reden.arpa-docs.ch Rektorats Reden © Prof. Schwinges
Textbreite
Schriftgröße
Kapitel 

ALLOCUTION DU RECTEUR

M. le professeur Antony BABEL
A LA SÉANCE DU DIES ACADEMICUS
le 5 juin 1946

LE rapport du Recteur, conformément à la tradition, doit passer en revue tous les événements importants de l'année universitaire. Il ne sa tirait donc éviter une certaine sécheresse; il risque même fort d'être une simple énumération de faits et de noms.

Comment pourrait-il en être autrement? Si une partie de l'histoire actuelle de l'Université peut être réservée sans inconvénient au rapport administratif qui sera publié sous peu, le Recteur en revanche ne peut pas taire, au cours de cette séance publique, d'autres épisodes, ni manquer de dire la reconnaissance ou l'amitié de l'Université à tous ceux — autorités, professeurs, mécènes — qui, à un titre quelconque, lui ont rendu des services. Agir autrement serait pure ingratitude. Le Recteur, en même temps, se verrait frustré du plaisir d'exprimer à ses collègues et aux amis de notre Alma mater des sentiments que souvent, au cours de l'année, il n'a pas eu l'occasion de formuler comme il l'aurait désiré.

Dans quelques semaines, le 15 juillet, le moment sera venu pour moi de déposer le mandat que je dois à la bienveillance de mes pairs. Je le ferai avec la notion très nette

très exacte, de mes insuffisances mais aussi avec des sentiments de profonde gratitude à l'égard de tous ceux qui ont facilité ma tâche.

Ma reconnaissance va tout d'abord à M. le Vice-recteur Paul-E. Martin qui a toujours été pour moi le meilleur, le plus clairvoyant, le plus complaisant des collègues. C'est avec une satisfaction particulière que je m'apprête à lui remettre les destinées de l'Université. La précision dans la gestion des affaires, la lucidité, le sens des besoins supérieurs de notre Ecole, le dévouement, dont il a fait preuve dans ses fonctions de Secrétaire du Sénat, de Doyen de la Faculté des lettres et de Vice-recteur, les hautes qualités intellectuelles qu'atteste sa brillante carrière d'historien, de directeur des Archives d'Etat et de professeur nous assurent que le sort de notre Alma mater sera en de bonnes mains. Qu'il veuille bien accepter mes voeux affectueux qui sont d'ailleurs ceux de l'Université tout entière. Il aura en la personne de M. le Vice-recteur Sauser-Hall et de M. le Secrétaire Wavre de précieux collaborateurs.

Comment ne pas remercier aussi du fond du coeur mes excellents collègues du Bureau du Sénat, M. Wavre, MM. les Doyens Gysin, V. Martin, Battelli, Terrier, Bickel et Courvoisier. et les membres de la Commission administrative que préside avec tant de distinction M. V. Martin? Leur sympathie attentive et agissante, la connaissance exacte qu'ils ont de nos besoins, leur esprit d'équipe, ont singulièrement facilité ma tâche.

Que mes collègues, professeurs, chargé de cours et privat-docents des six facultés sachent aussi combien j'ai été profondément touché de l'appui que tous, en chaque circonstance, m'ont si libéralement accordé.

La liquidation de l'époque de guerre et la reprise — qui n'en est encore qu'à ces débuts — des rapports internationaux ont surchargé d'une façon excessive nos services administratifs. On a peine à se figurer la masse et la diversité des renseignements que nous devons fournir à nos innombrables correspondants. Grâce à la compréhension du Département de l'Instruction publique, notre personnel a été

complété et nous avons pu faire face à notre tâche sans trop de retard. Je tiens à exprimer à Mlles Copponex, Hari, Charlet et Ronchi nos remerciements les plus sincères ainsi qu'à M. Lacroix, appariteur des Facultés et à tout le personnel, à M. Berner enfin qui a repris de M. Wahli les fonctions d'huissier. Au moment de son départ, l'excellent collaborateur qu'a été M. Wahli à reçu l'Histoire de l'Université de Charles Borgeaud.

Les doyens des facultés ont eu souvent l'occasion d'exprimer leur satisfaction pour la façon si précise et si intelligente à la fois dont M. François Lachenal, leur secrétaire, s'acquitte de sa tâche complexe et délicate. Quant à M. Gustave Michaud, notre caissier-comptable, il fait face avec une aisance consommée aux tâches toujours plus lourdes qui lui incombent du fait de la progression rapide du nombre des étudiants.

L'année dernière, je disais à M. Hermann Blanc, secrétaire de l'Université, que l'expression de ma gratitude ne devait pas être prise pour une simple formule rituelle et mécanique. Il a été vraiment pour moi, comme pour mes prédécesseurs, le collaborateur de tous les instants, ne ménageant ni son temps, ni sa peine. Toujours au courant des subtilités de la loi et des règlements, défenseur des traditions de l'Université comme de ses besoins actuels, il est constamment aussi préoccupé de son développement et de son avenir.

L'Université, au cours de cette année, a eu le chagrin de perdre trois de ses professeurs honoraires.

Ernest Métral, né en 1867, avait fait ses études à Genève. Ses dons et sa science avaient attiré rapidement l'attention sur lui. En 1893 déjà — il avait alors vingt-six ans — il fut nommé professeur d'obturation, d'aurification et de prothèse à l'Ecole dentaire. Pendant une demi-siècle, de 1893 à 1942, il a contribué à former des générations d'étudiants.

Combien de dentistes, à Genève, en Suisse, à l'étranger, n'ont-ils pas bénéficié de son savoir et de son expérience? La confiance de ses collègues l'avait appelé à la présidence du Collège des professeurs de l'institut. La Faculté de médecine de son côté, désireuse de marquer la haute estime en laquelle elle le tenait. lui avait conféré en 1932 le doctorat honoris causa. Ernest Métral restera, pour tous ceux qui l'ont connu, un modèle de probité et de conscience professionnelles.

