organiste, et M. Jean Meylan, à la tête d'«Ars Viva», convient également le public genevois au Temple de St-Gervais. Et d'autres manifestations encore s'ébauchent.

Les rapports de l'Université et des Facultés avec les groupements qui réunissent ceux qui furent leurs élèves ont été confiants et fructueux. On ne saurait trop dire combien le rôle de l'Association des anciens étudiants, de l'Association

des étudiants et anciens étudiants de la Faculté des sciences économiques et sociales, de l'Association des anciens étudiants de la Faculté des Lettres, a été utile à notre maison. Elles maintiennent un contact entre des intellectuels qui ont puisé aux mêmes sources du savoir, mais que les années et les circonstances de la vie tendent souvent à séparer; elles établissent aussi une continuité entre les générations; elles sont un élément de permanence.

Sans doute, lorsque les circonstances internationales seront redevenues normales, ces associations pourront-elles reprendre une de leurs tâches essentielles: renouer des liens entre nos anciens étudiants étrangers, dispersés dans le monde, séparés longtemps par des oppositions idéologiques et nationales. Elles pourront contribuer à faire refleurir, s'inspirant des traditions de notre école, un esprit que l'on pourrait appeler aussi l'esprit de Genève.

Quant à la Société académique, elle continue à assumer avec bonheur la fonction que ses fondateurs lui avaient assignée. Chaque année, la dette de reconnaissance que l'Université a contractée à son égard augmente. A vrai dire, ce poids n'est guère gênant pour nous, tant la Société Académique sait mettre de délicatesse et de discrétion dans les appuis, souvent décisifs, qu'elle apporte aux facultés. J'ai eu déjà l'occasion de dire à M. Gustave Hentsch, président sortant de la Société Académique, et à son comité, la gratitude profonde de l'Université. Nous savons que nous trouverons auprès du nouveau président, M. Bernard Naef, le même sympathique concours qu'auprès de M. Hentsch.

La Maison internationale des étudiants est devenue depuis peu la propriété de l'Etat. Grâce à la compréhension des autorités cantonales, les locaux du rez-de-chaussée de cette sympathique maison patricienne ont été aménagés avec autant de confort que d'agrément. Ils servent notamment à l'Ecole d'interprètes dont le succès va grandissant.

Quant à la Maison proprement dite, elle se fait toujours plus accueillante. Le dévouement de M. Guillaume Fatio, le talent de Mlle Violette Balmer, qui est une maîtresse de maison accomplie, en ont fait un foyer indispensable à la vie universitaire. Conférences, assemblées, concerts, réceptions, se multiplient dans ses salons. Nous sommes heureux de penser que, grâce au désintéressement des Départements de l'Instruction publique et des Travaux publics, le loyer de la Maison internationale a pu être singulièrement allégé. Ainsi une des préoccupations — que dis-je? une des menaces — qui assaillaient le comité et qui rendaient précaire l'existence même de l'institution a disparu.

L'Université tient aussi à exprimer ses sincères remerciements à Mlle Mathilde Gampert qui dirige avec tant de discret et intelligent dévouement le Foyer des étudiantes de l'avenue Henri-Dunant.

L'Université a été, cette année encore, l'heureuse bénéficiaire de plusieurs libéralités. La souscription ouverte grâce aux initiatives de M. le conseiller d'Etat Adrien Lachenal, de M. Georges Lemaître, président du Conseil d'administration de la Société des Instruments de Physique, de M. le professeur Weigle et de la Société Académique en faveur du Fonds pour l'Institut de physique a réuni la somme magnifique de 230.000 francs, versée par une douzaine de donateurs. Un concours a été ouvert entre architectes; les plans ont déjà été exposés. La construction semble donc proche. L'Université a remis, en modeste témoignage de sa tratitude, la monumentale «Histoire» de Charles Borgeaud à chacun des souscripteurs.

M. le Dr Raoul de Seigneux, professeur honoraire, a bien voulu faire don à la Faculté de médecine des précieuses installations de son institut de plastique anatomo-chirurgicale. Il permet ainsi de continuer la préparation de ses admirables moulages qui rendent de si grands services à toutes les branches de l'enseignement médical.

La Faculté de médecine a été aussi l'heureuse bénéficiaire d'un don de M. Plontz, en hommage à la Suisse. Il lui a offert une belle statue qui sera prochainement expédiée par les soins de notre légation à Paris.

Enfin, il y a quelques jours, un généreux donateur qui désire garder l'anonymat a fondé coup sur coup deux prix. Il a offert à l'Université deux sommes de 13.000 francs chacune dont les intérêts seront affectés à la distribution, tous les trois ans, du Prix Judaïca A.N. d'une part et du Prix d'esthétique et de morale A.N. d'autre part.

Que tous ceux qui ont témoigné ainsi d'une façon tangible leur attachement à notre Université soient sûrs qu'ils ont acquis des titres durables à sa reconnaissance.

L'Université de Genève possède une soixantaine de fonds dont quelques-uns sont très richement dotés. Mais presque tous ont des affectations spéciales: prix de concours, bourses, aide à un laboratoire, etc. De telle sorte que l'Université se trouve dans bien des cas, malgré ses richesses, dans l'impossibilité de disposer des ressources nécessaires à une dépense imprévue, même urgente. C'est ce qu'a fort bien compris M. le conseiller d'Etat Adrien Lachenal: aussi a-t-il pris l'initiative de la création d'un Fonds général de l'Université.

