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UNIVERSITÉ — ECONOMIE

Exposé présenté par M. GÉRARD F. BAUER

I. INTRODUCTION

C'est un honneur périlleux que celui de traiter un sujet aussi actuel et controversé devant votre assemblée. Néanmoins, il n'est peut-être pas tout à fait inutile que votre conférencier, qui a embrassé successivement plusieurs carrières, se penche sur les problèmes que posent les relations entre l'économie et l'université, et leur évolution prévisible.

Un spécialiste perd parfois, aujourd'hui, l'indispensable et difficile vue d'ensemble, d'où peut naître une solution acceptable, donc bénéfique pour l'homme engagé dans sa vie, dans sa profession, comme pour la société dans l'ensemble.

C'est animé par cet espoir, conscient de la complexité du sujet, et me mettant au bénéfice de votre bienveillante attention, que je m'exprimerai.

II. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES

Pour mieux situer — sinon les cerner — les problèmes que vous m'avez demandé de vous présenter, ou plus exactement de vous rappeler, qu'il me soit permis de tenter de caractériser, tout d'abord, l'état présent et les perspectives de notre société dans le contexte de laquelle vivent et évoluent l'université et l'économie privée, associées l'une et l'autre à la recherche dans ses diverses formes et objectifs.

1. Notre société: son état présent, ses perspectives et le comportement humain

Combien de fois a-t-on essayé et s'efforce-t-on, jour après jour, de caractériser l'état de santé de notre société, désireux que nous sommes tous d'en prendre la température.

Au «il n'y a plus d'avenir», dont parlait Gide, on peut opposer «l'avenir sans la moindre figure», de Valéry. On a dit aussi que le monde d'aujourd'hui a cessé d'être auréolé du mythe du progrès.

Un monde que l'on comprend mal ou confusément appelle sinon la révolte, du moins le refus d'y vivre.

C'est Bergson qui disait aussi: «L'humanité gémit, demi-écrasée sous le poids des progrès qu'elle a faits. Elle ne sait pas assez que son avenir dépend d'elle. A elle de voir d'abord si elle veut continuer à vivre.»

Ces deux termes de l'alternative — et, par là, nous esquissons les perspectives — selon cet industriel et humaniste qu'est Demonque, sont décrits de la sorte:

«L'encombrement de toute nature qui est en cause — et qui est la caractéristique de notre société contemporaine — peut conduire l'humanité soit vers une technocratie qui effacerait l'homme, soit vers la révolte de la négation.» 1

C'est dire que, placé devant le déferlement constant de découvertes et de leurs conséquences technologiques, l'homme du XXe siècle, souvent, fuit sa destinée. Peut-être trouve-t-il, dans le voyage à la lune, loin d'un monde qui lui paraît en démesure, un motif prestigieux à son besoin de fuite!

John Galbraith 2 n'a-t-il pas parfaitement caractérisé l'incohérence de notre monde en écrivant que les faits sont révolutionnaires et les idées réactionnaires ou conservatrices.

L'homme, souvent satisfait de sa vie matérielle, devient de plus en plus sceptique à l'égard des principes fondamentaux de la société humaine et politique.

Face à l'apparition de nouvelles possibilités d'action, de nouvelles conduites de vie, de nouvelles formes de pensée, la principale difficulté pour l'individu, malgré son adaptabilité, est de maintenir une véritable cohérence entre lui et un environnement sans cesse bouleversé par le changement dimensionnel.

Loin de moi l'idée de rendre responsables de cette évolution les scientifiques, les techniciens, à quelque discipline qu'ils appartiennent. Ainsi que l'écrit l'économiste français Francis-Louis Closon, «il n'y a de technocrates que par la faiblesse des politiques» 3.

Louis Armand s'exprime dans un sens analogue: «Ce n'est pas la technique qui représente le vrai danger pour la civilisation, c'est l'inertie des structures. Le déséquilibre de notre civilisation provient du retard de l'organisation sur l'équipement.» 4

Il est évident que ce n'est pas d'un jour à l'autre que l'humaniste occidental trouvera ce «supplément d'âme» que réclamait déjà Henri Bergson ou créera cette «idéologie occidentale nouvelle» que l'ancien chancelier allemand Erhard jugeait indispensable.

Une Weltanschauung ne se fabrique pas comme un objet. Il faut, patiemment, jour après jour, déterminer la place de chacun, politique, économique, scientifique, dans notre société qui se veut démocratique et dans les relations internationales, analyser les rapports d'interdépendance entre eux, tenter de les modifier partout où les changements s'imposent pour assurer l'épanouissement de l'individu et de la société.

La force présente d'une société humaine et sa survie résultent d'une projection dans l'avenir, mais aussi d'une conjugaison réfléchie du passé et du présent. C'est, en effet, du monde contemporain que nous devons partir. Il est vain, en présence de l'évolution qu'il initie ou enregistre, de résister passivement, de mener des «combats d'arrière-garde, sans grandeur» — comme les qualifie Louis Armand — et qui ne peuvent qu'entraîner une complexité croissante des structures qui ne veulent pas accepter les mutations des sociétés humaines.