Georges Berguer avait abandonné en 1944, pour des raisons de santé, la chaire de psychologie religieuse et d'histoire des religions qu'il a illustré à la Faculté de théologie. Né en 1873, ii avait brillamment conquis à Genève les grades de bachelier, 'de licencié et de docteur en théologie. Il avait été nommé professeur en 1923 après avoir été pendant trente-trois ans pasteur au Petit-Saconnex et à Genthod. Nombreux sont les ouvrages partis de sa main qui tous portent la marque d'un esprit original et novateur. «Esprit de clarté autant que de probité — écrit M. Auguste Lemaître dans un article qu'il lui a consacré — G. Berguer avait à son service une langue élégante et riche. Le souci de la forme était chez lui l'expression d'une âme de poète, sensible à la beauté des choses comme à celle des âmes. Indépendant, il fuyait les chemins battus et préféra toujours les chercheurs aventureux aux conformistes paresseux.»

Georges Berguer, grâce à ses dons d'intelligence et de caractère, laissera à l'Université un souvenir impérissable.

Professeur à l'Université de Lausanne depuis 1891, —il en fut le recteur — Edmond Rossier avait été appelé en 1930 à la chaire d'histoire contemporaine et d'histoire diplomatique de notre Faculté des lettres. Né en 1865, ii avait fait ses études à Lausanne, â Erlangen et à Berlin. Journaliste, il a contribué, par ses lumineuses chroniques, à former l'opinion d'innombrables lecteurs en Suisse et à l'étranger. Ses ouvrages et ses manuels ont connu auprès du grand public comme dans les cercles d'étudiants et de spécialistes le plus légitime succès. Edmond Rossier — il nous l'a répété bien des fois — était profondément attaché à l'Université de Genève. Tous ceux qui ont eu le privilège de le connaître d'une

façon un peu intime ont apprécié aussi son bon sens et sa finesse, son esprit où s'équilibraient beaucoup de bonhomie et une pointe de causticité, les savoureux propos dont il émaillait les souvenirs de sa riche carrière. Rossier venait de fêter ses quatre-vingt ans lorsqu'il a été enlevé à l'affection de sa famille, de ses anciens étudiants et de ses collègues.

L'Université déplore aussi la mort de quatre de ses étudiants Adrien Pascalis et Pierre-Charles Robert, de l'Institut de médecine dentaire, Benjamin Muller et Fritz Rosenfelder, de la Faculté de droit.

Nous réitérons aux familles de tous ces disparus, maîtres et étudiants, l'expression de notre très grande sympathie.

Au cours de ces derniers mois, l'Université a eu le regret d'enregistrer la démission de quatre maîtres éminents.

Le Dr Charles Du Bois, qui a occupé avec tant de distinction la chaire de dermatologie et de vénérologie, s'est vu contraint, par son état de santé, à abandonner son enseignement en octobre 1945, ce qui a profondément affligé ses collègues et ses étudiants. D'abord médecin adjoint à la clinique de dermatologie, puis chargé de cours en 1926, il avait été nommé professeur extraordinaire en 1927 et ordinaire en 1930.

Il y a quelques jours nous est parvenue la lettre de démission du professeur René Koenig. La loi rigide de la limite d'âge prive la Faculté de médecine des services d'un de ses professeurs les plus appréciés. Privat-docent depuis 1903, le Dr Koenig, après avoir été chargé de plusieurs suppléances, à été appelé en 1930, comme professeur ordinaire, à la chaire de gynécologie et d'obstétrique. Skieur passionné. M. Koenig, comme membre de la Commission des sports de l'Université, a toujours été un conseiller aimé et écouté des étudiants.

Le Dr Théodore Reh a également atteint la limite d'âge. Privat-docent en 1908, médecin-chef du service d'analyses bactériologiques, chargé de cours et enfin, dès 1936, professeur extraordinaire, il a assumé l'enseignement de l'hygiène et de la bactériologie. Ses collègues de la Faculté de médecine lui ont dit récemment, au cours d'un dîner, leurs sentiments d'estime.

M. Louis Gielly, lui aussi, va se retirer, en application de la rigoureuse règle de la limite d'âge. Chargé de cours, puis professeur extraordinaire, il a donné à la Faculté des lettres un enseignement très vivant d'histoire de l'art, qu'il complétait par des travaux pratiques dans les salles du Musée d'art et d'histoire. Ses cours attiraient non seulement les étudiants, mais aussi un grand nombre d'auditeurs.

L'Université tient à renouveler à ces quatre maîtres qui l'ont si bien servie ses meilleurs voeux en même temps que l'expression de sa vive reconnaissance.

Plusieurs heureuses nominations ont apporté aux Facultés des forces nouvelles. M. Edmond Rochedieu a été nommé à la chaire de psychologie religieuse et d'histoire des religions. Le Dr Edmond Grasset, jusqu'ici directeur du Département sérologique du South African Institute for medical Research de Johannesburg, a été appelé à la chaire d'hygiène et de bactériologie. M. Arthur Linder a été chargé, comme professeur extraordinaire, d'un enseignement de statistique mathématique appliquée. MM. Henri de Ziégler, Henri Frei et André Mirimanoff, jusqu'ici professeurs extraordinaires, ont été promus à l'ordinariat. M. Louis Hautecoeur a été nommé professeur extraordinaire d'histoire de l'art. MM. Lucien Féraud et Fernand Reyrenn, chargés de cours, sont devenus professeurs extraordinaires. Enfin M. Louis Comisetti s'est vu confier, au titre de chargé de cours, un enseignement sur les services industriels de droit public en Suisse.

Plusieurs nouveaux privat-docents, après les épreuves réglementaires, ont été autorisés à donner un enseignement. Ce sont MM. Novel, Soudan et Boymond à la Faculté des sciences, MM. Mayeda, Reverdin et Nicolski à la Faculté des lettres, M. Pic-Manaime à la Faculté de droit et M. Reiwald à la Faculté des sciences économiques et sociales.

Nous souhaitons la bienvenue à tous ces collègues et nous leur présentons nos voeux de féconde activité.