Le problème a déjà suscité de nombreuses discussions; il s'est heurté à certaines difficultés. Mais nous avons la conviction que les obstacles seront écartés et que, dans un avenir très proche, le Fonds verra le jour pour le plus grand bien de cette maison.

Une des caractéristiques heureuses de notre époque — qui par ailleurs offre tant de causes d'affliction et de tristesse — c'est le développement du sens de la solidarité et de l'esprit communautaire. Ce sont là des qualités, il faut bien le préciser, qui s'opposent à l'esprit grégaire car elles sont caractérisées par l'adhésion librement consentie de l'individu à

l'activité d'un groupe organique. Le grégarisme, lui, répond à la loi du moindre effort; il permet la main-mise d'un chef ou d'un pseudo-chef sur les' âmes et les consciences. Et nous savons où cela peut conduire.

Ce sont des réflexions qui viennent tout naturellement à l'esprit lorsque l'on observe les étudiants de notre Université et les manifestations de leur vie collective.

Les sociétés suisses portant couleurs, les groupements divers, les associations réunissant les étudiants d'un même pays, ont montré, soutenus sans doute par les devoirs de l'heure, une réconfortante vitalité. Loin de moi la pensée de faire une énumération, même sommaire, des manifestations, conférences, soirées, concerts que ces sociétés ont organisés: on est confondu de voir la somme d'ingéniosité et de talent qui a été nécessaire pour mener à chef tant d'heureuses entreprises. Quoi d'étonnant si, presque toujours, d'excellents résultats ont été enregistrés?

Il faut bien faire cependant une place à part à l'Association générale des étudiants puisqu'elle groupe la totalité des hôtes de notre Alma Mater. Elle a fêté, en novembre 1944, le vingtième anniversaire de sa fondation dans des cérémonies parfaitement réussies. J'ai dit, tout à l'heure, sa féconde collaboration à l'oeuvre en faveur de l'Université de Lyon. Sous l'impulsion vigoureuse d'un président et d'un comité très actifs, l'A.G. a multiplié avec bonheur ses initiatives. Elle publie, depuis le début de cette année, les «Feuillets universitaires» dont vous avez tous constaté la réussite.

L'Office d'entr'aide, sous la ferme et paternelle direction de M. le professeur Emile Briner, a poursuivi et développé son activité si efficace.

L'Office d'art, de son côté, a organisé, pendant le semestre d'hiver, une série de concerts dont la haute tenue explique le succès grandissant devant des publics toujours plus nombreux. Dans la vie austère de l'Université, il est bon, il est salutaire, d'introduire les éléments d'une vie artistique. Sans pédantisme, mais avec un désir légitime de développer la culture

musicale de leurs camarades, les membres de l'Office d'art ont accompli une besogne magnifique.

La Société sportive universitaire, conduite par un excellent comité et par M. Brechbühl, le nouveau maître des sports, a connu, elle aussi, un développement réjouissant. Le temps n'est plus où les sports étaient simplement tolérés à l'Université: ils ont conquis leurs lettres de créance; une place officielle leur est faite dans les programmes. Et c'est tant mieux car, lorsqu'ils sont bien compris, ils' peuvent développer un heureux esprit d'équipe et constituer une école de précision, d'énergie et de loyauté.

L'année académique a été ponctuée de nombreuses manifestations. Comme de coutume, en novembre, l'Université a offert une soirée de bienvenue aux nouveaux étudiants, si nombreux qu'elle a dû utiliser la salle de la Comédie. Mme Cheridjian et Mme Barraud-Cheridjian ont bien voulu nous accorder leur concours toujours si hautement apprécié. La troupe de la Comédie a joué, pour notre plaisir, «L'Epreuve» de Marivaux et l'Orchestre académique, dirigé par M. Jean Meylan, a heureusement complété ce programme.

La séance de rentrée du semestre d'hiver 1944-1945 a revêtu un éclat particulier du fait qu'elle coïncidait avec l'inauguration de la nouvelle Aula. Bénéficiant de la brillante collaboration d'un groupe d'instrumentistes de l'Orchestre de Radio-Genève, dirigé par M. Edmond Appia, elle s'est déroulée en présence des autorités cantonales et municipales et d'un public qui remplissait la salle jusque dans see derniers recoins. 1)

De son côté, la Faculté de théologie a inauguré ses travaux en une séance dans laquelle M. le professeur Auguste Lemaître a fait une belle conférence sur «Le chrétien devant les problèmes de l'action».

L'Université a eu le privilège d'accueillir de nombreux savants étrangers. MM. Mazel, professeur à la Faculté de médecine de Lyon, Marouzeau et Fawtier, professeurs à la Sorbonne, Carnelutti, professeur à l'Université de Milan, Karl Barth, professeur à l'Université de Bâle, ont fait, devant d'importants auditoires, des leçons d'un haut intérêt. La Faculté des sciences économiques et sociales a organisé deux séries de conférences sur les formes multiples de la coopération, conférences qui ont été confiées à d'éminents spécialistes. La Fondation Marie Gretler a mis à la disposition du public genevois et des étudiants deux cycles de conférences. Le premier, consacré à Nietzsche, a bénéficié de la collaboration de MM. les professeurs Miéville, Abegg, Reverdin et Spenlé; le second a permis à M. de Tscharner d'initier ses auditeurs à la doctrine de Lao-Tsé.