Cette prise de conscience du monde dans lequel nous vivons et nous travaillons, cette prise en considération du milieu ambiant, sont d'autant plus urgents et nécessaires que nous serions tentés, au hasard de réflexions fugitives que nous permet d'avoir le mode de vie actuel, et des préoccupations diverses et mouvantes qui assiègent nos esprits, d'adopter l'une ou l'autre des deux attitudes suivantes qui, me semble-t-il, sont toutes deux erronées et qui ne laisseraient pas d'exercer une influence maléfique sur la solution des problèmes que sont le recrutement, la formation et l'éducation des cadres de demain. La première attitude que nous sommes souvent conduits à adopter à l'endroit du monde contemporain et de ses virtualités peut se résumer comme suit: le monde n'a jamais cessé de changer; nous consentons, toutefois, à reconnaître que, seul, le rythme de l'évolution s'est modifié; mais, au demeurant, «tout se ressemble, tout se répète, tout continue» 1

Si, jusqu'ici, la référence au passé était la directive pour le lendemain, nous ne saurions aujourd'hui procéder de la sorte, c'est-à-dire «fabriquer» l'avenir à partir du présent, ou penser fixer l'avenir sur la base de ce que sont présentement nos structures politiques, économiques, scientifiques et sociales et de ce que nous sommes individuellement, sans courir le risque d'être encombrés par le présent et d'être bousculés et débordés par la réalité de demain.

La seconde attitude, tout imprégnée de résignation et non exempte de peur, consiste à se considérer comme ballotté par le flot des événements, comme la victime du «monstre ruminant» qu'est le monde d'aujourd'hui.

On ne voit pas non plus comment, au départ d'une telle représentation du monde, d'un monde auquel on se résignerait et qui nous ferait peur, nous

pourrions accomplir l'une des tâches fondamentales incombant à l'Etat, à l'Université et à l'économie, celle de créer des cadres dignes de ce nom et de contribuer, en ce faisant, au renouvellement nécessaire de la société humaine.

J'ai tenu à caractériser les deux attitudes alternatives, situées aux deux extrêmes du comportement humain, à l'endroit du monde contemporain et de demain, puisqu'il n'est pas exceptionnel de les observer au sein des générations qui sont aux leviers de commandes et qui ont présentement la charge de la formation des cadres, de leur préparation générale ou spécialisée.

Force nous est donc, aujourd'hui, demain et tous les jours, de nous représenter le monde dans lequel nous vivons et vivrons et pour lequel nous nous devons de préparer les cadres responsables, enseignants, chercheurs et directeurs.

Si nous nous accordons à penser que la science et les techniques joueront, dans nos sociétés humaines et politiques, un rôle grandissant, nous ne pouvons, dans le même temps, adopter vis-à-vis de cette évolution une attitude d'expectative. Le faire, c'est prendre le risque de voir le développement accéléré des sciences par rapport à l'éducation, à la formation des cadres, à leur comportement, à l'organisation de nos sociétés humaines et politiques, à l'adaptation des rapports internationaux, susciter des déséquilibres qui, à leur tour, ne manqueront pas de multiplier les tensions politiques et sociales.

Nous devons nous refuser à considérer passivement que l'avenir est compris tout entier dans le présent. Notre attitude, s'efforçant de prévoir les événements et leurs conséquences, doit tendre à les infléchir toutes les fois qu'ils risquent de modifier dommageablement un équilibre satisfaisant et équitable dans les relations d'individu à individu, ou d'individu à société, ou d'entreprise de l'économie à l'Etat, de compromettre juridiquement et matériellement, par la pression des faits, la liberté de pensée et d'action.

Notre attitude, définie en termes positifs, doit être toute de réflexion, à des fins de synthèse, de volonté, à des fins d'action 1.

A quoi bon, en effet, introduire de judicieuses modifications dans les méthodes de préparation des cadres, dans les disciplines de la recherche, si nous n'avons pas su trancher cette question préjudicielle? En d'autres termes, comment pourrait-on sainement réfléchir aux moyens, aux méthodes, instrument, avant même d'avoir poussé nos réflexions sur les fins? 2

Ce n'est que lorsque nous aurons levé cette option fondamentale, celle qui porte sur la conception de base du monde contemporain, sur les finalités de notre rôle humain, sur notre fonction au sein de l'entreprise, de l'association professionnelle, sur le rôle de l'université, sur la structure de nos sociétés politiques et économiques, que nous nous sentirons en mesure et en force de résoudre les problèmes posés, en particulier de désigner, de former les futurs cadres, c'est-à-dire de leur donner le caractère, l'imagination et les instruments que requièrent le monde de demain et ses échéances.

Je souhaite qu'on ne m'en veuille pas trop d'avoir voulu tenter de caractériser la société et ses perspectives, définir l'option fondamentale du comportement humain, car ces deux tentatives inspireront les considérations et les observations qui suivront.

2. L'économie contemporaine

C'est devenu un truisme que de dire que notre environnement économique et social est soumis à une constante et rapide évolution et, par voie de conséquence, à des changements de toute nature. Au nombre des causes fondamentales et permanentes des mutations, je citerai le facteur technologique qui s'est imposé à notre attention au cours de cette dernière décennie, du fait de ce que l'on a appelé «le défi américain», de la science appliquée qu'est le «management», de la pénétration américaine en Europe dans nombre de secteurs clefs de l'économie, de l'augmentation de l'ordre dimensionnel des entreprises, tous éléments étroitement imbriqués, au point que l'on ne peut traiter de l'un sans prendre aussi en considération les autres. Enfin, conditionnant et caractérisant tous ces facteurs de mutation, interviennent le moteur de l'accélération et le mécanisme de l'interaction. Par voie de conséquence, les connaissances scientifiques et techniques se sont multipliées, de même leur transposition dans la vie pratique depuis leur découverte ou leur acquisition 1.

