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DISCOURS DE M. LE PROFESSEUR ALFRED ROSSELET

recteur sortant de charge
Monsieur le président du Grand Conseil, Monsieur le président du Gouvernement, Monsieur le conseiller d'Etat, chef du Département de l'instruction publique et des cultes, Monsieur le recteur, Monsieur le chancelier et Messieurs les professeurs, Mesdemoiselles les étudiantes et Messieurs les étudiants, Mesdames et Messieurs,

Je voudrais tout d'abord exprimer ma gratitude à M. Paul Perret, ancien conseiller d'Etat, qui présida, avec beaucoup d'intelligence et de distinction, pendant quinze années, aux destinées du Département de l'instruction publique et des cultes. Si je ressentis une joie particulière à pouvoir remettre entre ses mains le diplôme de docteur honoris causa que l'Université de Lausanne fut heureuse de lui donner, c'est qu'il me plaisait de joindre encore à l'hommage de mes collègues celui de ma sympathie et de ma reconnaissance.

Six mois seulement ont passé depuis le moment où M. le conseiller d'Etat Edmond Jaquet est devenu le successeur de M. Paul Perret. Je n'eus donc pas le temps de discuter avec lui de problèmes importants pour l'avenir de l'Université; mais je tiens à l'assurer du bon souvenir que me laissent la simplicité et la cordialité de son accueil, puis tout l'intérêt qu'il porte à notre Haute Ecole. Je suis de ceux qui pensent que nous ne pourrons jamais assez chercher à aider et comprendre les membres de notre gouvernement parce que leur tâche est lourde. C'est vous dire, Monsieur le conseiller d'Etat, la ferveur et la sincérité de mes voeux pour que vous soyez aidé et compris par les membres du corps enseignant de l'Université. Aussi pour que toute la peine que ne manquera pas de vous causer la haute conscience que vous avez de votre devoir ait sa récompense dans le développement croissant et la prospérité de notre Alma Mater.

C'est un fait bien connu que des expressions souvent répétées perdent tout leur sens on ne se rend pas toujours compte, en effet, de ce que signifie celle de recteur sortant de charge; elle évoque l'état d'un homme qui se libère d'un fardeau, qui dépose une charge souvent considérable d'occupations et de préoccupations venues s'ajouter, pendant deux ans, à celles déjà bien lourdes, pour un médecin, de ses obligations professionnelles. Vous comprendrez donc que je me réjouisse d'être aujourd'hui le recteur sortant de charge.

Mais il serait faux de croire que ma joie, dont la réalité ne saurait être mise en doute, est seulement faite de cet allégement; elle résulte encore de beaux et durables souvenirs recueillis pendant mes fonctions éphémères. S'il me plaît aujourd'hui de les évoquer, c'est afin de m'en servir pour répondre à ceux qui souvent me demandent à connaître les véritables tâches du recteur, Il ne pourra s'agir, cela va sans dire, que d'opinions personnelles et pas nécessairement partagées par mes prédécesseurs et mes successeurs. L'on a parfois critiqué la coutume de ne laisser que pour deux années le recteur au gouvernail de l'Université, en invoquant qu'il ne lui est pas possible de faire une oeuvre durable. Nous croyons, au contraire, qu'il est bon pour l'atmosphère de notre maison d'être souvent aérée par ces influences diverses dues aux personnalités différentes des recteurs qui se succèdent, d'autant plus qu'un commun désir ne cesse pas quand même de les unir: celui de bien servir l'Université.

Comme je pense être maintenant mis à l'abri du reproche, qui serait immérité, de vouloir critiquer ou conseiller, il m'est donc possible de vous livrer quelques impressions éprouvées au cours de ces deux dernières années et de dire la façon dont je conçois l'activité rectorale.

