MÉDAILLE GONIN
(1970)
LIBRAIRIE PAYOT
LIBRAIRIE DE L'UNIVERSITÉ
LAUSANNE 1971
DISCOURS
DU
PROFESSEUR DOMINIQUE RIVIER,
RECTEUR DE L'UNIVERSITÉ DE LAUSANNE
Mesdames, Messieurs,
En ouvrant cette cérémonie organisée tous les quatre ans par
l'Université de Lausanne pour honorer le titulaire de la Médaille
Gonin —cérémonie qui par un heureux jeu de l'arithmétique
tombe l'année même du centenaire de la naissance du grand oculiste
lausannois —je souhaite une cordiale bienvenue au récipiendaire
de la Médaille pour 1970, le professeur Gerhard Meyer-Schwickerath,
de l'Université d'Essen.
Nos souhaits de bienvenue s'adressent aussi aux précédents
titulaires de cette haute distinction: le Dr Hermenegilde Arruga
de Barcelone, Sir Stewart Duke-Elder de Londres, les professeurs
Hans Goldmann de Berne et Jules François de Gand.
Au nom de l'Université, j'ai encore l'honneur de saluer
le professeur Jean Charamis, ancien président du Comité
international d'ophtalmologie,
le professeur Bernardo Streiff, président du Conseil européen
d'ophtalmologie,
le professeur Alfred Huber, président de la Société suisse
d'ophtalmologie,
ainsi que les nombreux invités de ce jour, au premier rang desquels
nous sommes heureux de voir plusieurs membres de la famille de
Jules Gonin.
En 1937, l'année même où elle célébrait le quatrième centenaire
de son établissement, l'Université de Lausanne a voulu honorer
durablement la mémoire d'un parmi ses maîtres qui l'a illustrée
de façon exemplaire, tant par le sens élevé qu'il sut conférer à sa
vocation de chercheur que par l'incomparable éclat d'une découverte
qui étend ses bienfaits jusque dans le monde entier.
A cette fin, l'Université se joignit à la Société suisse d'ophtalmologie
qui, de son côté, désirait marquer sa reconnaissance pour
l'activité féconde de l'un de ses fondateurs. C'est ainsi que fut
instituée la Médaille Jules Gonin, dans le but principal de stimuler
le progrès de l'ophtalmologie, progrès auquel a contribué de manière
décisive le grand oculiste vaudois, inventeur du traitement du
décollement rétinien.
La Médaille —ainsi en décidèrent ses institutrices —doit être
décernée périodiquement par les soins du Conseil international
d'ophtalmologie; elle consacre de son auréole les mérites d'un
oculiste distingué par l'excellence de ses travaux.
Un usage délicat veut que les opérations se déroulent en deux
temps: s'il appartient au Congrès international d'ophtalmologie
de remettre la médaille à son titulaire — ce fut le cas cette année à
Mexico, au mois de mars dernier — une cérémonie plus intime
offre aux institutions créatrices de cette distinction —Université de
Lausanne et Société suisse d'ophtalmologie —l'occasion d'honorer
le récipiendaire dans le pays même où naquit, vécut et travailla
Jules Gonin.
Les orateurs qui prendront tout à l'heure la parole ne manqueront
pas —c'est une juste et excellente tradition —de rendre
hommage à Jules Gonin. Laissant à ces éminents spécialistes le
soin de souligner avec compétence les dons qui firent de Gonin un
grand ophtalmologue, j'aimerais pour clore cette introduction
retenir quelques instants votre attention à ce qui, sur un plan plus
général, fit de l'oculiste lausannois un maître hors ligne.
En 1904, lors du 10e Congrès d'ophtalmologie à Lucerne,
Jules Gonin entend Marc Dufour, son patron, lancer un vibrant
appel pour qu'un remède soit enfin trouvé au mal terrible du
décollement de la rétine. Exalté par la gageure —il y va de rendre
la vue à des milliers de malades —le jeune oculiste dresse son plan:
élaborer une méthode sûre pour observer la rétine, afin de mettre en
évidence la cause du décollement; puis inventer le remède en tentant
d'éliminer cette cause. Simple et clair, ce plan se heurte d'emblée
à de grandes difficultés expérimentales. Qu'à cela ne tienne: pendant
plus de dix ans Gonin accumule et perfectionne ses observations
jusqu'au moment où il peut affirmer: c'est une déchirure qui
est à l'origine du décollement rétinien. Ayant trouvé la cause du
mal, suivant son plan il imagine alors le remède: «fermons la
déchirure —supprimons la cause — et le décollement s'arrêtera.»
Nous sommes en 1913. Dans le silence, Gonin essaie patiemment
le nouveau traitement. Et il attend jusqu'en 1920 pour communiquer
les résultats de ses recherches, commencées seize ans auparavant.
En dépit de sa clarté, de sa logique et de son objectivité, l'exposé
qu'il fait à la Société française d'ophtalmologie «ne convainc
personne». Son premier mémoire dans les Annales d'oculistique
n'a pas plus de succès: c'est partout le même scepticisme et les
mêmes résistances. Peu importe: sûr de ses observations, encouragé
par les premiers résultats du traitement, Gonin persévère seul
contre vents et marées. Le succès ne vient qu'en 1929, lorsque ses
thèses et ses réussites opératoires sont enfin reconnues au Congrès
international d'ophtalmologie d'Amsterdam.
Ainsi, il a fallu à Gonin vingt-cinq ans de recherche solitaire,
vingt-cinq ans de combat continu, vingt-cinq ans de ténacité et de
foi, pour que la lumière triomphe enfin des ténèbres.
A une époque où propagande et publicité sont en passe de
gagner jusqu'au monde des sciences, la carrière de Jules Gonin a,
dans sa retenue, sa simplicité et sa grandeur, quelque chose de
fascinant. Elle a surtout la valeur d'un incomparable exemple. Car
y apparaissent à l'état pur ce qu'on pourrait appeler les cinq vertus
cardinales du chercheur: la vigueur de l'imagination créatrice,
l'acuité de l'analyse critique, la rigueur du raisonnement, l'opiniâtreté
au travail et, par-dessus tout, la probité de l'intelligence.
Il importe que les universités sachent cultiver ces vertus, non
seulement au cours des cérémonies bienvenues comme celles-ci,
mais aussi dans la pratique journalière de l'enseignement et de la
recherche, car c'est à ce prix qu'elles méritent la place que leur
fait la société. Et c'est pour s'acquitter de cette tâche, qui leur
est propre, que les universités doivent fermement résister aux
diverses tentatives de subversion dont elles sont aujourd'hui l'objet.