C'est à l'Université Harvard que Robert Oppenheimer nous faisait saisir le raccourci fameux et extraordinaire, lourd d'effets, c'est à savoir que 90% de tous les hommes de science ayant fait des découvertes tout au long de l'histoire connue de l'humanité étaient encore en vie.

Or, l'évolution économique en général, celle des rapports économiques internationaux, va de pair avec l'évolution technico-scientifique.

Dans la période contemporaine, la notion même d'économie nationale tend à s'atténuer, en raison de l'intensité prise par les échanges internationaux et de la multiplication d'entreprises transnationales 1.

Au XIXe siècle, la main-d'oeuvre peu qualifiée ou semi-qualifiée formait les gros bataillons; au reste, toute une conception de l'emploi est née de cette constellation. Sur le plan politique, il est évident que le fouriérisme du XIXe siècle et les thèses de Marx et d'Engels furent très marqués par ce rapport quantitatif à l'intérieur des entreprises industrielles de l'époque.

Depuis le début du présent siècle, et particulièrement dès le lendemain du second conflit mondial, on assiste, dans tous les pays aujourd'hui qualifiés de hautement développés, à la naissance et à l'épanouissement d'un nouveau type de sociétés industrielles — qui appellent ou annoncent encore confusément des sociétés qu'on qualifie de postindustrielles — où ce rapport quantitatif à l'intérieur d'une entreprise s'est transformé radicalement et où la main-d'oeuvre, dans son élément quantitativement le plus important, est en passe de ne plus être le manoeuvre, pas davantage l'ajusteur, mais bien de devenir, dans un temps qui n'est plus éloigné, le «concepteur» d'un certain nombre de travaux confiés à la machine de quelque nature qu'elle soit.

Cela entraîne et suscitera toute une série de mutations en chaîne, de nature socio-politique. Le prolétariat proprement dit tendra à disparaître, comme le cultivateur classique a fait place à un homme à fonctions plus ou moins polyvalentes. Ce sont les cadres techniques, scientifiques, les organisateurs du travail délégués aux machines automatiques ou semi-automatiques, les services généraux qui prennent une importance qualitative croissante; y correspondront des mutations économiques. Un produit sera de moins en moins justifiable du nombre d'heures consacrées à sa production physique; il sera, en revanche, de plus en plus justifiable du prix d'acquisition du brevet, de la licence, du prototype, de plus en plus conditionné par le temps qui sépare ou unit la phase de la recherche appliquée réussie et la phase de la mise en chantier de la série industrielle; son sort mortel dépendra de la possibilité et du rythme de son remplacement par un nouveau produit.

Nous pouvons prévoir, dès aujourd'hui, que la réceptivité d'un produit ne dépendra plus seulement, selon les cas, de son utilité, de sa réelle ou prétendue nécessité, de son caractère attractif, mais encore — et toujours davantage, selon les orientations fondamentales que prendront les éthiques appelées à inspirer nos futures sociétés humaines — de sa correspondance harmonieuse à l'environnement humain et de la nature.

Dans le même temps fait irruption l'équipement électronique. On ne peut sous-estimer le risque, sinon la menace, de voir la machine électronique inventée pour assister le cerveau humain, imposer sa propre logique dans la définition des problèmes posés à l'homme, dans le choix des solutions.

Que dire des développements de la recherche biologique, qui pourraient, si l'on n'y prend pas garde, altérer l'intégrité psychique et physique de l'individu, de ses «inventions subtiles» comme les appelle Pierre Massé, ancien commissaire au Plan français? 1

Si l'on ne prête pas à ces évolutions en flux et reflux une attention soutenue, il en résultera une chaîne ininterrompue de déséquilibres qui exerceront leurs conséquences violentes et dommageables aussi bien dans les rapports entre la science et la société tant étatique qu'humaine, les conditions de compétition industrielle et commerciale internationale, que dans les relations entre les économies des pays industriels et celles des pays en voie de développement.

Une analyse superficielle, rapide de notre pays, de l'Etat, de son potentiel de recherches ou des perspectives ouvertes à son économie, pouvait nous inciter jusqu'ici à enregistrer avec un certain détachement cette évolution.

En réalité, du fait de l'interdépendance économique sensu lato toujours plus accentuée des Etats et des économies nationales situées dans le monde occidental, et du rôle déterminant de la recherche scientifique et de ses applications techniques sur l'essor qualitatif et quantitatif de nos sociétés, notre pays ne saurait échapper aux effets directs et indirects des orientations prioritaires données à la recherche scientifique par les grandes puissances mondiales et les pays importants de l'Europe occidentale, de la transformation, dans ces Etats, des rapports entre le pouvoir public — en tant que maître de l'ouvrage — et la recherche, du point de vue tant de son financement que de ses applications civiles et militaires.