Plusieurs de ces nominations résultent de la création d'enseignements nouveaux. Vue du dehors, l'Université peut paraître toujours pareille à elle-même, presque immuable. En réalité, elle est en voie de perpétuelle transformation. Elle s'adapte aux conditions nouvelles et fluctuantes de la vie; elle répond aux besoins scientifiques qui surgissent sans cesse; elle est un organisme en pleine croissance. Qu'on songe par exemple au succès grandissant. de notre Ecole d'interprètes. Les multiples modifications des règlements des facultés dans lesquelles s'inscrivent les exigences nouvelles à la fois de la formation professionnelle et de la recherche scientifique témoignent bien que cette souplesse et de cette vitalité de l'Université. Ces modifications, je ne songe pas à les énumérer: on me saura gré de les renvoyer au rapport administratif.

Dans les facultés de sciences morales, l'augmentation du nombre des étudiants et le changement graduel des méthodes d'enseignement imposent aussi des innovations. En lettres, en droit, en sciences économiques et sociales, un assez grand nombre de postes d'assistants viennent d'être créés grâce à la compréhension du Département de l'Instruction publique. Certains professeurs se trouvent actuellement dans l'impossibilité matérielle de suivre tous les travaux de leurs étudiants. Or, et à juste titre, la place que l'on fait aux recherches et à l'effort personnels des candidats à la licence

est toujours plus grande. Les conférences doivent jouer le même rôle que les laboratoires à la Faculté des sciences et les cliniques en médecine. L'adjonction de jeunes forces au corps professoral permettra de mieux répondre à ces besoins, de mieux appliquer ces méthodes nouvelles.

Certes le développement, je dirai même le succès de notre Université — ses effectifs ont augmenté de 1923 à 1945 de 167 % — imposent à la République et Canton de Genève des sacrifices financiers considérables. Lorsque nous comparons notre situation à celle d'autres universités — je pense à celles de Montpellier et de Lyon qu'il a été donné à plusieurs d'entre nous de visiter récemment — nous avons un sentiment assez net de l'insuffisance de certains de nos moyens matériels.

Mais si, comme citoyens genevois, nous confrontons notre budget académique avec celui de la République, nous reconnaissons l'ampleur des sacrifices que la communauté s'impose en faveur de son L'Université. Et c'est pourquoi, lorsque nous nous présentons en quémandeurs devant nos autorités — comme c'est le cas actuellement pour le rééquipement de nos laboratoires et de nos bibliothèques — nous ne le faisons pas sans avoir étudié nos projets sous le signe de la plus rigoureuse économie.

Cependant, on ne saurait dissimuler que l'espace manque de plus en plus à l'Université. Comment pourrait-il en être autrement avec l'augmentation de nos effectifs et la diversification de nos enseignements? Combiner un horaire rationnel devient chose presque impossible.

C'est pourquoi l'Université — et je me trouve en disant cela vers MM. les conseillers administratifs de la Ville de Genève, dont nous avons pu si souvent apprécier la généreuse attitude à l'égard de notre maison — c'est pourquoi l'Université appelle de ses voeux les plus ardents l'édification du nouveau musée d'histoire. naturelle qui lui permettrait de s'étendre et de respirer grâce à la reprise par l'Etat et à l'aménagement du Museum actuel.

La construction des bâtiments de la Faculté des sciences dans le quartier de I'Arve apparaît urgente aussi. Les

travaux de l'Institut de physique devraient commencer immédiatement, ne serait-ce que pour ne pas perdre le fruit de la magnifique participation financière des grandes industries genevoises, participation qui est liée à une réalisation rapide de nos plans.

Tous ces projets — et d'autres encore — présupposent des sacrifices. Mais le peuple de Genève a toujours tenu à honneur de soutenir son Université: car il sait qu'elle ne constitue pas un objet de luxe, mais bien une institution essentielle, fondement de 1'Etat, institution sans laquelle Genève ne serait pas ce qu'elle est. Il sait très bien aussi, ce peuple genevois, qu'une mutilation, que dis-se? un simple affaiblissement de l'Université, auraient des répercussions redoutables sur l'avenir, non seulement spirituel et moral, mais aussi matériel du pays.

C'est ce que comprennent admirablement nos hautes autorités, fidèles interprètes de la volonté générale. L'Université a trouvé en M. le Conseiller d'Etat Albert Picot, chargé du Département de l'Instruction publique, un ami éprouvé qui a bien voulu suivre avec infiniment de soins, d'attention et de sympathie la vie de l'Alma mater qui a été la sienne. ii à compris nos besoins. Il a cherché à concilier les impérieuses exigences du budget cantonal et les nécessités non moins impérieuses de l'Université. Grâce à la compréhension et la sollicitude éclairées de M. Picot, nous avons pu réaliser une série de perfectionnements qui seront. sous peu, sans aucun doute, suivis d'autres. Que M. le Conseiller d'Etat Albert Picot veuille bien accepter l'assurance de la vive reconnaissance de l'Université tout entière. Nous tenons aussi à exprimer nos plus sincères remerciements à M. Henri Grandjean, le très actif premier secrétaire du Département de l'Instruction publique.

La sollicitude de nos autorités s'est manifestée aussi par les améliorations apportées à nos bâtiments. Grâce à M. le Conseiller d'Etat Louis Casaï, l'équipement de notre magnifique aula a été terminé. Plus que jamais, cette salle est un centre de la vie intellectuelle genevoise. Alexandre Cingria est mort récemment. Ses amis et ses admirateurs lui ont rendu, dans cette aula même où il a représenté dans les

splendides vitraux que vous avez sous les yeux le triomphe de la vérité sur l'erreur et de la vie sur la mort, un pieux et émouvant hommage auquel l'Université a tenu à s'associer par la bouche de son Recteur et de son Vice-Recteur.

La salle des professeurs, transformée et confortablement meublée, est devenue accueillante; les escaliers et les vestibules du second étage et du sous-sol ont été restaurés.

Ainsi le visage de l'Université rajeunit: notre maison ne fait pas mauvaise figure parmi les bâtiments académiques suisses et étrangers.

Nous disions il y a un instant que le peuple de Genève s'était toujours montré généreux pour son Alma mater. Cette libéralité s'est de nouveau manifestée cette année d'une réjouissante façon.

Walter Meylan, qui enseigna avec tant de succès pendant de longues années au Collège, a laissé une partie de son importante bibliothèque et une somme de 200 fr. à la Faculté des lettres.