Comme de coutume, la Faculté de médecine a attiré non seulement les membres du corps médical genevois, mais beaucoup de leurs confrères confédérés, à la Semaine médicale qui a été cette année consacrée à un passionnant problème: «La douleur et son traitement».

Le Panthéon universitaire s'est enrichi d'un buste nouveau dû à la générosité de Mme Edouard Claparède et de Mme Eliane Claparède. Le sculpteur Carl Angst a réussi à fixer dans le bronze d'une façon saisissante les traits de notre éminent et regretté collègue Edouard Claparède dont la carrière magnifique a été évoquée, au cours de la cérémonie d'inauguration du buste, d'une façon magistrale par M. le Dr Henri Flournoy.

Vous me saurez gré, Mesdames et Messieurs, de vous faire grâce de l'énumération des nombreux changements apportés aux règlements des facultés. Ils ont tous ceci de commun qu'ils tendent à améliorer les conditions du travail académique

et qu'ils tiennent compte des exigences nouvelles de la recherche scientifique et de la vie fluctuante et diverse.

Je tiens cependant à signaler la création, grâce en particulier aux efforts de M. l'ancien Recteur Eugène Bujard, de l'Institut de biologie et de chimie médicales. Il correspond à des besoins si évidents qu'à peine ouvert il a pu enregistrer un nombre encourageant d'inscriptions. Ainsi M. Bujard, à qui j'ai eu l'occasion de dire publiquement toute la gratitude de ses collègues lorsqu'il a abandonné sa charge rectorale, a-t-il trouvé une occasion nouvelle de servir l'Université.

Nous avons parlé il y a un instant de la construction, qui semble proche, d'un Institut de physique. Ce sera la première étape de la transformation des bâtiments universitaires. Si, comme nous osons l'espérer, la décision est prise par la Ville de Genève de construire un nouveau musée d'histoire naturelle à Malagnou, le difficile problème du groupe des Bastions pourrait trouver une solution heureuse. Il pourrait être réservé aux quatre facultés de sciences morales et aux services administratifs de l'Université. On pourrait ainsi éliminer cette irritante question des locaux que posent l'augmentation rapide des effectifs des étudiants et le nombre croissant des enseignements spécialisés, des travaux pratiques et des conférences.

D'autres étapes sont prévues: mais naturellement la route sera longue qui conduira à la réalisation intégrale des projets de regroupement et de transformation des bâtiments universitaires, tels qu'ils ont été exposés par mon prédécesseur, M. l'ancien Recteur Bujard, dans son rapport de 1943.

En attendant ces changements heureux — heureux, mais lointains — de judicieuses améliorations ont été apportées dans ceux des bâtiments qui, en tout état de cause, subsisteront.

Au mois d'octobre, la nouvelle Aula a été inaugurée en une séance solennelle. Nous avons dit alors à nos autorités cantonales, et en particulier à MM. les conseillers d'Etat Adrien Lachenal et Louis Casaï, les sentiments de gratitude de l'Université. Nous avons relevé aussi les mérites de l'oeuvre créée par M. Jean Ellenberger, architecte, et la beauté des vitraux d'Alexandre Cingria. Les espoirs mis dans cette salle se sont réalisés: les cours, concerts et conférences s'y sont multipliés. Le public genevois a si bien adopté notre Aula que les autorités cantonales et universitaires sont parfois obligées de se défendre, avec regret d'ailleurs, contre les sollicitations de groupements dont l'activité n'est pas nettement orientée vers des fins intellectuelles.

La nouvelle Aula est donc devenue un des centres de la vie de l'esprit à Genève. Quelques installations doivent encore compléter son équipement: une cabine pour la retransmission par T.S.F. des conférences et des concerts, un appareil de cinéma sonore. Des projecteurs seront vraisemblablement placés aux Bastions qui permettront de voir, la nuit venue — et elle tombe en hiver déjà vers 16 heures — les magnifiques verrières de Cingria. Un concours va être ouvert entre sculpteurs en vue de doter de bas-reliefs les trois rectangles actuellement vides, qui se trouvent sous les vitraux.

Nos autorités cantonales ont bien voulu aussi restaurer le hall du rez-de-chaussée et une partie des escaliers et des corridors du bâtiment des Bastions. Ces réparations seront achevées en une deuxième étape au cours de cet été. La salle réservée aux professeurs, dont le moins que l'on puisse dire c'est qu'elle ne crée pas un climat favorable à la détente de ceux qui s'y trouvent entre deux cours, va être rendue plus accueillante.

Ainsi notre maison, dans son visage, se rajeunit. Et elle le mérite bien: car dans l'équilibre heureux de ses masses, dans l'harmonie de ses proportions et la sobriété de ses lignes que le cadre magnifique du jardin des Bastions met en valeur, notre Université ne manque pas de beauté et de grandeur.