III. L'UNIVERSITÉ ET LA SOCIÉTÉ FACE A CETTE ÉVOLUTION

Si absorbantes que soient — nous en convenons aisément — les préoccupations des gouvernements fédéral et cantonaux, celles des autorités universitaires, et si étendues que doivent être les réformes de structures

universitaires, des programmes et des méthodes d'enseignement, et la transformation des rapports entre enseignants et enseignés, je suis et je demeure convaincu que l'université, conçue sensu lato, est virtuellement la mieux placée pour procurer les effets compensateurs aux conséquences souvent troublantes du développement scientifique, et cela au profit des nouvelles générations, comme de ceux qui bénéficieront à l'avenir de la formation renouvelée ou permanente, et, en ce faisant, de les soustraire à un état d'incertitude et d'inquiétude, à un fatalisme, à un scepticisme — poisons de toute réelle démocratie — à une attitude de refus ou de révolte, et d'éviter qu'ils ne «décrochent de la trajectoire où s'engage la société».

Je le crois d'autant plus si notre époque contemporaine conduit à une société nommée «postindustrielle», définie comme celle dans laquelle «l'organisation de la connaissance théorique devient un facteur déterminant d'innovation pour la société et où les institutions intellectuelles deviennent le centre de la structure sociale» ou comme la «société de l'étude» 1.

C'est bien à l'université —tâche fascinante et redoutable —qu'il appartient, selon nous, de remédier à ce que Robert Oppenheimer considérait comme l'une des carences les plus préjudiciables au développement harmonieux de la société humaine, celle d'un fond de connaissance commun 2.

C'est, on le sait, le décalage de plus en plus prononcé entre le rythme d'expansion des sciences et des techniques, d'une part, et celui de l'éducation des hommes, considérée du point de vue de ses objectifs et de ses méthodes, comme aussi de l'organisation des sociétés humaines, d'autre part, qui est le moteur principal du mécontentement souvent explosif, de l'inquiétude, qui est en voie de détériorer les relations entre la science appliquée et l'homme.

C'est au sein de l'université, grâce à son indépendance, qu'il s'agit de sauvegarder à tout prix, que les mises en garde peuvent et doivent être motivées et formulées pendant qu'il est temps: mises en garde à l'égard d'une économie débordante, prise de conscience des scientifiques des conséquences de toute nature de la recherche 3.

C'est l'enseignement de l'environnement historique, social, de la culture que prodigue l'université qui, seul, peut dégager les éléments d'appréciation, grâce auxquels les interactions dont est fait notre monde contemporain sont décelées et les décisions adéquates sont prises.

Si nous sommes convaincus, comme l'était Gaston Berger, que nous avons à vivre dans un monde mobile, nous devons admettre, du même coup. le concept vital de l'adaptation et préconiser sa généralisation, à défaut de quoi nous sommes et demeurons à la remorque des événements, donc leurs esclaves,

En d'autres termes, la fermeté et la volonté d'adaptation doivent être recommandées et, pour ce faire, enseignées aux nouvelles générations et à celles qui sont d'ores et déjà engagées dans la vie professionnelle par les méthodes de recyclage.

Bertrand Schwartz définit l'objectif principal de la formation et de l'éducation dans les termes suivants 1:

— «Préparer les élites à acquérir une méthode de pensée et une méthode d'action...»;

— «leur donner une disponibilité à l'égard des transformations continuelles auxquelles elles auront à faire face».

IV. L'ÉTAT, L'UNIVERSITÉ ET L'ÉCONOMIE

1. Introduction

L'Etat, l'université et l'économie, pour citer ces institutions et ce mode d'activité humaine, sont soumis aux mêmes phénomènes de débordement de problèmes et de tâches, et éprouvent les mêmes difficultés à les prévoir, à les apprécier et à s'en rendre maîtres avant qu'il ne soit tard, parfois très tard.

«Faudra-t-il donc nous résigner, disait, en 1964 déjà, Denis de Rougemont, à ce que l'accroissement même du savoir entraîne pour conséquence la division de l'esprit et l'accroissement de l'ignorance mutuelle entre les directions de la recherche?»

L'Etat devrait-il nécessairement être envahissant pour exercer avec lucidité le rôle pondérateur qui lui incombe, et dont l'importance ne fait que croître aujourd'hui?

L'économie, redevenue internationale, après les interruptions provoquées par la guerre de 1914-1918, la crise de 1931-1936 et le second conflit mondial de 1939-1945, et avec la puissance que lui confère le caractère dynamique

de la technologie du monde présent et de demain, doit-elle conduire nécessairement, comme J. K. Galbraith le dénonce 1, à l'identification des fins politiques aux finalités économiques de la société industrielle contemporaine?

Nous ne le pensons pas, dans la mesure, en particulier, où 1'Etat, l'université et l'économie développent et perfectionnent sans cesse leurs relations, en sachant respecter leurs domaines respectifs de prérogatives et d'activités.

Par nombre d'aspects fondamentaux, les problèmes qui sont posés à l'Etat et à l'économie appartiennent aux mêmes familles. Les solutions qui leur sont applicables — ne serait-ce que par le jeu des interactions — seront issues de la culture et de la recherche dispensées par l'université et mises en oeuvre dans la pratique grâce aux cadres formés à la même université.

2. Leurs relations en général

Il importe, avant toute chose, que l'université, les chercheurs ne soient pas considérés — ainsi qu'ils le sont parfois — comme de purs instruments au service de nos sociétés, où les échelles de valeur sont trop souvent étalonnées par des considérations matérielles ou immédiates.

L'université, l'enseignant, le chercheur doivent consolider leur indépendance morale et matérielle vis-à-vis tant de l'économie privée que de l'Etat.