La famille du regretté professeur Ernest Métral a remis à l'Université un capital de 17.500 fr. dont les revenus permettront d'offrir un prix aux étudiants de l'Institut de médecine dentaire.

La Faculté des sciences économiques et sociales a été privilégiée. M. le professeur Edouard Folliet a doublé le fonds qu'il a créé: il passe de 10.000 fr. à 20.000 fr. MM. Perret et Berthoud, par un nouveau versement de 2000 fr., ont porté le fonds Universal à 22.000 f r. M. Hans Wilsdorf, directeur des Montres Rolex S.A., vient de créer une fondation, dont une partie des revenus reviendra, à partir de 1949, à notre Faculté des sciences économiques et sociales.

Nous réitérons à tous ces donateurs l'expression de la profonde gratitude de l'Université. Ils peuvent être assurés

que leur générosité est appréciée à sa valeur et qu'ils faciliteront dans de multiples directions les tâches des facultés et la vie, pas toujours très facile, de beaucoup d'étudiants.

Cette générosité genevoise s'est manifestée encore dans d'autres domaines. Je n'en veux pour preuve que les résultats qu'ont obtenus plusieurs actions entreprises par l'Université. Professeurs, étudiants, peuple genevois, tous ont répondu avec empressement à ses appels. L'autre jour, à Lyon, M; le Recteur André Allix, au cours d'une émouvante cérémonie, a dit en termes élevés et qui dépassent certainement les modestes services que Genève a pu lui rendre, la reconnaisance de l'Université de Lyon.

L'action en faveur des étudiants d'Amsterdam dont M. Stelling-Michaud a été le dynamique initiateur a encaissé des sommes importantes, à quoi il faudrait ajouter les prestations considérables représentées par l'hospitalité si généreusement accordée à nos hôtes hollandais par tant de familles genevoises.

Enfin nous avons ouvert avec beaucoup de succès, dans certains milieux très limités du commerce genevois une souscription en faveur de notre propagande à l'étranger, propagande qui sera utile non seulement à l'Université, mais en définitive à la collectivité genevoise tout entière. Le Conseil d'Etat, le Conseil administratif de la Ville de Genève et l'Association des intérêts de Genève ont bien voulu s'intéresser financièrement à notre initiative.

L'année dernière, le rapport du Recteur avait annoncé la création, grâce à l'impulsion vigoureuse de M. Adrien Lachenal, grâce aussi à un geste magnifique de la Société académique, du Fonds général de l'Université. Son capital initial était de 250.000 fr. Il atteindra vraisemblablement à la fin de ce premier exercice, 280.000 fr. Nous espérons que le rythme ultérieur de son accroissement sera plus rapide et qu'il permettra à l'Université, dans un avenir pas trop éloigné, de faire face à certaines tâches, parfois impérieuses, devant lesquelles elle se trouve trop souvent désarmée.

Nous nous permettons d'attirer discrètement l'attention de nos auditeurs en général et de nos mécènes éventuels en particulier sur un fait nouveau. Grâce à la compréhension

de M. le Conseiller d'Etat François Perréard et de ses collègues, les sommes versées à l'Université par des entreprises commerciales en la forme individuelle ou en sociétés de personnes pourront être dorénavant déduites par les donateurs du revenu professionnel soumis à l'impôt cantonal.

Je rappelais il y a une seconde le versement de plus de 50.000 fr. effectué par la Société académique à notre Fonds général, fonds à la gestion duquel elle est associée puisqu'elle est représentée dans le Conseil par trois membres de son Comité, MM. Bernard Naef, Charles Gautier et Gustave Hentsch. Mais la Société académique a également poursuivi sa politique de libéralités pour le plus grand bien des facultés, de leurs bibliothèques, instituts et laboratoires. Aussi bien, cette aide matérielle n'est qu'un aspect de son activité, car elle contribue, ce qui est peut-être plus précieux encore, à créer ce climat spirituel, moral, dont l'Université a besoin, ce climat qui est fait de compréhension et de sympathie. Que la Société académique, son comité et eu particulier son distingué président M. Bernard Naef, veuillent bien accepter les sentiments d'immense gratitude de l'Université.

Cette gratitude va aussi à l'Association des Anciens Etudiants qui cherche en ce moment à établir un contact plus intime entre les étudiants actuels et leurs aînés, entre l'Université et le pays. M. Walter Haccius vient d'entreprendre une vigoureuse campagne de recrutement dont les résultats ne tarderont pas à se faire sentir. L'Association a assumé aussi une part généreuse du loyer de la Maison internationale des étudiants.

La Maison de la rue Daniel-Colladon continue sa marche ascendante sous la souriante et paternelle surveillance de M. Guillaume Fatio et sous l'experte direction de Mlle Violette Balmer, rendant des services inappréciables à l'Université elle est devenue un véritable centre, un des pôles d'attraction, de la vie académique genevoise. Que Mlle Balmer et toutes ses collaboratrices en soient chaleureusement remerciées.

Quant au Foyer des étudiants de la rue Henri-Dunant, il poursuit sans bruit son utile carrière. Mlle Mathilde Gampert qui présidait à ses destinées avec tant de bienveillante

et intelligente autorité s'est retirée, emportant la respectueuse gratitude de l'Université. Elle a été remplacée par Mme Champ-Renaud que je suis heureux de saluer et de remercier pour la première fois dans ce rapport.

Plusieurs cérémonies ont marqué l'année universitaire. Elle à débuté par la séance de rentrée au cours de laquelle M. le professeur Georges Bickel à fait sur le thème Tabac et santé une remarquable conférence dont partisans et adversaires de «l'herbe à Nicot» s'entretiendront longtemps encore. De son côté, la Faculté de théologie à inauguré son semestre d'hiver par sa traditionnelle cérémonie d'ouverture. Après un rapport plein de vues élevées de M. le Doyen Courvoisier, M. le professeur Edmond Rochedieu à consacré, sous le titre de Théodore Flournoy, un savant croyant, un pénétrant exposé au grand psychologue genevois.

