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INSTALLATION DE M. LE PROFESSEUR HENRI ZWAHLEN

EN QUALITÉ DE
RECTEUR
POUR LA PÉRIODE DE 1962 A 1964
LIBRAIRIE PAYOT
LIBRAIRIE DE L'UNIVERSITÉ
LAUSANNE 1963

DISCOURS
DE M. LE PROFESSEUR GILBERT GUISAN
RECTEUR SORTANT DE CHARGE
Monsieur le Conseiller d'Etat, Monsieur le Recteur, Mesdames et Messieurs,

«Tout commence en mystique et finit en politique». Pourquoi ces mots de Péguy me trottent-ils dans la tête au moment de prendre la parole, sinon, sans doute, parce qu'il ne s'agit plus pour moi de m'exprimer dans les termes de ma préférence, mais qu'il me faut bien plutôt, obéissant à l'usage, recourir au style du rapport, que chacun sait réfractaire à l'art comme au sentiment.

Toutefois, avant de pratiquer l'autopsie de notre passé de recteur, qu'il nous soit permis de laisser parler notre coeur un instant en évoquant avec gratitude la mémoire de ceux qui ont donné à l'Université le meilleur de leurs forces et de leur intelligence, je pense à sept de nos professeurs honoraires disparus au cours de ces deux dernières années: Charles Biermann, Antoine Dumas, Pierre Gilliard, Jean Larguier des Bancels, Arthur Maillefer, Albert Perrier, Casimir Strzyzowski; je pense aussi à Hans Gaschen, Jean Tschumi, Eugène Urech, qui nous furent enlevés en pleine activité et dont la brutale disparition nous afflige avec une intensité particulière. La mort de trois étudiants: H. Rodriguez, Dennis Schäublin, Anh Pham Quoc ne nous a pas moins affectés.

Trois professeurs ont pris leur retraite et nous leur renouvelons avec nos voeux l'expression de notre reconnaissance: M. Jules Chuard et M. Charlie Jéquier, professeurs à l'Ecole des hautes études commerciales, M. Paul Turin, professeur à la Faculté de

droit. M. Jules Chuard, directeur de l'Ecole des hautes études commerciales, a eu la joie et la fierté de fêter avant son départ le cinquantenaire d'une Ecole qu'il a dirigée avec un enthousiasme continu. Par ailleurs, M. Jean Leymarie, professeur à la Faculté des lettres, renonçant à partager son enseignement entre les Universités de Genève et de Lausanne, nous a donné sa démission. Nous n'oublierons pas les précieux services qu'il a rendus, ni l'élan qu'il a communiqué à l'étude de l'histoire de l'art.

Si le deuil ou la retraite privent l'Université d'hommes de longue expérience et de profond savoir, des nominations nouvelles lui apportent des forces jeunes, des méthodes de travail et de recherche neuves. Font désormais partie du sénat en qualité de professeurs extraordinaires, MM. Frédéric Aubry (EPUL), Philippe Chuard (HEC), Jean-Pierre Imhof (Sc. et HEC), Michel Jéquier (Méd.) Paul-Louis Pelet (SSP), Gérard Wanders et Robert Woodtli (Sc.). De nombreux professeurs associés, chargés de cours et lecteurs ont également été nommés; ils ne m'en voudront pas de ne pas les citer tous: l'Université a été heureuse de les accueillir et se réjouit de leur concours.

Si le va-et-vient du corps professoral contribue à modifier d'année en année le visage de l'Université, celle-ci ne craint pas de renoncer elle-même à de vieilles habitudes. Dans ses considérations de prorecteur, M. le professeur Matthey s'exprimait avec pessimisme sur le sort d'une réforme administrative dont il avait pris la courageuse initiative. Cette réforme est chose faite aujourd'hui, notre tâche s'étant limitée à une mise au point et aux ajustements que demandaient les premières expériences. Ainsi l'ancienne pratique qui déterminait le montant des finances de cours d'après le nombre d'heures inscrites au gré de chaque étudiant et qui entraînait pour chacun d'eux un décompte particulier, a été remplacé par des droits d'inscription forfaitaires calculés, pour chaque faculté et école, selon la moyenne des heures de cours nécessaires à la préparation des programmes d'études. A la simplification comptable qui résulte du nouveau système s'ajoutent des avantages

intellectuels importants dont les étudiants commencent à tirer profit: désormais ils peuvent suivre en effet, sans aucun supplément d'inscription, tous les cours qui retiennent leur intérêt, et nous avons eu le plaisir de constater, par une rapide analyse des feuilles d'inscription aux facultés des sciences morales, effectuée cet été, que les étudiants avaient pris en moyenne quatre heures de cours de plus qu'avec l'ancien système, montrant ainsi leur désir de compléter des études d'un caractère souvent très technique par des cours de culture générale. Pas plus cher qu'autrefois si l'on veut bien prendre pour critère de comparaison le nombre moyen des heures de cours indispensables à des études normales, l'enseignement universitaire est aujourd'hui moins coûteux, si l'on sait tirer parti des commodités du forfait.