En cherchant à bien me rendre compte autour de quel fait essentiel la mienne fut en quelque sorte axée ou centrée, je n'en vois point d'autre que la confiance qui me fut témoignée par mes collègues en m'appelant le 2 mars 1944 à diriger notre Haute Ecole. Elle devait tout naturellement entraîner toute une série d'obligations qui commandèrent mes diverses attitudes et tout mon comportement avec cet unique souci: celui de ne pas trahir cette confiance. La responsabilité qu'elle ne tarda pas à faire peser sur ma conscience, alourdie déjà par beaucoup d'autres préoccupations, et peut-être de méfaits, me permet d'affirmer qu'il ne faut pas toujours croire ceux qui racontent, non sans malice, que le rôle du recteur se borne à prendre part à des banquets, à faire des discours et des voyages, à donner de nombreuses signatures, parfois à compulser puis à lire des dossiers au contenu plus ou moins fastidieux.

Sans vouloir, cela va sans dire, nier l'intérêt, parfois l'agrément et même l'importance de cet aspect des fonctions rectorales, il n'en constitue pas moins qu'un de ses petits côtés. Il ne saurait dans tous les cas pas correspondre à la haute idée que je m'en étais fait au moment de les assumer en voulant croire, non sans quelque prétention, que le recteur est responsable d'une partie du prestige de l'Université, mais non de sa totalité.

Il dépend beaucoup du travail qui se poursuit et se réalise entre étudiants et professeurs, dans les auditoires et les laboratoires, les séminaires et les bibliothèques de notre Maison, de la valeur de ses diplômes qu'elle ne doit décerner qu'avec beaucoup de justesse et de circonspection; il est encore lié aux recherches personnelles de ses maîtres d'où sont parfois sorties d'importantes découvertes; mais sur tout ce labeur le recteur n'exerce, cela va sans dire, aucune influence.

Comme le marguillier s'enorgueillissait du son de sa cloche, il ne peut qu'être heureux de l'estime et de l'éclat qui en résultent pour l'Université, surtout s'il est bien décidé de l'intégrer dans sa personne, de confondre presque sa vie avec la sienne; c'est parce que j'ai voulu qu'il en soit ainsi que l'une des fiertés ressenties pendant mon rectorat fut de pouvoir annoncer, en séance du Sénat, les diverses distinctions dont plusieurs de mes collègues ont été honorés et même de m'en réjouir beaucoup plus que si elles m'avaient été données; pour la même raison, je pus m'associer aisément avec beaucoup de compréhension

aux joies, aux soucis et aux deuils survenus dans leur famille, comme dans celle de nos étudiants.

L'activité principale du recteur est dans la Commission universitaire dont font partie M. le chancelier, MM. les doyens de nos cinq Facultés et MM. les directeurs de nos quatre Ecoles. Obligé, par les règlements, de la présider, il ne lui sera plus possible d'adopter une attitude essentiellement réceptive semblable à celle que je viens d'évoquer; sa personnalité doit s'y faire sentir, souvent s'affirmer jusqu'à lui permettre d'avoir le courage d'être seul à défendre une opinion, s'il estime qu'elle est conforme aux intérêts de notre Haute Ecole.

La tâche de cette commission étant surtout de s'occuper de l'administration de l'Université, le recteur en connaîtra les rouages; mais je n'ai jamais voulu que ma personne soit prise dans leurs détails; non pas que j'aie craint de m'y complaire, n'ayant jamais eu pour elle beaucoup d'inclination, mais parce qu'en lui donnant trop de temps il ne m'aurait plus été possible de me consacrer, le mot n'est pas trop fort, à ce que j'estime être l'un des plus importants devoirs du recteur: celui de chercher à faire en sorte que notre Université travaille et vive dans une ambiance de sympathie et de compréhension dont elle a besoin comme nos personnes; celui de souhaiter qu'elle soit toujours plus appréciée, et même aimée, dans ce pays de Vaud par ceux qui n'ont pas eu le privilège de s'asseoir sur les bancs de ses auditoires et qu'elle le soit aussi en dehors de nos frontières.

C'est dans ce but que j'ai demandé à la Commission universitaire — et je ne saurais assez remercier mes collègues qui firent partie de celle que j'eus l'honneur et le plaisir de présider de m'avoir si souvent aidé et compris — de collaborer aux efforts du Musée de zoologie dans l'organisation d'une exposition de papillons et de provoquer celle du Musée de géologie sur le «Charbon vaudois et l'époque de sa formation» avec l'espoir que ses 8000 visiteurs conserveraient de leur passage dans certaines salles du Palais de Rumine le souvenir de l'intérêt que l'Université tenait à leur porter.