Une autre preuve tangible de la sollicitude de nos autorités a été la construction, à la Clinique de Bel-Air, grâce au Département du Travail et de l'Hygiène, d'un auditoire très moderne dans lequel M. le professeur Morel et ses étudiants trouveront toutes les conditions nécessaires à un travail fructueux.

Au cours de l'année qui vient de s'écouler, l'Université a eu le chagrin de perdre deux de ses maîtres.

Dmitry Mirimanoff a enseigné avec beaucoup d'éclat l'analyse supérieure et le calcul des probabilités à notre Faculté des sciences, après avoir été professeur à Fribourg et à Berne. Il avait fait ses études en Italie et en France avant d'obtenir le doctorat de cette Université de Genève à laquelle il devait plus tard, comme professeur extraordinaire, puis ordinaire, consacrer le meilleur de ses forces et de son talent. Ayant atteint la limite d'âge, il s'était retiré en 1936 et s'était vu conférer alors le titre de professeur honoraire. Sa réputation s'était étendue bien au delà de nos frontières. N'arrivait-il pas parfois que des mathématiciens vinssent le consulter d'Amérique? Longue est la liste de ses' publications qui, au dire de ses pairs, font autorité. Tous ceux qui ont eu le privilège de connaître Dmitry Mirimanoff conserveront le meilleur souvenir de cet homme d'une si haute distinction intellectuelle et d'une si exquise courtoisie.

Robert Jouvet avait parcouru une belle carrière avant d'être appelé, au titre de chargé de cours, à enseigner la politique commerciale à la Faculté des sciences économiques et sociales. Attaché commercial à notre légation de Paris, secrétaire, puis directeur de la Chambre de commerce de Genève: partout il avait fait preuve des' mêmes qualités d'intelligence et de lucidité. Malgré une santé précaire et des occupations absorbantes, il réussit à achever en 1943 une brillante thèse de doctorat ès sciences économiques — il était licencié en

droit — thèse qui portait sur «Le problème des zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex». La collaboration de Jouvet avec la Faculté qui venait de lui décerner le titre de docteur aura été, hélas! de brève durée. Mais elle aura été suffisante pour permettre à l'Université de mesurer la grandeur de la perte qu'elle vient de faire.

L'Université a eu le regret d'enregistrer le décès de deux de ses docteurs honoris causa, tous les deux professeurs à l'Université de Neuchâtel où le premier, Friz-Henri Mentha, avait enseigné le droit pénal et le droit civil, et le second, Otto Fuhrmann, la zoologie.

Elle a eu aussi le chagrin de perdre un de ses bons serviteurs, Albert Dourouze qui, pendant des années, avait assumé avec dévouement et entrain un enseignement à l'Ecole pratique de français et aux Cours de vacances.

Nous déplorons enfin la mort de deux étudiants, Claude Gruillot, de la Faculté des lettres, et Eliane Rolfo, de la Faculté des sciences économiques et sociales.

Nous renouvelons aux familles de tous ces disparus l'assurance de notre profonde sympathie.

L'Université, au cours de la présente année académique, a dû, bien à regret, enregistrer trois démissions et deux départs.

M. Léon-W. Collet, après une brillante carrière, d'abord à la direction du Service fédéral des eaux à Berne, puis comme professeur de géologie et de paléontologie à notre Faculté des sciences — dont il avait été le doyen de 1922 à 1926 —, après de nombreux voyages d'exploration et d'étude et un enseignement à Harward, a désiré se retirer alors qu'il est encore en pleine force — j'allais dire en pleine jeunesse. Certes, pour

lui, retraite ne sera pas synonyme d'inactivité: c'est en effet parce qu'il veut poursuivre tout à loisir ses études que M. Collet a abandonné prématurément la chaire qu'il illustrait. Ses collègues et ses anciens étudiants lui ont dit leurs sentiments d'affection et d'admiration dans une cérémonie intime. au cours de laquelle la médaille de l'Université lui a été remise.

M. Henri Fehr, professeur ordinaire d'algèbre et de géométrie supérieures, a atteint l'inexorable limite d'âge — qui s'en douterait en le voyant si actif et si alerte? Il vient de donner, il y a quelques jours, sa démission, après quarante-cinq ans de professorat ou, si l'on tient compte du temps pendant lequel il a été privat-docent, après cinquante ans d'enseignement. On peut imaginer le nombre d'étudiants qui ont eu le rare privilège d'être formés par M. Fehr. Mais notre collègue s'est acquis d'autres titres à notre reconnaissance. Doyen de la Faculté des sciences, vice-recteur, recteur de 1930 à 1932, trésorier depuis trente ans des fonds universitaires, défenseur attitré de nos intérêts à la C.I.A., M. Fehr a multiplié les occasions de servir la collectivité, modèle, dans toutes ses fonctions, d'exactitude et de dévouement.

MM. Collet et Fehr, auxquels nous exprimons la vive reconnaissance de l'Université pour les éminents services qu'ils lui ont rendus, se sont vu conférer le titre, qu'ils ont hautement mérité, de professeur honoraire.