Il n'est pas réconfortant de devoir constater que, dans plusieurs de nos sociétés occidentales, les dépenses en matière de publicité croissent à un rythme tel qu'elles dépassent ou dépasseront les investissements qu'elles consentent à consacrer à l'éducation et à l'enseignement public.

C'est donc le montant global des investissements dans l'enseignement et la recherche qui doit être augmenté, comme aussi doivent être sensiblement améliorés la position sociale ou le statut hiérarchique et les conditions matérielles d'indépendance du corps enseignant, des chercheurs et des scientifiques en général.

Si la science est souvent, malgré elle, associée à des applications qu'elle n'a pas voulues et qui lui sont étrangères, la science, à son tour, avec le radicalisme et la rapidité de ses mutations, contribue à changer les rapports au sein de nos sociétés étatiques, fait évoluer progressivement ou d'une manière révolutionnaire les relations entre l'organisation étatique, d'une part, et les disciplines universitaires, la science et ses applications, d'autre part.

«Si le savant peut éprouver, parfois, selon M. Maurice Lévy 2, de l'impatience devant les lenteurs ou l'incompréhension qui freinent les applications (pacifiques) et se sentir porté à contredire aux choix des priorités retenues par les gouvernements», il faut admettre que, dans le même temps, les sciences physiques contemporaines débouchent sur des problèmes économiques,

politiques, avec l'acuité que l'on sait. Qu'en sera-t-il des «sciences de demain», de la psychologie, des sciences humaines et de leurs retombées sur les problèmes moraux et politiques, donc sur les structures de nos sociétés occidentales?

C'est dire la nécessité de vouer une réflexion permanente à l'organisation équilibrée — sans cesse remise en question et remise au point —des rapports entre la société politique, la recherche, l'enseignement et l'économie, sinon nous enregistrerons une dégradation des institutions du monde occidental, un «défoncement» des pouvoirs politiques au profit d'une «scientocratie», dégradation d'autant plus regrettable qu'elle résultera d'un enchaînement de causes et d'effets, de la force des choses bien davantage que d'une volonté de mainmise.

Seul, un effort accru d'éducation à toutes les étapes de la vie doit permettre l'adaptation indispensable et constante des individus, de la société économique, de la société politique, avec les conditions nouvelles et toujours changeantes de notre époque.

Le niveau d'organisation de la société humaine et étatique occidentale, son degré de flexibilité et sa capacité d'adaptation doivent correspondre au niveau croissant des connaissances accumulées et de leurs applications, sinon nous verrons apparaître, au cours des dernières décennies du XXe siècle, des ruptures d'équilibre entre la science et la société humaine ou politique, de la nature de celles qui, au XIXe siècle, ont marqué les rapports entre l'économie industrielle, nouvelle venue, et l'organisation étatique.

Analyser les relations existantes entre les chercheurs, l'économie et les pouvoirs publics, les définir et les organiser, savoir les adapter pendant qu'il est temps, représentent autant d'impératifs pour nos sociétés occidentales.

En effet, si nous devons sauvegarder la liberté de la recherche comme un bien fondamental, comme un facteur moral et matériel de l'efficacité de la recherche, nous ne pouvons pas, pour autant, nous fermer à la nécessité de prévoir et de réaliser une organisation mieux conçue des rapports entre Etat —les «organisateurs de sociétés» — économie et recherche, en vue d'assurer une répartition judicieuse des responsabilités, une coordination plus méthodique et un emploi plus harmonieux des compétences et des pouvoirs.

Dès l'instant où nous admettons que le chercheur est devenu l'une des cellules motrices de notre société moderne, que le progrès scientifique et technique laissé à lui-même, ou dirigé par l'Etat ou par de pures considérations d'opportunité économique, développe en grand nombre des conséquences dommageables ou bénéfiques pour les rapports humains, nous reconnaissons, du même coup, que l'éducation et la formation continues du chercheur, du chef d'entreprise, des «organisateurs de la société», doivent constituer une préoccupation et une tâche permanentes et communes à l'Etat, à la science et à l'économie.

La modicité en effectifs humains et en moyens financiers représente pour les pays petits à la dimension de notre siècle-tourbillon, un motif de plus pour repenser objectifs, structures et modes de recours optima aux cadres et aux ressources matérielles.

C'est l'université qui est appelée, par tradition et par vocation, à se consacrer à l'étude et à la solution de tels problèmes. Qui, davantage que notre enseignement supérieur et pluridisciplinaire, est en mesure de s'y préparer quotidiennement, à la condition toutefois que l'Etat et l'économie, chacun pour sa part, lui apportent un appui suffisant, continu et désintéressé?

Les préoccupations que nous avons tenté d'analyser sur le plan général se sont fait aussi jour en Suisse, et les problèmes qui les suscitent font l'objet de discussions nombreuses et animées dans les associations professionnelles, les milieux politiques, les commissions consultatives de la Confédération, les sphères universitaires.

Assurer à la recherche, dans les diverses disciplines scientifiques, les moyens moraux et matériels d'être fructueuse, revêt le caractère d'une nécessité proprement vitale lorsqu'il s'agit d'un pays qui, comme le nôtre, est petit, dispose de moyens de plus en plus limités, eu égard au développement et à l'accélération du progrès scientifique et de ses applications techniques, se veut prospère économiquement, indépendant et souverain politiquement. Seule, la performance permettra de sauvegarder ces caractéristiques et de rester fidèle à ces constantes éprouvées.