D'aucuns se sont étonnés d'un supplément, d'ailleurs modeste, demandé aux étudiants étrangers inscrits dans les facultés scientifiques à titre de contribution aux frais d'équipement et d'entretien des laboratoires, cette différence n'existant pas dans les autres universités. Mais il est aussi peu d'universités, croyons-nous, qui comptent autant d'étudiants étrangers que l'Université de Lausanne, où ils représentent le 49 %de l'effectif total. Généreuse par ailleurs, puisqu'elle accueille gratuitement les boursiers fédéraux, qui étaient au nombre de vingt-six l'an dernier, mais qui dépassent la quarantaine cet hiver et qui iront en augmentant encore, l'Université de Lausanne ne pense pas manquer à sa tradition d'hospitalité en sollicitant des étudiants étrangers inscrits à la Faculté des sciences, à la Faculté de médecine et à l'Ecole de pharmacie une participation un peu plus grande que celle de leurs camarades suisses à des frais d'études particulièrement élevés. Ces étudiants sont d'ailleurs les premiers à le comprendre.

Nous accusera-t-on aussi de xénophobie parce que nous avons pris des mesures propres à débarrasser nos auditoires et nos instituts des traînards qui accumulent les semestres sans jamais se présenter aux examens et dont l'inscription à l'Université paraît bien être la justification d'une résidence dans notre pays? Désormais en effet, les étudiants seront mis en demeure de se présenter à leurs examens après une scolarité normale et, en cas de dérobades ou d'échecs

répétés, se verront exmatriculés d'office. Mesures de salubrité à l'égard des indésirables, mais encouragements aussi à l'égard des étudiants qui travaillent, et c'est dans cette intention qu'a été revisé le règlement des prix et concours. Aux prix institués par des fondations et décernés dans des conditions particulières, s'ajouteront ainsi, sans limitation de nombre, des récompenses pour les étudiants qui se distingueront par la seule qualité de leurs études. Et des prix importants seront proposés en concours à ceux qui, dans les quatre ans qui suivront l'acquisition de leurs grades, auront poursuivi et mené à bien des recherches personnelles.

La spécialisation croissante des études et la recherche scientifique ne permettent plus à nos universités de vivre aujourd'hui et de se développer dans l'ignorance les unes des autres; elles réclament même davantage, une collaboration dans l'organisation des études, une coordination dans les programmes de recherche. Ce fut notre souci, dès le début de notre rectorat, que de resserrer entre les universités romandes des liens sans doute cordiaux, mais un peu lâches, et de créer un climat de confiance et d'amitié qui permette d'harmoniser nos vues et nos efforts et d'élaborer en commun des projets utiles à tous. Nos voeux rejoignaient ceux de M. le professeur Eric Martin, recteur de l'Université de Genève, dont nous n'oublierons pas la générosité de coeur et d'esprit ni l'enthousiasme communicatif; nous sommes heureux de saluer sa présence à cette cérémonie et de pouvoir lui dire ici notre gratitude. C'est avec lui qu'ont été décidées des rencontres semestrielles des doyens des deux Universités et une réunion, au moins une fois par année, du bureau du Sénat genevois et de la Commission universitaire lausannoise. En outre —et cette disposition est plus qu'un symbole —les étudiants des deux universités ont désormais la possibilité de suivre gratuitement et jusqu'à concurrence de cinq heures les cours ex cathedra donnés dans l'université qui n'est pas la leur. Une même disposition sera prise avec l'Université de Neuchâtel, avec laquelle des relations plus étroites se sont également nouées.

Ce rapprochement entre les universités romandes et leur solidarité se sont manifestés encore dans l'étude et l'élaboration de

formules qui auraient dû permettre à la Confédération d'accorder sans retard aux universités l'aide dont elles ont un besoin vital. Nous avions malheureusement oublié que la carte fédérale de Tendre n'est pas si simple et met à l'épreuve des plus longs périples la patience du soupirant. Pour le moment, nous en sommes à «ces agréables villages de jolis Vers, de Billet Galant, de Billet doux, qui sont, écrit Mile de Scudéry, les opérations les plus ordinaires du grand esprit dans les commencements d'une amitié».