M. Albert Séchehaye, lui aussi, est arrivé au terme fatidique imposé par la loi. Tout d'abord suppléant de Ferdinand de Saussure, puis de M. Charles Bally, il enseigna ensuite, comme chargé de cours, le vieux français à la Faculté des lettres, en attendant d'être nommé, en 1939, professeur extraordinaire de linguistique générale. Dans toutes ces tâches, M. Séchehaye a fait bénéficier ses élèves des trésors de son érudition. Nous souhaitons vivement 'que notre collègue, au moment où il prend sa retraite, veuille bien conserver sa conférence de vieux français.

Notre maison avait eu le privilège, du fait des circonstances

exceptionnelles que nous venons de traverser — heureuse compensation à bien des tristesses — de s'assurer la collaboration de deux éminentes personnalités.

M. Jacques Pirenne, professeur à l'Université libre de Bruxelles et un des historiens les plus réputés de notre temps, a donné un cours de synthèse historique qui a réuni d'imposants auditoires. Ce sera une des fiertés de l'Université de Genève de penser que les résultats de cet enseignement sont consignés dans les deux premiers volumes de cet ouvrage monumental qui fera époque: «Les grands courants de l'histoire universelle».

M. Henri Guillemin a connu un identique succès. Venu de l'Université de Bordeaux, il a donné pendant une bonne partie de la guerre, des cours d'histoire littéraire où une étonnante érudition s'alliait à des dons d'exposition remarquables. Quoi de surprenant que le public genevois, mêlé aux étudiants, ait envahi l'Aula, avide d'entendre les exposés d'un des maîtres de la critique française?

MM. Pirenne et Guillemin, les hostilités étant terminées, se sont mis immédiatement, comme cela se doit, au service de leurs patries libérées. L'Université n'oubliera pas leur brillante et féconde collaboration.

Deux de nos professeurs honoraires viennent de fêter leur quatre-vingtième anniversaire. M. Charles Bally, le maître vénéré de l'Ecole genevoise de linguistique, et M. Edmond Rossier, l'éminent historien, poursuivent allègrement, la plume à la man, dans une retraite studieuse, leurs recherches et leurs études pour le plus grand profit de leurs disciples et de leurs lecteurs.

Au chapitre des nominations, nous avons le plaisir de signaler l'élévation à l'ordinariat de M. Edouard Paréjas, qui a repris la succession de son maître, M. Léon Collet, la nomination

de M. Edmond Rochedieu comme professeur ordinaire d'histoire des religions et celle, comme professeur extraordinaire de littérature italienne, de M. Henri de Ziégler, jusqu'ici chargé de cours. MM. Robert Dottrens et Augustin Lombard se sont vu confier, au titre de chargé de cours, l'enseignement, le premier, de la pédagogie expérimentale, le second, de la géologie spéciale.

M. Jean Brechbühl, licencié ès sciences commerciales et porteur du diplôme fédéral II de maître de gymnastique, a été nommé maître des sports. Plusieurs privat-docents ont été agréés: MM. Roger Duckert, Pierre Mommen et Jean Schroeder à la Faculté des sciences; M. Eugène Anagnine à la Faculté des lettres; M. Pierre Bertrand à la Faculté des sciences économiques et sociales et M. André Bouvier à la Faculté de théologie.

A tous ces nouveaux collègues, nous réitérons de tout coeur nos souhaits de bienvenue.

On a souvent accusé l'Université de vivre repliée sur elle-même, sans contact avec le monde. Peut-être a-t-elle mérité parfois un tel reproche? Elle s'efforce de réagir contre ces tendances, sans renoncer en quoi que ce soit, cela va sans dire, à sa mission essentielle, sans consentir au plus petit sacrifice, au moindre abandon, dans le domaine de la recherche scientifique et de la spéculation intellectuelle. Mais ces devoirs, qui sont sa 'vocation propre, sont-ils incompatibles avec des rapports plus intimes avec la collectivité? Non, répond résolument l'Université. Et c'est pourquoi elle offrira à tous, sans réserve, sans formalité et sans taxe, les leçons et conférences d'intérêt général dont je redirai deux mots dans un instant.

C'est la même raison qui l'a poussée, l'année dernière, à ouvrir toutes grandes les portes de ses instituts et de ses laboratoires au cours de visites commentées. Cette année, elle fait mieux encore: dans cette Foire de Genève, qui a pris

si heureusement la succession de la Maison Genevoise et dont le succès s'annonce éclatant, elle présente à un large public, outre son exposition générale, deux stands organisée par la Faculté de médecine, grâce à MM. les professeurs Gilbert et Wyss. Nous espérons pouvoir continuer cet effort et. faire ainsi, année après année, connaître au peuple genevois les ressources et les activités de son Alma Mater.

Et l'Université ne sera pas la dernière à bénéficier de ce contact intime avec le pays. Elle pourra lui restituer un peu de ce qu'elle reçoit de lui. Car elle se rend compte des sacrifices que lui consent la communauté. Si elle a régulièrement trouvé une si large audience devant l'opinion publique, c'est que le pays sait que son sort est lié au développement des valeurs spirituelles.