Quelques semaines plus tard, l'Université à reçu, à la Comédie. les nouveaux étudiants. Le précieux concours de Mmes Ellen Benoît et Juliette Ansermet-Salvisberg, de M. Hugues Cuenod, de la troupe de la Comédie et du trio de l'Orchestre universitaire à donné à cette cérémonie un éclat exceptionnel.

Deux charmantes soirées ont permis à nos hôtes hollandais et à leurs amis genevois de se rencontrer à la Maison internationale des étudiants. Tour à tour invitants et invités, les étudiants d'Amsterdam, à qui l'Université à été heureuse d'offrir l'hospitalité pendant le semestre d'hiver, ont manifesté une fois de plus cette bonhomie, cette cordialité de bon aloi qui sont parmi leurs caractères distinctifs.

D'autres réceptions ont marqué le passage des soldats américains à Genève, ces soldats qui, pendant huit semaines, sous les ordres du colonel Webb et du major Brown et sous l'experte direction de M. le professeur Häusermann, ont procédé à l'invasion pacifique et combien sympathique

de notre maison. Après la vie aventureuse des campagnes militaires et de l'occupation, les étudiants américains ont fait preuve de remarquables qualités de travail, d'intelligence et aussi d'une véritable fraîcheur d'esprit. La réussite totale, évidente, de cette première expérience fait désirer qu'elle se renouvelle. La chose ne paraît pas absolument impossible.

L'autre jour enfin le groupe des Théophiliens de la Sorbonne, qui a donné à la Comédie un spectacle d'art médiéval d'une haute tenue, et un contingent d'étudiants parisiens en séjour chez leurs camarades de Genève, ont été reçus en toute simplicité et en toute cordialité.

A plusieurs reprises le Conseil d'Etat et le Conseil administratif de la Ville de Genève ont bien voulu de leur côté organiser généreusement au Grand-Théâtre, des réceptions en l'honneur d'hôtes de l'Université.

L'Université a été convIée à la belle cérémonie que l'Eglise nationale protestante a organisé pour fêter le quatre-vingtième anniversaire de M. le professeur Eugène Choisy. Le Recteur, porte-parole de ses collègues, a été heureux de présenter à M. Choisy, ancien doyen de la Faculté de théologie, les félicitations et les voeux respectueux de l'Université tout entière.

Au cours de cette année académique, sur la proposition de la Faculté des lettres, l'Université a conféré deux doctorats honoris causa. Le premier a été décerné à M. Carl Yung, professeur à l'Université de Bâle, dont les travaux dans le domaine de la philosophie, de la psychologie et de la psychanalyse font autorité.

Le second a été remis, à l'occasion de son quatre-vingtième anniversaire, à M. Guillaume Fatio. L'Université a désiré honorer l'historien de Genève, le charmant érudit qui a tant travaillé à faire connaître et aimer notre passé, le grand ami de notre Alma mater aussi, ami qui s'est dépensé pour elle de tant d'ingénieuses, de généreuses façons.

Les rapports des autorités universitaires avec les étudiants ont été en tout point excellents. La vie universitaire les mobilisations et la menace du service de travail agricole obligatoire semblant s'éloigner — a pu reprendre une allure plus normale. La qualité des études ne manquera pas de s'en ressentir. Les nouvelles générations qui pourront poursuivre leur formation dans le calme devront tenir à honneur d'être dignes de leurs devancières qui ont travaillé dans de si mauvaises conditions. Et lorsque nos étudiants songeront à ce qu'est la vie de leurs camarades à l'heure actuelle et sans doute pour des longues années encore dans beaucoup d'universités européennes — ces camarades à qui font défaut non pas seulement les livres et les instruments, mais souvent aussi des vivres et un toit, à qui manquent à la fois les nourritures spirituelles et les nourritures terrestres — ils redoubleront de zèle pour être dignes du sort privilégié qui est le leur.

Les sociétés nationales et étrangères ont poursuivi leur utile activité, contribuant à la formation intellectuelle et civique de leurs membres comme à leur délassement. Leurs comités ont eu la gentillesse de convier les membres du Bureau du sénat à leurs séances, conférences, soirées littéraires, voire à leurs bais. Ils n'en voudront pas trop au recteur s'il n'a pas toujours pu, quelque grand désir qu'il en eût, répondre à toutes ces invitations.

Les autorités universitaires ont entretenu d'excellents rapports avec les deux aumôniers, protestant et catholique, M. le pasteur Jacques de Senarclens et M. l'abbé Edmond Chavaz; elles se plaisent à constater l'heureuse action qu'ils exercent au milieu des étudiants.

L'Association générale qui groupe la totalité des étudiants de l'Université, sous la vigoureuse impulsion de son président Buensod, de son comité et de ses commissions, a poursuivi sa féconde carrière. Son Office d'art a organisé avec bonheur ces concerts universitaires qui sont devenus un des éléments importants de la vie artistique de Genève. Les Feuillets universitaires s'affirment de pius en plus comme l'indispensable organe des étudiants. Ses administrateurs et rédacteurs, pleins de foi et de saine audace, viennent de mettre sur pied les Editions des Feuillets dont l'objectif essentiel

est de permettre, grâce à l'appui de mécènes, et du fait d'une organisation rationnelle, la publication de thèses à des conditions très favorables. Ils faciliteront ainsi la solution du problème de l'impression que redoutent tous les candidats au doctorat.

La malice des temps actuels rend plus indispensables que jamais les interventions de l'Office d'entr'aide qu'alimentent les cotisations de tous les étudiants. M. le professeur Emile Briner a continué à présider avec tact et dévouement aux destinées de cet Office. A son action se superpose celle, combien précieuse, combien efficace, du Fonds européen de secours aux étudiants qui, sous la généreuse impulsion de M. André de Blonay et de son adjoint le Dr Gnehm, étend ses bienfaits à l'Europe tout entière.