C'est avec la même intention que j'ai provoqué des conférences de presse afin que par les représentants des journaux lausannois qui voulurent bien y prendre part le public de notre ville soit mis au courant des principaux événements de la vie universitaire.

Il nous plaît également de penser qu'à cette ambiance vient aussi collaborer la sympathie des personnalités auxquelles l'Université conféra le doctorat honoris causa et celle des éminents conférenciers — nous pensons plus spécialement à M. Charles Morgan — qui firent leurs exposés sous ses auspices ou dans son cadre,

Aucune des décisions prises par la Commission universitaire ne pouvait augmenter davantage le prestige moral de notre Haute Ecole que celle de venir au secours de l'Université de Caen si douloureusement éprouvée par la guerre, de l'aider à sortir de ses ruines, à remplacer les livres de sa bibliothèque et les instruments de ses laboratoires incendiés ou détruits par les bombardements, c'est-à-dire la décision d'aider les étudiants et les professeurs caennais à reprendre le travail qui doit donner à leur maison son éclat d'autrefois,

Leur gratitude, très souvent exprimée, le fut pour la première fois dans un beau discours prononcé par M. le recteur Mazet devant une assemblée dans laquelle se trouvaient M. le doyen Bray et moi-même. J'aime à vous en donner cet extrait que connaissent déjà mes collègues du Sénat:

«... Et voici qu'une fois encore vous accourez spontanément à notre aide, parce que vous nous savez douloureusement meurtris, dépourvus de tout, sauf

de l'ardente volonté de restaurer ce qui a été détruit et de sauver l'esprit. Votre geste ne nous surprend pas, mais il nous émeut profondément. Vous m'avez dit que vous ne vouliez point être remerciés. Laissez-moi vous dire simplement que nous voyons au delà de sa valeur matérielle la portée plus haute qu'il peut avoir: l'encouragement qu'il nous donne, l'espérance qu'il porte en lui, une coopération intellectuelle de plus en plus étroite entre les professeurs de nos deux pays qu'anime un commun idéal de dignité humaine, de paix entre les hommes, de progrès indéfini. Comme nous, vous croyez que les forces spirituelles auront plus de part à la restauration de notre civilisation menacée que les forces matérielles qui ont failli la conduire à sa perte. C'est pour ce témoignage si précieux que vous nous apportez que nous vous exprimons du fond du coeur toute notre reconnaissance.»

S'il m'a plu de vous lire cet extrait du discours de M. le recteur Mazet, c'est que la gratitude qui s'y trouve exprimée, sans parvenir pourtant à dépasser celle que nous devons à nos amis de Caen et de France pour leur exemple de courage et d'héroïsme, de désintéressement et d'entraide, est un apport à la fois émouvant et tonique à ce milieu dans lequel j'aime à sentir vivre et travailler notre Université de Lausanne.

Au moment où s'approchait à grands pas la fin de mon rectorat, l'un de mes collègues a bien voulu prendre la peine de m'écrire pour me remercier de l'esprit dans lequel j'avais dirigé l'Université, Qu'il me permette de lui dire et de vous dire, Mesdames et Messieurs, que j'ai tout simplement voulu rester fidèle aux idées exprimées dans mon discours de recteur entrant en charge, c'est que toute activité humaine, pour être utile et servir, ne doit pas seulement être aidée par l'intelligence, mais également inspirée par l'esprit auquel d'autres noms pourraient encore être donnés.

Mesdemoiselles les étudiantes et Messieurs les étudiants,

Pendant la plus grande partie de mon rectorat, il ne m'a pas été possible d'avoir avec vous de nombreux contacts; mais j'ai pris ma revanche pendant ce dernier semestre d'été où j'eus tant de plaisir à m'associer aux représentants de toutes les facultés et de toutes les écoles pour discuter avec eux de la révision des statuts de votre association, Vous savez qu'ils sont dominés par le souci de vous donner la conscience de vos responsabilités, de vous rendre forts et solidaires, de faire en sorte que l'on ne puisse plus prendre de décisions importantes intéressant vos personnes, et parfois aussi vos porte-monnaie, sans que vous soyez consultés sur leur opportunité.