L'Université est d'ailleurs consciente des possibilités budgétaires limitées dont dispose notre petit canton. Elle n'est pas insatiable. Lorsqu'elle adresse des requêtes à nos autorités, elle sait les mesurer aux ressources financières de l'Etat: c'est pourquoi elle écarte, au cours de ses délibérations, maint projet utile pour ne retenir que ce qu'elle juge indispensable, qu'il s'agisse d'installations matérielles ou d'enseignements nouveaux.

Qu'il me soit permis, à ce propos, d'exprimer la vive gratitude de l'Université à nos hautes autorités cantonales et singulièrement au président du Département de l'Instruction publique. M. le conseiller d'Etat Adrien Lachenal a su associer le respect de l'autonomie académique et la volonté d'aider, de soutenir l'Université dans ses efforts. Avec une claire vision des réalités, avec cet esprit de décision et ce sens des responsabilités qui le caractérisent, avec une intelligente sollicitude, il a été pour cette maison le plus compétent des chefs et le plus avisé des conseillers. Qu'il soit assuré que l'Université lui sait un gré infini de tout ce qu'il a fait et de tout ce qu'il fera encore pour elle. Il n'est que justice d'associer à ces remerciements le distingué secrétaire du Département de l'Instruction publique, M. Henri Grandjean.

Les fonctions de recteur — mes prédécesseurs pourraient sans doute l'attester — ne constituent pas précisément une sinécure. Mais elles comportent en tout cas un avantage que je considère comme précieux: c'est la constante et intime collaboration avec les membres du Bureau du Sénat et avec M. le vice-recteur Paul-E. Martin en particulier. Comment ne pas relever l'esprit de compréhension mutuelle et de confiance réciproque qui caractérise le travail dans le sein du Bureau? Je puis assurer mes chers collègues que j'apprécie à sa valeur l'aide efficace et sympathique qu'ils m'accordent si libéralement. J'ai trouvé le même appui auprès de la Commission administrative et de son distingué président, M. le professeur Victor Martin.

Ma tâche a été aussi singulièrement allégée par l'aide attentive que j'ai reçue des cadres administratifs de l'Université. Que M. Hermann Blanc soit persuadé que si je lui exprime aujourd'hui ma gratitude et celle de l'Université tout entière, ce n'est pas pour obéir à un rite vide de toute signification, mais bien parce qu'il a su, avec une maîtrise consommée et un attentif dévouement, tenir bien en main les fils d'une administration que les circonstances actuelles compliquent toujours plus.

Les remerciements les plus sincères de l'Université vont aussi à M. Gustave Michaud, caissier-comptable avisé, à M. François-Fréd. Lachenal, secrétaire des doyens précis, à Mlles Copponex, Hari et Charlet et au personnel de l'Université. Tous accomplissent avec entrain la tâche qui leur est confiée.

Récemment, le 18 mai, l'Université, répondant d'ailleurs à une aimable invitation dont elle avait été l'objet, a organisé une modeste réception en l'honneur des étudiants italiens du camp d'internement de Genève, réception qui a bénéficié de la précieuse collaboration de trois artistes aimées du public genevois, Mmes Guignard-Rau, Grétillat et Vaucher-Clerc.

Nos hôtes italiens aspirent avec une frémissante impatience — impatience que l'on comprend au moment où les portes de leur patrie leur seront de nouveau ouvertes. Mais ils continuent, en attendant, à poursuivre cette préparation intellectuelle qui les mettra à même, lorsqu'ils seront rentrés dans leur pays, de lui rendre tous les services qu'il est en droit d'attendre d'eux. J'ai dit, à l'occasion de cette réunion, tout le plaisir que l'Université a eu à les accueillir et la satisfaction qu'ils lui ont procurée par un travail intelligent, consciencieux, ardent même. Des liens se sont noués entre eux et nous que ni le temps, ni les frontières — c'est notre plus ferme espoir — n'arriveront à briser.

Les internés italiens rentreront chez eux avec quelque chose de plus précieux peut-être que le bagage qu'ils ont acquis dans les auditoires et les instituts de l'Université. Le contact intime qu'ils ont eu avec une organisation politique et sociale qui certes a ses défaut, mais qui est fondée sur le respect de la personnalité humaine et de la liberté individuelle, leur aura permis plus d'une observation. Tout cela ne sera pas perdu pour leur pays.

Cette réunion a été pour moi l'occasion de réitérer les remerciements de l'Université à tous ceux qui ont été les bons artisans de la réussite du Camp universitaire d'internement italien, notamment à M. le lt.-col. E.M.G. Zeller, à M. Paul Collart, le directeur avisé du camp, à M. le doyen Battelli, à M. Scaglioni, directeur des études, à beaucoup d'autres encore. Je n'aurais garde d'oublier la part prépondérante prise par la brillante pléiade des professeurs et assistants italiens, grâce à leur enseignement magistral, au succès du camp de Genève.

En avril, s'est ouvert à Frontenex, dans l'accueillante campagne Picot, un borne pour intellectuels réfugiés. Nous avons offert avec plaisir les ressources de nos bibliothèques et de nos laboratoires à des hommes qui ont déjà terminé leurs études, mais qui désirent utiliser leurs loisirs forcés à l'approfondissement de leurs connaissances.