En ayant placé ces jalons sur le chemin de notre exposé, nous aurons, du même coup, souligné la nécessité de veiller, jour après jour, à l'emploi le plus judicieux de nos cadres universitaires, de nos chercheurs, comme de nos moyens matériels (équipement, etc.). Ce souci ne doit pas quitter notre esprit, car, à notre époque de mutation permanente, il y a moins qu'autrefois de panacée et il n'y a plus de place pour des réformes fondamentales ou radicales, mais bien pour de perpétuels ajustements.

Si, en prenant la mesure du monde contemporain, de sa nature présente, de ses virtualités, nous sommes conduits, du même coup, à écarter l'empirisme, nous devons, bien entendu, et dans le même temps, nous éloigner de la tentation facile de copies serviles de solutions étrangères, caractérisées par des ordres de dimension inconnus par nous.

C'est donc à une étude patiente des moyens d'améliorer la disponibilité de l'université, l'efficacité de la recherche, à des discussions laborieuses et à une mise en oeuvre harmonieuse des remèdes proposés à cet effet, que nous devons nous attacher sans trêve, ni répit.

Si nous pouvons nous féliciter —privilège dont nous n'apprécions pas encore suffisamment le prix — de l'harmonie des relations université —Etat — économie, en raison de la conception que ces entités se font généralement de leurs rôles, de leurs tâches propres, comme de leurs devoirs réciproques, nous ne devons pas pour autant en déduire que leurs méthodes de collaboration sont, aujourd'hui, toutes au point, ou que la rapidité du progrès scientifique, l'expansion de l'économie ne risquent pas, aussi en Suisse — faute par nous d'avoir pris conscience des évolutions nécessaires et d'avoir conçu les solutions adéquates, de discipliner tel ou tel rapport, de forcer tel ou tel des partenaires à la collaboration université —Etat —économie — de modifier d'une manière dommageable, au sein de l'université, la répartition — qui se doit d'être équilibrée — des disciplines d'enseignement et de recherche.

Au nombre des méthodes d'organisation, nous rappellerons, en première place, la meilleure coordination de nos enseignements, tant au sein de l'université qu'entre les universités; nous citerons aussi une définition des responsabilités de la recherche revue et adaptée aux besoins moraux et matériels croissants.

Les propositions, à cet effet, se sont multipliées au cours de ces dernières années, à l'instigation des pouvoirs publics fédéraux et cantonaux. Nombre d'entre elles ont été étudiées et ont été transposées dans la vie communautaire. Si toutes n'ont pas été accueillies avec faveur, elles marquent toutes une égale préoccupation, un souci devenu commun à l'Etat, à l'université et à l'économie.

A cette coopération interdisciplinaire et interuniversitaire —horizontale — qui a fait depuis peu d'années des progrès réjouissants, il faudra ajouter une collaboration verticale entre les divers degrés de l'enseignement. Une action d'appui méthodique dans le temps et quant à ses moyens d'action, de l'Etat et de l'économie, s'imposera.

En plus d'initiatives certes méritoires et bénéfiques, mais entre lesquelles n'existe aucun rapport, ordre de priorité, une action élaborée, s'étendant sur une période suffisante et dotée de cadres et de moyens matériels, concertée entre divers secteurs de l'économie et les centres de recherche, universitaires ou non, s'imposera dans un délai plus ou moins bref 1.

Une telle méthode présenterait cet avantage, indépendamment des résultats directs, de conduire les partenaires obligés de l'Etat, de l'université et de l'économie, à procéder à des examens approfondis, périodiques des objectifs à atteindre, des moyens disponibles à mettre en oeuvre. C'est par de telles confrontations permanentes qu'un programme balancé,

équilibré d'extension de l'université — enseignement et recherche — peut prendre forme sans que l'unité, l'indépendance et le niveau de l'enseignement puissent en souffrir 1.

3. Quelques terrains prédestinés à la collaboration de l'université et de l'économie

a) L'éducation et la formation continues

Si l'objectif fondamental de la formation et de l'éducation — nous l'avons déjà relevé — doit tendre à créer et à renouveler, tout au long de la vie, un état de disponibilité à l'égard des transformations continuelles auxquelles les individus, les collectivités politiques, les entreprises auront à faire face, cela est particulièrement vrai et bénéfique pour les futurs cadres de l'économie. Je prendrai cette dernière comme exemple illustratif.

Plus particulièrement pour l'économie, il faut et il faudra toujours davantage de cadres à la fois efficaces, du point de vue de l'économie et de ses exigences, et «environnés», du point de vue de leur compréhension des besoins et des possibilités de la société dans laquelle ils seront appelés à vivre 2.

Par l'échange de l'abstrait avec le concret, de la théorie avec la connaissance pratique, de l'information avec la réflexion, par une répartition judicieuse entre la formation et l'information, l'université est en mesure de concevoir de la manière la plus efficace la préparation des futurs cadres de l'économie. Cette dernière ne devrait ménager ni sa peine, ni ses moyens à aider l'université dans cette tâche fondamentale.

L'usure de nos connaissances, leur constant dépassement, conduisent aujourd'hui à envisager la création et l'organisation d'enseignements postuniversitaires auxquels devront être conviés des praticiens de l'économie et

des directeurs aux centres de recherche, universitaire ou non, à une cadence et selon des méthodes qui devront satisfaire aux impératifs de la science et satisfaire aux besoins de notre société.