D'ailleurs partout se pose, urgent, le problème du recrutement des étudiants. Les universités, tout en maintenant les exigences intellectuelles rigoureuses qui leur permettent d'opérer la sélection de ceux qu'elles accueillent, devront toujours plus accorder à ceux qui en ont besoin des exemtions de taxes. Mais cela ne suffit pas. Le système des bourses devra être complété au bénéfice de nos nationaux comme des étrangers. Il ne faudrait pas qu'un seul jeune homme, une seule jeune fille, possédant à la fois des capacités exceptionnelles et l'ardente volonté de travailler, fussent arrêtés au seuil des études supérieures pour des raisons financières. L'Université vient de demander à nos autorités de créer un nouveau fonds de bourses qui serait alimenté par des versements annuels. Nous croyons savoir qu'un accueil favorable sera réservé à cette requête.

Qu'il nous soit permis à ce sujet de rappeler que la Fondation Pour l'Avenir dont M. le professeur André Oltramare a été dès le début l'infatigable animateur, vient de fêter son vingt-cinquième anniversaire après avoir rendu d'inappréciables services à de nombreux jeunes gens et jeunes filles, tant dans l'enseignement secondaire que dans nos facultés. L'Université tient à joindre son témoignage de gratitude à tous ceux qui viennent d'être adressés à la Fondation Pour l'Avenir.

Une autre question encore devra, semble-t-il, être examinée. Faut-il admettre une participation active des étudiants au contrôle, ou, plus encore, à la gestion de l'Université? Si la réponse était affirmative, dans quelles limites, selon quelles modalités cette collaboration devrait-elle s'organiser? D'aucuns, raisonnant par analogie, pensent qu'au moment où la participation du monde du travail au contrôle ou à la gestion des entreprises commence à se réaliser, l'Université, qui ne peut rester immuable dans un monde en pleine transformation, se doit d'aborder de front et résolument le problème qui la concerne. Encore une fois, ce problème je me borne à l'énoncer. Il ne m'appartient pas de le résoudre ou même de préjuger les réponses que l'Université pourrait lui donner. Il n'est pas de ceux d'ailleurs qui s'accommodent de solutions improvisées et hâtives.

Je disais l'année dernière que les sports ont conquis à l'Université la place légitime à laquelle ils ont droit, puisque chaque faculté libère dans la semaine quelques heures réservées à l'entraînement physique que dirige avec compétence et entrain M. Jean Brechbühl. Trop d'entre vous, Mesdemoiselles et Messieurs, n'ont pas encore compris la valeur réelle des sports, qui ne sont pas seulement un délassement et un gage de santé, mais encore une école de camaraderie, de fair play, de solidarité. Je sais bien que ceux qui s'en désintéressent ont quelques excuses: l'incommodité des locaux et l'éloignement des stades dont nous disposons. Mais nous avons le ferme espoir que, dans un proche avenir, grâce à la collaboration des autorités cantonales et municipales, de sérieuses améliorations seront réalisées.

A plusieurs reprises, du haut de cette chaire, j'ai eu l'occasion d'insister sur cette création originale de notre Alma mater, celle des cours généraux communs à toutes les facultés. Je ne reviendrai pas sur la signification et l'importance que l'Université leur attribue. Il ne paraît pas exagéré de dire, au terme de cette première année, que l'expérience a été concluante.

Deux fois par semaine, à la fin de l'après-midi, les cours et les travaux pratiques étant partout suspendus, l'Université a offert à tous les étudiants des conférences d'un intérêt général, les haussant au-dessus des connaissances particulières et étroitement spécialisées au sein desquelles l'orientation actuelle des études risque de les enfermer, ouvrant des portes dans les cloisons étanches qui séparent les facultés.

Certes, des retouches pourront être apportées à cette organisation. Il semble en particulier que l'expérience tentée par les Facultés des lettres et de droit, qui ont centré une série de conférences sur un sujet général, mériterait d'être poursuivie. Pourquoi même ne serait-elle pas étendue dans le sens de l'examen sous toutes leurs faces de certains problèmes essentiels grâce à la collaboration de professeurs de plusieurs facultés? On pourrait ainsi esquisser un retour, au moins partiel, vers l'esprit authentique de l'Université au temps lointain de ses origines, celui de l'unité dans la connaissance.

Dans un de ses numéros récents, l'Economist, dont on ne niera pas l'orientation résolument utiliaire, écrivait avec raison: «Plus encore que de techniciens, (le pays) a besoin de personnalités entraînées à penser et agir par elles-mêmes et dont les racines plongent dans la culture contemporaine. C'est aux universités de produire de tels individus et c'est là que le pays doit pouvoir les chercher.» Comment ne pas se rallier à cette opinion d'une revue faite par des spécialistes, pour des spécialistes?

Les cours généraux de l'Aula, aux yeux de l'Université — nous avons eu l'occasion déjà de le dire, mais nous ne saurions trop le répéter — ont encore une autre signification: ils doivent établir un lien entre elle et le public cultivé

de toutes les classes de la population, même les plus modestes. Et c'est bien ainsi que le peuple de Genève l'a compris en répondant avec empressement à notre appel. L'Université, contrairement à ce que l'on croit encore dans certains milieux, n'est pas un temple fermé où se déroulent, devant des initiés, les rites secrets d'une science hermétique. Bien sûr! Beaucoup de recherches en profondeur de ses maîtres et de ses élèves ne sont accessibles qu'à ceux qui ont poussé très loin leur préparation scientifique. Il n'empêche que l'Université doit être aussi un foyer tout rayonnant de chaleur et de lumière, un foyer qui est au service de ceux qui ont l'ambition de s'élever au-dessus d'eux-mêmes en étendant leurs connaissances. Vulgarisation, dira-t-on? Peut-être. Mais enlevons à ce mot ce qu'il a de désobligeant. L'authentique savant, sans rien sacrifier de la vérité scientifique, ne redoutera pas de mettre ses connaissances à la portée d'un public non spécialisé. Sans desservir la science, il servira le pays.

Dans cette période incertaine qui se prolonge au delà de toute raison, dans cette période qui n'est plus de guerre, mais pas encore de paix, les membres épars d'un monde que les luttes nationales, raciales, idéologiques ont écartelé, se cherchent à tâtons, poussés par l'obscur désir de reconstituer une communauté organique fondée sur ces valeurs spirituelles et morales qu'il était de mode, hier encore, de nier ou de bafouer. Quel rôle immense l'Université, si elle est fidèle à sa mission éternelle, ne doit-elle pas jouer dans cette reconstruction?