Je suis sûr que vous mériterez la confiance de la Commission universitaire, comme celle du Comité de patronage des étudiants, qui voulurent bien approuver le résultat de vos débats. Vous ne pourriez pas mieux le faire qu'en collaborant avec vos maîtres par votre travail et la générosité de vos coeurs au rayonnement intellectuel et spirituel de l'Université, par votre apport à la formation de cette ambiance de compréhension et de sympathie dont nous voudrions qu'elle soit toujours entourée.

Monsieur le recteur Henri Meylan,

Il m'est particulièrement agréable de penser que vous êtes devenu mon successeur à cause de nos relations qui sont déjà fort anciennes; elles datent d'une quarantaine d'années, c'est-à-dire du temps où j'étais aimablement reçu

dans une ambiance familiale dont le souvenir est sans doute l'un des responsables de votre belle carrière. Il me plaît de rappeler, avec respect, la mémoire de Monsieur votre père, professeur de grec au Collège Gaillard, puis à notre Université, et de saluer avec déférence Madame votre mère qui doit être bien heureuse de vous savoir revêtu des plus hautes fonctions universitaires.

Si vos collègues de la Faculté de théologie proposèrent au Sénat de vous les confier, c'est qu'ils savaient bien que vous ne manqueriez pas de les imprégner de qualités morales si nécessaires pour qu'elles soient exercées avec autorité; votre droiture et votre désintéressement, votre simplicité, aussi votre modestie que vos titres et vos succès dus à votre belle intelligence ne parvinrent point à modifier.

Licencié en théologie de l'Université de Lausanne, vous suivez pendant un semestre les cours de celle de Vienne pour vivre ensuite pendant cinq années à Paris où vous êtes un élève apprécié de l'Ecole des Chartes et de la Sorbonne. Vous en revenez avec le diplôme envié d'archiviste paléographe. Pendant un stage que vous fîtes aux Archives fédérales, le Conseil d'Etat vaudois vous demande d'occuper à notre Faculté de théologie, d'abord comme chargé de cours puis comme professeur, la chaire d'histoire de l'Eglise et d'histoire des Dogmes devenue vacante par la mort de M. le professeur Aimé Chavan. Comme lui, vous l'avez illustrée par votre enseignement et vos travaux; c'est à leur valeur que vous devez sans doute d'être l'un des rédacteurs de la Revue de théologie et de philosophie, puis docteur honoris causa de l'Université de Neuchâtel. Mais n'est-ce pas, peut-être, pour avoir voulu les poursuivre avec trop de conscience et de ferveur, aussi parce que vous avez accepté d'être le doyen puis le bibliothécaire de la Faculté de théologie que votre carrière militaire fut moins fructueuse puisqu'elle ne vous a conduit qu'au grade d'appointé avec lequel vous avez consciencieusement servi notre pays de 1939 à 1945.

Votre fréquentation particulièrement assidue des bibliothèques valut aux spécialistes d'apprécier vos nombreuses publications et devait causer aux profanes le plaisir de lire deux beaux livres, celui où vous racontez, avec tant de bonheur, l'histoire de notre Haute Ecole et vos Silhouettes du 16e siècle dont la lecture nous rapproche de personnages dont nous nous sentions éloignés par l'austérité de leurs principes.

L'on pourrait craindre que votre amour du passé ne se conciliât point avec les exigences de vos nouvelles fonctions si nous ne savions pas qu'un homme de cabinet peut aussi, comme vous l'avez écrit à propos de Calvin, «faire preuve d'une volonté de fer et d'une capacité de réalisation que rien ne peut rebuter». Ce qui me fait encore penser qu'il vous est possible de réaliser un semblable comportement, c'est votre double ascendance jurassienne, aux racines solidement ancrées dans la terre vaudoise de la Vallée de Joux ou fixées dans le sol du Jura neuchâtelois dont les habitants ont toujours su joindre au goût de la lutte, à l'esprit d'initiative, au sens des réalités, beaucoup de bienveillance et de générosité. C'est encore une raison pour me réjouir de sentir entre vos mains, comme l'on dit, notre Université de Lausanne.