Le besoin d'un recyclage systématique des cadres s'imposera en particulier à l'économie suisse; c'est là l'une des conditions primordiales pour consolider, voire renforcer la force compétitive de notre pays et assumer sa prospérité à l'avenir.

L'évolution démographique de la Suisse et le vieillissement de la population nous contraignent à définir les objectifs et à mobiliser les instruments humains et les moyens matériels dans un proche avenir.

Il y a là l'une des tâches qui pourront, â l'avenir, faire de l'université, en particulier, l'une des institutions les plus spécifiquement sociales du monde occidental, comme aussi le terrain le plus fertile à une coopération entre l'université et l'économie.

Il n'est pas trop tôt de se saisir de ce problème d'une importance vitale, d'une complexité évidente, eu égard aux cadres institutionnels auxquels la formation continue aurait recours, au nombre et à la diversité des connaissances professionnelles à renouveler, aux méthodes d'enseignement à concevoir ab ovo, à l'instruction à diffuser qui ne devra être, ni «uniquement abstraite, ni uniquement concrète, ni d'ailleurs uniquement théorique ou pratique».

Avec Bertrand Schwartz 1 nous dirons que la formation et l'éducation continues peuvent, si nous les concevons et les organisons de la sorte, provoquer une réintégration des hommes à la vie de leur société, des citoyens à la vie de leur pays.

Nous souhaitons que les étapes préliminaires à la mise en oeuvre progressive de la formation continue soient définies et mises en chantier dans un avenir pas trop éloigné, car il s'agirait là d'une institution nouvelle, ambitieuse dans ses objectifs, délicate dans son fonctionnement et réclamant une organisation matérielle d'une dimension importante.

Si l'homme doit être en mesure, dans un Etat démocratique moderne, de parfaire, voire de renouveler sa formation professionnelle dans son intérêt et celui de l'entreprise à laquelle il est associé, il doit pouvoir compléter son éducation culturelle selon ses goûts, et cela en complète indépendance de ses appartenances professionnelles.

C'est dire, en d'autres termes, que des études sociologiques, économiques

— pour connaître les besoins — et pédagogiques devraient être entreprises d'un commun accord et au moyen d'une coopération étroite entre l'Etat, l'université et l'économie.

b) Les centres de recherche

Au nombre des moteurs et des agents de la coopération Etat —université — économie figurent, d'ores et déjà, en première place, les centres de recherche fondamentaux, les centres de recherche appliquée, universitaires ou mixtes (université et économie).

Cette forme de jumelage de l'enseignement supérieur et de la recherche appliquée —qui, si elle n'est pas particulière à notre pays, y est néanmoins fort répandue —permettra de mieux s'acquitter d'une tâche à laquelle, parfois, enseignants et chercheurs répugnent: la diffusion large des connaissances, soit la vulgarisation si souvent décriée. Cependant, cette vulgarisation revêt une grande importance lorsqu'on est conscient du rôle croissant de la science dans l'évolution des sociétés humaines et étatiques. Elle est aussi un instrument efficace pour faciliter, dans les divers secteurs de la population, le recrutement de futurs cadres pour la société.

Au surplus, eu égard à la perméabilité des frontières situées entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée, d'inévitables et fructueuses navettes de réflexion vont de l'une à l'autre; où pourraient-elles s'accomplir plus harmonieusement que dans les hauts lieux de l'enseignement supérieur?

Si de telles recherches appliquées peuvent être incorporées à l'avenir aussi avec fruit dans l'université, il faut prendre le plus grand soin pour que les avantages qui résultent d'une telle solution pour l'université elle-même, l'Etat et l'économie ne soient pas compensés par des inconvénients — au reste évitables — tels que les «détournements» que pourrait subir l'enseignement dans son caractère fondamental.

A défaut d'un examen systématique des activités de tels centres de recherche, insérés dans l'université, de leur nature juridique, de leurs ressources financières, et de précautions naturelles qu'il importe de prendre, nous pourrions enregistrer les disparités qui peuvent surgir, du point de vue moral et matériel, entre les facultés universitaires, dont les unes sont dotées d'instituts de recherche et dont les autres, eu égard à leur discipline d'enseignement, en sont sevrées.

Ces disparités, si elles surviennent, peuvent, à leur tour, susciter des déséquilibres entre les enseignements fondamentaux et ceux qui sont inhérents à la recherche appliquée.

Il faut donc faire en sorte que les apports de l'économie, en mandats de recherche et en subsides y afférents, à l'université ne portent aucune atteinte à l'unité, à la cohérence de l'enseignement universitaire, d'ores et déjà menacée par «l'explosion du savoir».

Dans l'intérêt de l'université, comme dans celui de tels centres de recherche, il convient de doter ces dernières institutions d'un statut particulier, conforme à la vocation et à la constitution de l'université.

Il serait donc indiqué, en vue de placer cette coopération université— économie sur un terrain solide, dans une atmosphère exempte d'ambiguïté, et pour lui permettre de se développer dans un esprit de confiance réciproque entre chercheurs, enseignants et économie, de se livrer à une étude des divers types de collaboration université —économie dans les domaines de la recherche appliquée. Il serait ainsi plus aisé de dégager les statuts types de tels centres de recherche et de les suggérer aux universités et à l'économie. Par la même occasion, des contrats types de recherche, liant l'université et telle ou telle branche de l'économie, pourraient être mis sur pied et offerts aux parties intéressées, afin de régir à l'avenir leurs rapports contractuels.