D'aucuns, chez nous et ailleurs, ont songé à la fondation d'une université internationale dans cette Genève que désigne sa tradition. Certes, l'échec de la Société des Nations — elle a été ruinée par l'ambition de certains pays et de certains hommes beaucoup plus que par l'insuffisance de ses objectifs et de ses méthodes — à jeté une ombre sur la réputation

internationale de Genève. Mais il ne s'agit vraisemblablement que d'une éclipse. Ces généreux projets tendant à appeler dans nos murs, pour les rapprocher, des maîtres et des étudiants de tous les pays, ne doivent pas nous laisser indifférents. Cependant il faut les débarrasser d'une idée qui ne pourrait que les compromettre: celle de l'utilisation des anciens bâtiments de la S.d.N. Comment pourrait-on disposer du bien d'autrui? Ces palais n'ont-ils pas été cédés en bonne et due forme à l'O.N.U.? N'est-il pas d'ailleurs dans l'intérêt de Genève de voir revenir dans ses murs des service internationaux?

Mais, cette réserve étant faite, il semble bien que ce sera une des tâches de l'Université de suivre de près, et avec une certaine hardiesse, un projet qui n'est pas une pure utopie et dont on aurait en tout cas intérêt à, préciser les contours. Et pourquoi n'utiliserait-on pas comme première cellule, comme noyau d'un organisme qui deviendrait dans la suite plus puissant et plus divers, l'Institut universitaire de hautes études internationales qui a déjà à son actif de si éclatants états de service?

Que Genève et la Suisse soient un pôle d'attraction pour beaucoup d'intellectuels — indépendamment des commodités matérielles que nous offrons grâce à des circonstances qui sont fort heureusement momentanées — c'est l'évidence même. On en peut trouver la preuve dans le nombre impressionnant de savants, d'écrivain s, de professeurs étrangers qui, au cours de cette année nous ont fait l'honneur de parler dans cette Aula. Je ne puis songer à donner ici l'énumération de tant de magnifiques conférences: cependant on me permettra bien de signaler au moins l'inoubliable semaine médicale franco-suisse.

Venus de plusieurs pays, mais surtout de France, de cette France qui est si près de notre coeur et que ses malheurs

nous ont rendue encore plus chère, ces conférenciers nous ont apporté de précieux enrichissements, en même temps qu'ils nous ont permis, ce qui est plus important, de renouer des contacts personnels, humains — et souvent des amitiés — que les circonstances avaient interrompus.

Dans ces échanges intellectuels nous n'avons pas été que partie prenante. Nous avons fait aussi notre apport, et largement. Plusieurs de nos collègues ont été appelés à faire des conférences en Europe et même en Amérique. Et lorsque j'aurais nommé MM. les professeurs Roch, Jentzer, Bujard, Weber, Bickel, Chodat. de Rham, Piaget, Weigle, de Ziégler, Wenger, Keller, Leenhardt, Courvoisier, Rappard, Raymond, je risque fort de n'avoir pas épuisé une longue liste. Probablement ai-je commis des oublis dont je m'excuse.

Deux des professeurs dont je viens de signaler les noms ont obtenu récemment un doctorat honoris causa dont Genève se réjouit avec eux: à Montpellier, M. Raymond et, à Lyon, M. Rappard. M. Marcel Raymond a été aussi l'objet d'un appel flatteur de l'Université de Bâle qui a désiré s'attacher à nouveau un homme dont elle a pu apprécier naguère les talents et dont les publications font autorité! M. Raymond a fait à son Alma mater —et au prix de réels sacrifices — l'amitié et l'honneur de lui rester fidèle. Sou geste sera apprécié à sa valeur, M. William Rappard, une fois de plus, a pu rendre à notre pays les plus éminents services, à Londres, comme observateur de la Suisse pendant la première session de l'O.N.U., à Washington au cours de discussions financières vitales pour nous en même temps qu'exceptionnellement délicates.

Montpellier a fêté, il y a quelques semaines, le sept centième anniversaire de la fondation de sa Faculté des lettres en des cérémonies grandioses: l'Université de Genève y a

été représentée par une délégation composée de M. le Doyen V. Martin, de M. Raymond et du Recteur. On me permettra à ce sujet de préciser un point de notre petite chronique, à l'usage de l'historien qui poursuivra plus tard l'oeuvre de Charles Borgeaud. Pour la première fois, des professeurs de l'Université de Genève, conformément à une décision prise en 1942 mais que la dureté des temps et le manque de tissus nous avaient empêché d'appliquer plus tôt, ont porté le costume académique, suivant en cela l'exemple des autres universités suisses. Le modèle adopté s'inspire de la robe et du bonnet de Théodore de Bèze, premier recteur de l'Académie. Grâce à sa simplicité dépouillée, à son austérité même qui n'est pas sans noblesse et sans grandeur, la robe genevoise ne fait pas mauvaise figure parmi les toges hautes en couleurs, les fourrures et les passementeries d'or des universités de France et d'ailleurs.

Cette prise de contact avec l'étranger s'est manifestée encore d'une autre façon. Malgré les obstacles dont les frontières nationales s'obstinent à se hérisser, nous avons continué à accueillir avec soie les étudiants de ces pays qui, selon une vieille tradition, veulent bien nous confier leur jeunesse. Mais de nouveaux groupes sont arrivés, se mêlant aux anciens: après les internés italiens sont venus les soldats américains et les Hollandais dont nous avons parlé — ces Hollandais qui, à Amsterdam où ils sont rentrés depuis peu, ont constitué une association qui nous adresse un touchant télégramme: «Nous vous souhaitons un heureux Dies academicus». Puis ce furent quelques Lyonnais, et aussi des missionnaires norvégiens qui passent chez nous le semestre d'été avant d'aller exercer leur ministère en Afrique. Les Iraniens ont été assez nombreux pour créer à Téhéran une section de l'Association des anciens étudiants de l'Université de Genève, à laquelle nous attachons un grand

prix, Les Turcs les Thaïlandais nous sont restés fidèles. Et voici que, pour le prochain semestre, d'importants contingents de civils américains nous sont annoncés, tandis que, de tous les pays, des demandes de renseignements affluent à notre Secrétariat. Décidément l'heureuse tradition de cosmopolitisme de notre Alma mater n'est pas menacée.