C'est le privilège du recteur que d'être appelé à l'étranger pour associer l'Université à tel anniversaire, à telle inauguration. A la veille de notre rectorat, nous allions à Lille pour célébrer son quatrième centenaire; plus vénérable encore, l'Université de Pavie nous invitait pour son six centième anniversaire; nous avons commémoré ce printemps à Clermont-Ferrand le souvenir de Pascal, et cet automne, dans la gloire des vendanges, M. le recteur Bouchard nous faisait visiter à Dijon les nouvelles Facultés des lettres et de droit. Attentions charmantes, gentillesses de toute sorte, exquises prévenances, souhaits sincères de relations et d'échanges plus fréquents, on ne voudrait conserver de ces courtes diversions que ces seuls souvenirs. Comment taire toutefois le sentiment de colère qui nous a pris à chaque retour, lorsqu'après avoir été témoin du remarquable effort de rénovation qui se fait, par exemple, dans la province française, et d'adaptation audacieuse aux exigences présentes —je pense notamment à la décentralisation qui s'opère à Reims et à Orléans — nous avons retrouvé notre immobilisme helvétique —je ne dis pas vaudois — et notre désespérante quiétude. Quand nous lisons que le projet de budget de la Confédération pour 1963 comporte 1 milliard 254 millions pour l'armée, 500 millions pour les routes et 23 millions pour la recherche scientifique, nous nous demandons si nous ne rêvons pas et si nous vivons encore dans le pays du bon sens. Il ne suffit pas de se défendre, il faut assurer la vie, il faut assurer l'avenir. Or ce sont les forces vives de la nation, ses forces de réflexion, d'organisation et de création que doivent préparer les universités. Que fait-on pour elles?

Quant à nous, nous avons demandé à nos facultés et écoles de dresser le plan des développements qu'elles envisageaient pour les dix ans à venir. Nous savons que le nombre des étudiants aura doublé et que la superficie des locaux d'enseignement devrait être triplée. Nous savons aussi que l'importance des besoins dépasse de beaucoup les possibilités financières de notre canton. Une fois de plus, mais avec plus d'angoisse, nous devons jeter un solennel cri d'alarme.

Que cet S.O.S. ne vous laisse pas croire, Monsieur le Conseiller d'Etat, à notre ingratitude. Nous avons pu mesurer au contraire, au long de ces deux années, combien le sort de l'Université vous tenait à coeur, et tout récemment encore, vous avez demandé au Grand Conseil de nouveaux et importants crédits. Nous vous sommes reconnaissants de cette constante sollicitude, et nous nous en voudrions de ne pas remercier également le Conseil d'Etat et le Grand Conseil de l'intérêt compréhensif et généreux qu'ils manifestent à l'égard de l'Université. Dois-je vous dire en outre, Monsieur le Conseiller d'Etat, que les paroles que vous venez de m'adresser me touchent profondément? Votre estime m'est précieuse et sera sans nul doute, de mon rectorat, l'une des plus belles récompenses.

Je tiens à vous remercier aussi, Mesdemoiselles les étudiantes, Messieurs les étudiants, de votre bienveillance, qui m'a assuré deux années paisibles. J'apprécierais davantage encore ce présent, si je pouvais lui adjoindre le souvenir d'une collaboration étroite, ce qui ne fut pas tout à fait le cas. Vos autorités m'ont paru trop souvent repliées sur elles-mêmes, peut-être empêtrées dans d'interminables et stériles révisions de statuts, peut-être tant soit peu paralysées par des querelles intestines, peut-être désireuses parfois aussi d'affirmer leur indépendance. Cependant les autorités estudiantines, comme les autorités universitaires, sont caduques, et si elles veulent résoudre quelques-uns des grands problèmes qui les préoccupent, comme celui d'une cité universitaire, ce n'est qu'en associant dans la confiance leurs efforts à ceux du recteur et du Comité social qu'elles y parviendront. Mais je m'en voudrais de ne pas saluer le succès répété du bal de l'Entraide et celui de la Journée du Travail, l'heureuse initiative du Club international qui

arrache les étudiants étrangers à leur solitude, et de ne pas rendre hommage à tous ceux qui par leur dévouement et leur générosité tirent de peine leurs camarades en difficulté.

Et maintenant, Monsieur le Recteur, je me tourne vers vous. Qu'il fait bon vous regarder! II émane de votre personne je ne sais quelle force tranquille, à la fois rassurante et toute pleine de promesses. Clairvoyance et autorité, esprit de mesure et de décision, que ces vertus vous sont familières! Vous disposez là de bien grandes grâces, et l'Université qui va disposer de vous pendant deux ans, n'est pas la moins fortunée.