En bref, les types et les méthodes de coopération dans la recherche entre l'université et l'économie doivent être étudiés systématiquement. Mis au point, ils doivent, à la fois, contribuer à l'essor harmonieux de l'économie, dans l'environnement politique et social naturel, et sauvegarder l'indépendance de l'université dans ses fonctions d'enseignante et de recherche.

Animés des mêmes scrupules, nous souhaitons que les relations nécessaires entre Etat et université, dans les secteurs de la recherche ou autres, et leurs répercussions n'échappent pas à notre attention. C'est ainsi que l'influence de l'Etat au travers des contrats de recherche qu'il a conclus avec les universités aux Etats-Unis est, dès aujourd'hui, évidente et fait réfléchir.

c) Les centres d'échanges d'informations et d'expériences

L'université, en sa qualité de dispensatrice de culture, de formation et de fruits de recherche, d'une part, et l'économie, dans son rôle d'utilisatrice de cadres et des fruits de la recherche, tous deux issus de l'université, sont des partenaires obligés à un échange d'observations et d'expériences, également enrichissantes pour l'une et pour l'autre.

L'enseignement et la formation en général — d'autant plus si la formation continue est introduite — étant les plus grandes entreprises humaines de nos pays occidentaux, ils doivent être organisés le plus méthodiquement possible.

Rationaliser, par un tel échange d'informations et d'expériences, les méthodes de l'enseignement, organiser ce dernier en s'inspirant de quelques-unes des méthodes éprouvées de l'économie, ne doivent, en aucune façon, signifier un assujettissement quelconque de l'enseignement aux impératifs de l'économie.

d) Des études portant sur l'avenir

C'est l'abbé Sieyès, je le crois, qui déclarait, à propos d'une époque précédente et mouvante comme la nôtre: «C'est déjà assez simplement de survivre!» 1

Aujourd'hui, en face du déferlement de la technologie, de l'apparition accélérée et cumulée des nuisances, il n'est plus possible de contester l'utilité, voire la nécessité de procéder à des études systématiques — qui deviennent possibles grâce au perfectionnement de la méthodologie.

Nous sommes devenus, au travers d'expériences souvent dommageables, de plus en plus conscients des conséquences en chaîne du changement, davantage désireux d'anticiper les effets et de prendre des dispositions en fonction de ces derniers, au niveau de la société, de la nation, de l'individu.

Il s'agira aussi bien de prévoir que de prendre une attitude de «prospective» 2, c'est-à-dire une attitude opérationnelle et non plus seulement spéculative.

A moins d'espérer qu'une force invisible procédera à l'aménagement harmonieux des ressources mondiales, il faudra bien perfectionner et généraliser des modes de calcul, de prévision, d'adaptation, de contrôle.

C'est à la conciliation préventive de la technologie 3, des besoins comme des aspirations de la société humaine et de l'individu, et des nécessités de sauvegarde de l'environnement, qu'il faut vouer nos efforts et nos réflexions pendant qu'il est encore temps.

La prévision des nuisances, leur prévention ou leur combat doivent faire l'objet d'études globales, méthodiques et désintéressées.

Où pourraient-elles être mieux conduites que sous les auspices de l'université au bénéfice d'un enseignement et de recherches pluridisciplinaires? Où science et économie pourraient-elles mieux conjuguer leurs efforts, à cet effet, qu'au sein de groupes de recherche universitaires? 4

V. CONCLUSIONS

J'ai, sans doute, abusé de votre patience en consacrant de longues minutes à l'examen — néanmoins superficiel — de notre société, considérée dans son état précédent et dans sa mouvance contemporaine.

J'ai cru devoir le faire, car nous commettrions, me semble-t-il, une lourde faute à vouloir juger de l'état de nos institutions et des perspectives qui leur sont ouvertes ou fermées sans avoir tenté de les placer dans le cycle d'évolution dans lequel nous sommes engagés.

Il en est ainsi, très particulièrement, d'une institution telle que l'université, et de l'un des moteurs principaux de la société, soit l'économie.

L'université, plus que nombre d'autres institutions publiques, l'économie bien davantage que plusieurs autres secteurs moteurs de la vie sociale, devront faire montre d'une capacité d'adaptation, la première pour être en mesure de former et d'éduquer les cadres toujours plus nombreux qui seront nécessaires à la société de demain, et de répandre la culture, la seconde pour faire face à ses échéances en ayant recours aux élites préparées et «environnées» par l'université.

Il y a, entre université et économie, une communauté de vocation sociale, l'université dans sa tâche d'éducation, d'enseignement et de dispensatrice de culture et de fruits de la recherche, l'économie dans le recours le plus judicieux qu'elle fera aux élites universitaires.

Ce sont cette prise de conscience de la communauté de devoirs, et son accomplissement à l'égard de la société humaine et étatique, qui doivent inspirer à l'avenir les relations de l'université et de l'économie.

Comment pourrait-on mieux résumer cette tentative audacieuse d'esquisser les futurs rapports de l'université et de l'économie qu'en répétant, avec Maurice Blondel 1 qu'il «s'agit là non d'un problème à résoudre si l'on peut, mais d'un projet à réaliser si l'on veut!»

Une solution est toujours inévitable; c'est pour cela qu'il est plus important de la préparer que de la prévoir.

Hauterive, novembre 1970.