Pourquoi ne pas signaler aussi une autre forme, combien agréable et heureuse, de rapprochement international? Des étudiants belges et parisiens sont venus faire un séjour chez leurs camarades genevois qui leur ont ensuite rendu leur visite. Combien de préventions, de malentendus, d'hostilité peut-être, un tel système, s'il pouvait se généraliser et s'étendre à d'autres classes de la population, n'arriverait-il pas à éliminer?

La Suisse, lorsqu'elle compare sa situation à celle d'autres nations, lorsqu'elle constate le bonheur qui est le sien, doit se garder de pécher par orgueil ou, ce qui serait pire encore, par sotte vanité. Car notre pays court des dangers évidents: ils ne sont d'ailleurs pas les mêmes que ceux qui frappent ou qui menacent les peuples ayant fait la guerre. Ce n'est pas impunément que la Suisse a vécu pendant des années repliée sur elle-même, coupée moralement, puis physiquement, de l'Allemagne et de l'Italie et, ce qui est encore plus grave, pendant quelque temps, de la France elle-même. Ses racines n'ont plus plongé dans l'humus où elle puisait une partie de sa substance intellectuelle. Ses horizons se sont rétrécis.

Mais ce n'est pas tout. Notre pays ne souffre-t-il pas d'un autre mal? N'est-il pas trop porté à envisager tous les problèmes sous leur angle strictement matériel, technique, utilitaire? N'est-il pas menacé de cette «humiliation, dont parle Georges Duhamel, de la civilisation morale devant la civilisation matérielle»? Les universités suisses n'ont-elles

pas une part dans cette humiliation, saris qu'elles possèdent les excuses que pourraient invoquer certaines écoles étrangères que les circonstances ont accablées? Ont-elles le sens de la vraie grandeur du pays? Mettent-elles toutes leurs forces au service de la restauration non pas seulement matérielle, mais encore, mais surtout morale et spirituelle, du monde? On se prend à se demander si elles ne se sont pas écartées de la voie qu'une lignée de grands penseurs de notre pays, du moyen âge au XXe siècle, leur avait tracée.

Aussi bien, ce problème des devoirs des universités qui est aussi celui de tous les intellectuels, dépasse-t-il nos frontières pour se poser au monde: car c'est le sort de notre civilisation tout entière qui paraît devoir se jouer maintenant.

Sommes-nous menacés d'un retour à ce nouveau moyen âge dont Berdiaeff s'est fait naguère l'annonciateur? Ou pire encore? Car le moyen âge a été comme illuminé par les éclairs de la foi et de l'art et par une vie intellectuelle sous-jacente qui ne devait pas tarder à s'épanouir d'une si éclatante façon.

Ne serait-ce pas Paul Valéry qui, plus que Berdiaeff encore, aurait raison? Dans une page prophétique, par quoi débute la première lettre de la Crise de l'Esprit, dans une page qui remonte à 1919 et qui est d'une résonance extraordinairement actuelle, Paul Valéry, que M. Marcel Raymond appelait récemment l'annonciateur et le témoin du déclin de l'Europe, semblait sonner le glas de notre monde: «Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers. d'empires coulés à pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins; descendus au fond inexorable des siècles avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies et leurs sciences pures et appliquées... Nous apercevions, à travers l'épaisseur de l'histoire, les fantômes d'immenses navires qui furent chargés de richesse d'esprit...

Mais ces naufrages, après tout, n'étaient pas notre affaire. Elam, Ninive, Babylone étaient de beaux noms vagues, et la ruine totale de ces inondes avait aussi peu de signification pour nous que leur existence même. Mais France, Angleterre, Russie... ce seraient aussi de beaux noms... Et nous voyons que l'abîme de l'histoire est assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu'une civilisation a la même fragilité qu'une vie.»

Page d'un visionnaire qu'on pourrait croire inspiré. Quelle singulière prémonition du sort qui guette le monde entré dans l'ère atomique. N'est-il pas symptomatique de constater que les laboratoires chargés de recherches concernant l'énergie nucléaire sont, je crois, dans tous les pays du monde, entretenus par les budgets militaires? Ce fait rie montre-t-il pas, hélas! l'objectif final de tant d'efforts? Que ne ferait-on pas en mettant ces découvertes et ces intentions inouïes au service de la paix entre les nations, au service du bien-être et du bonheur des hommes? On s'apprête à détruire les civilisations et les peuples alors qu'il serait si simple et si grand de supprimer quelques-unes des misères, des turpitudes, des iniquités qui nous accablent.

Cependant, la pire chose serait de se déclarer d'ores et déjà vaincus et de sombrer dans un stérile pessimisme. Nous n'admettons pas sans autre que notre civilisation chrétienne soit irrémédiablement condamnée. Ce sort tragique qui nous menace, il est peut-être encore temps, malgré les apparences, de le conjurer en réconciliant, en synchronisant le progrès technique et le progrès moral et spirituel qui marchent à l'heure actuelle à des rythmes désaccordés. Un ultime redressement est encore possible: mais il n'y a pas un instant à perdre pour l'opérer.

Or, vous pouvez, vous devez, Mesdemoiselles et Messieurs, chers étudiantes et étudiants, en être les éléments actifs. Vous avez pour vous la jeunesse et l'idéal qui l'anime. Vous êtes des intellectuels et vous serez demain, en Suisse, à l'étranger, partout dans le monde, des pilotes, des guides, des chefs, avec tout ce que cela comporte de responsabilités exaltantes, mais aussi de devoirs impérieux et durs. Puissiez-vous alors être des représentants authentiques de l'esprit, de l'esprit qui seul pourra nous sauver.

Pensez aux responsabilités et aux devoirs qui vous attendent. Dès maintenant, dès le temps de vos études, préparez-vous à les affronter avec toutes les chances, toutes les possibilités de succès. C'est cela, avant toute chose, que l'Université vous demande; c'est à cela qu'elle vous convie. Puissiez-vous tous répondre à son appel.