Nous avons eu le privilèges de recevoir dans notre maison des internés grecs, français, polonais, américains, russes,

yougoslaves. Nous aurions été heureux si leurs contingents avaient pu être plus importants.

Dans l'accomplissement de toutes ces tâches exceptionnelles, l'Université a obtenu l'appui le plus précieux et le plus efficace du Ponds européen de secours aux étudiants, en particulier de celui qui le dirige avec tant d'allant que d'intelligence, M. André de Blonay, et de son adjoint, M. le Dr Gnehm.

Comment ne pas insister notamment sur l'aide constante que nous avons trouvée auprès du F.E.S.E. dans notre action en faveur de l'Université de Lyon? D'ailleurs, dans tous les secteurs de la vie universitaire, il a multiplié ses initiatives: rassemblant des ressources, conjuguant les forces, coordonnant des efforts que la dispersion rendait stériles, il est venu au secours de tous les étudiants victimes de la guerre.

C'est encore au F.E.S.E. que l'on doit, dans une large mesure, cette belle oeuvre d'entr'aide qu'est le Centre d'accueil de Leysin, véritable embryon du Sanatorium universitaire international auquel le Dr Louis Vauthier, le créateur du Sanatorium universitaire suisse, voue tout son zèle d'apôtre. Ce Centre a déjà réuni d'importants contingents d'étudiants belges et français. Plusieurs professeurs de l'Université de Genève se sont mis à la disposition de nos hôtes de Leysin pour les guider dans un travail intellectuel qui, dans bien des cas, peut être un puissant adjuvant de leur cure et un des facteurs de leur guérison.

Malgré les préoccupations et les difficultés qui ont marqué les derniers mois de la guerre plus cruellement encore que les années précédentes, les étudiants de l'Université de Genève

ont, sous la réserve de certaines exceptions, poursuivi leur effort avec un zèle qui ne laisse pas d'être méritoire. Qu'on songe en effet dans quelles conditions leur travail s'est effectué. Les étrangers ne pouvaient se désintéresser des destinées de leurs patries malheureuses ou menacées, du sort aussi de leurs familles dont les nouvelles n'arrivaient plus. Beaucoup en outre ont eu à accomplir de longs mois dans des camps de travail.

Leurs camarades suisses ont eu leurs études hâchées par des mobilisations toujours plus longues et plus nombreuses. A cela s'est ajoutée l'obligation d'accomplir un service obligatoire de travail agricole. Certes, nous reconnaissons l'importance du Plan Wahlen, pour ne pas dire sa nécessité. Mais il semble parfois que les étudiants suisses ont été touchés plus durement que d'autres catégories sociales. Ce temps de travail s'ajoutant aux relèves, quoi d'étonnant que beaucoup d'entre eux aient perdu des semestres, voire des années? Les autorités genevoises — et nous les en remercions — ont d'ailleurs fait tout ce qui était en leur pouvoir pour assouplir l'application des rigides mesures fédérales. L'Université de Genève émet le voeu que tout ce système du travail agricole, maintenant que les hostilités sont terminées', soit atténué en attendant qu'il soit radicalement supprimé.

Les étudiants suisses astreints au service bénéficient, depuis le 1er janvier 1945, des prestations d'une caisse de compensation, alimentée notamment par une cotisation semestrielle de 10 francs, payée par tous les élèves de nos universités. C'est un avantage qu'il ne faut pas sous-estimer. On peut cependant regretter que la réalisation de ce système, dont l'utilité est évidente, ait été si tardive.

Si l'on devait juger l'essor de l'Université uniquement sur le nombre de ses étudiants, nous pourrions affirmer qu'elle se trouve dans une période exceptionnellement favorable.

Loin de moi la pensée de vous accabler de statistiques. Je sais l'aridité des chiffres : mais je sais aussi leur éloquence. Vous me permettrez de comparer uniquement deux semestres: celui d'été 1914 qui avait enregistré le record des inscriptions et celui d'hiver 1944-1945.

Le minimum atteint entre les deux guerres, au semestre d'hiver 1922-1923, a été de 704 étudiants et de 303 auditeurs, soit 1007 au total. Les contingents actuels représentent, par rapport à ces chiffres, une augmentation de 167 % pour les étudiants et de 135 % pour les auditeurs.

Il n'est pas sans intérêt de décomposer les chiffres concernant les étudiants de 1914 et de 1944-1945 en leurs éléments. Les deux tableaux suivants montreront les changements qui se sont produits en ce qui concerne les nationalités d'une part et l'importance des diverses facultés d'autre part, un rapport évident existant d'ailleurs entre ces deux phénomènes.

Est-il besoin de le dire? Le rang occupé par les facultés au point de vue du nombre des étudiants qu'elles réunissent ne varie pas pour des raisons tenant à la qualité de l'enseignement qui y est donné, mais bien à la fluctuation des besoins à satisfaire et aussi au fait que le flot immense qui conduisait à Genève les étudiants en médecine de l'Europe orientale s'est tari après 1914.

Ces chiffres pourraient donner lieu à bien des commentaires que le manque de temps ne nous permet pas.

Certes, l'après-guerre pourra apporter dans nos effectifs et dans leur composition de nombreux changements. Mais si le monde ne renouvelle pas le système d'un protectionnisme intellectuel qui a été une pure aberration, si les questions monétaires trouvent une solution raisonnable, on peut espérer que d'importants contingents d'étudiants étrangers continueront à affluer à Genève qui les accueillera toujours avec joie.

Ce rapport — nous sommes le premier à nous en rendre compte — a trop insisté sur les côtés administratifs et même matériels de la vie académique. Nous nous en excusons: mais il obéit à des règles qu'il est difficile de violer, à des nécessités

que l'on ne saurait éluder. Ce cadre administratif est la forme extérieure qui enserre une activité intellectuelle et spirituelle intense. La vie, l'évolution politique et sociale qui se fait en ce moment à un rythme vertigineux, exigent des universités des réformes: bien plus, de vraies transformations de structure. Jamais nous ne retrouverons le monde d'avant-guerre. Comment croire que l'Université pourrait rester identique à elle-même dans une société qui passe par une des plus profondes révolutions — peut-être même la plus profonde de l'histoire.

J'ai cherché à déterminer quelques-unes des tâches nouvelles de l'Université lors de l'inauguration de l'Aula. On me permettra de n'y pas revenir. Il s'agit de problèmes complexes et délicats qui interdisent toute improvisation. Mais entre de maladroites créations conçues dans la hâte, ou résultant d'un désir de changement à tout prix, et l'immobilisme il y a bien des possibilités.

L'Université a désiré tenter une expérience qui ne préjuge en rien de modifications ultérieures plus profondes car elle pourrait, le moment venu, s'y insérer.

Un des inconvénients majeurs de l'organisation académique actuelle est l'excès de spécialisation, résultant à la fois de la diversité toujours plus grande et de l'approfondissement des études et du désir, chez certains étudiants, d'acquérir le plus rapidement possible une formation professionnelle. Nous avons insisté naguère sur le conflit qui risque d'opposer deux des tâches traditionnelles de l'Université: la dure conquête de la vérité et la préparation pratique de ceux qui, demain, peupleront les carrières libérales. N'existe-t-il pas de moyens de concilier ces exigences en apparence contradictoires? Ne peut-on pas réagir contre le compartimentage excessif du savoir, contre le danger, mortel à la longue, d'un travail étroit qui ignore ce qui se fait dans les autres secteurs de la pensée? Où serait alors le véritable esprit universitaire? Que deviendrait la formation de «l'honnête homme», c'est à dire de l'homme cultivé?

L'Université, modestement, tente d'apporter un premier élément à la solution de ces difficiles problèmes. Elle vient de créer des enseignements nouveaux, ouverts à tous les étudiants, quelles que soient leurs spécialités. Elle désire rétablir un contact entre les facultés, ouvrir des portes de communication dans les murailles de Chine qui trop souvent les séparent.

Deux heures par semaine seront dorénavant réservées — les facultés ayant renoncé à y placer d'autres enseignements — à des conférences et à des cours d'une durée variable dans lesquels seront exposées des questions pouvant intéresser tous les étudiants et contribuer à la formation de leur esprit et à leur culture générale. Ces cours seront gratuits et, comme nous le disions il y a un instant, ils seront accessibles, sans formalité aucune, au grand public.

Beaucoup de professeurs ont été aussi frappés de l'insuffisance de la préparation philosophique de leurs étudiants. Aussi l'Université a-t-elle décidé de créer un enseignement commun à toutes les facultés. Donné par M. le professeur Henri Reverdin, il s'intitulera «Introduction aux problèmes de la pensée: logique et théorie de la connaissance». Il constituera une véritable initiation philosophique en même temps qu'il permettra à ceux qui en seront les bénéficiaire de mieux connaître les méthodes générales d'investigation scientifique.

Petites innovations, dira-t-on? Sans doute: mais elles constituent une assise sur laquelle d'autres réformes pourront être édifiées.

Notre vieille société, qui avait en partie résisté aux bouleversements de la précédente guerre, est secouée jusque dans ses fondements. Au sein des passions auxquelles la fin des hostilités ne semble pas avoir mis un terme, au milieu des ruines morales et matérielles que les années de guerre et de folie frénétique ont accumulées, un monde nouveau est en

parturition. Le rôle des élites universitaires, sans être exclusif, sera grand dans cette réédification. Puissent ceux qui vont collaborer à cette oeuvre gigantesque n'être pas trop inférieurs à leur tâche. Cela dépendra de leur conscience, de leur valeur morale, mais aussi de leurs qualités intellectuelles, de leurs méthodes de travail, de leur rectitude de jugement. Comment pourrait-on extirper le désordre du monde si ce même désordre devait régner en maître souverain dans les esprits?

C'est en pensant à la formation de ceux qui, demain, seront aux postes de commande, dont beaucoup d'ailleurs ont été déjà mûris par de cruelles expériences ou par des aventures aussi redoutables qu'exaltantes, que l'Université de Genève a entrepris cette première réforme. Son voeu le plus ardent est de pouvoir collaborer — modestement bien sûr, mais avec efficacité cependant — à la création d'une société nouvelle dont auraient disparu les injustices, les iniquités, les monstrueux errements sous lesquels nous avons failli succomber.