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INAUGURATION DU BÂTIMENT DES FACULTÉS DES SCIENCES HUMAINES DE L'UNIVERSITÉ DE LAUSANNE-DORIGNY

LIBRAIRIE PAYOT
LIBRAIRIE DE L'UNIVERSITÉ
LAUSANNE 1977

DISCOURS DE M.

DOMINIQUE RIVIER, PROFESSEUR,
RECTEUR DE L'UNIVERSITÉ
Monsieur le Conseiller d'Etat,

C'est aujourd'hui fête à l'Université de Lausanne. Non seulement parce que, tardif et modeste reflet des parures qui, chaque automne, illuminent l'orée de nos forêts, les solennités du Dies Academicus animent ce matin les vieux murs de cette vénérable salle, mais aussi parce que cet après-midi, face aux autorités du pays rassemblées, l'Université reconnaissante recevra de vos mains les clefs du bâtiment des Facultés des Sciences humaines, troisième pièce du grand oeuvre entrepris voici dix ans à Dorigny.

Ce n'est point anticiper sur la manifestation de tantôt que vous exprimer dès maintenant les sentiments de gratitude de l'Université, d'autant plus que d'autres sujets de reconnaissance animent en ce jour les membres de la communauté académique.

Mettant un terme à une période de gestation de plusieurs années, le Conseil d'Etat soumet ces jours au Grand Conseil un projet de loi sur l'Université, destiné à remplacer un texte vieux de plus de douze lustres. Il s'agit pour l'essentiel, de donner un fondement légal à l'organisation provisoire qui, depuis dix ans, régit la Haute Ecole de Lausanne.

Durant la même session, le Grand Conseil est sollicité de se prononcer sur l'octroi d'une demande de crédit dépassant 30 millions, en vue de construire à Dorigny un nouveau complexe de bâtiments, de la plus grande importance pour l'Université puisqu'il doit abriter la Bibliothèque centrale, principal instrument de travail de la plupart de nos facultés et écoles.

Enfin —les bonnes choses, dit-on, vont par trois —le Parlement vaudois est simultanément appelé à délibérer du Rapport du Conseil d'Etat sur les affaires fédérales, document qui, cette année, est

exclusivement consacré à la défense —nuancée —de la loi fédérale sur l'aide aux hautes écoles et à la recherche.

Tant d'attention pour l'Université de la part du Gouvernement mérite reconnaissance, vous en conviendrez, et le Rectorat manquerait à son devoir s'il n'en témoignait pas publiquement dès ce matin. Et singulièrement à votre endroit, Monsieur le Conseiller d'Etat, qui avez été l'habile artisan de ce triplé sans précédent.

Certes, et vous le savez mieux que nous: à Berne comme à Lausanne, rien n'est joué! En ce qui concerne plus particulièrement les deux textes de loi, cantonal et fédéral, bien des obstacles encore nous séparent de leur entrée en vigueur. C'est ainsi que, si reconnaissante soit-elle, l'Université ne saurait ignorer le climat d'inquiétude qui pèse sur l'avenir de l'enseignement supérieur et de la recherche dans notre pays en cette quatrième année de récession conjoncturelle.

Bien sûr, la résistance du franc et la vitalité de l'économie suisse doivent nous garder de tout pessimisme exagéré. Il n'en reste pas moins que la situation financière n'est guère brillante: deux à trois milliards de déficit annuel pour l'ensemble des cantons et de la Confédération. Au point que tous les Etats, les uns après les autres, se voient contraints de stabiliser leurs dépenses. Les universités et le Fonds national de la recherche scientifique en savent quelque chose qui, pour faire face à l'accroissement de leurs charges, doivent se livrer à des exercices budgétaires d'année en année plus acrobatiques et plus décourageants.

Or, dans leur mission traditionnelle de transmettre et développer la connaissance, les hautes écoles du pays ne se trouvent pas seules. Elles sont, au contraire, solidaires des universités de toute l'Europe. Ainsi, le vent de désillusion qui souffle sur la Suisse n'est que le signe d'un phénomène beaucoup plus général, affectant l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur du continent. Il n'est donc pas sans intérêt — ce sera précisément l'objet de la seconde partie de ce discours —de jeter un coup d'oeil sur la situation de l'Université dans l'Europe actuelle.

L'élargissement délibéré de l'horizon auquel s'étendent les remarques qui suivent présente quelques avantages. En premier

lieu, il évite l'écueil du provincialisme pour considérer le phénomène à sa juste échelle. Il permet ensuite de ménager les sensibilités locales, chacun se sentant libre d'attribuer improbations ou critiques aux autres afin de garder pour soi éloges et compliments. Enfin, considérer la situation de l'Université dans sa dimension propre, européenne en l'occurrence, ne saurait être un alibi pour nous, Suisses ou Vaudois. Au contraire, cet examen général devrait permettre de tirer des enseignements utiles pour les hautes écoles suisses, et particulièrement celle de Lausanne.

Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les membres Sénat, Mesdames, Messieurs les membres du corps enseignant, mes chers collègues, Mesdames, Mesdemoiselles les étudiantes, Messieurs les étudiants, Mesdames, Messieurs,

Que l'on ne s'y trompe pas! En portant pour quelques instants notre attention sur la grande famille des universités d'Europe, nous n'avons garde d'oublier leur diversité: d'Oxford à Prague, de Salamanque à Rostock, de Paris à Bologne, ce sont les différences qui frappent, non les similitudes. Aujourd'hui comme hier, l'Université traduit de façon exemplaire la variété des cultures qui ont fait et qui, Dieu merci, font encore l'Europe. Mais cette diversité ne souligne que plus clairement l'identité des obstacles, qui, en ce dernier quart de siècle, entravent les universités du continent dans leur travail.

Point n'est besoin de rappeler longuement ce que fut la spectaculaire expansion de l'enseignement supérieur entre 1960 et 1975. Du seul point de vue quantitatif, cette expansion eut deux causes principales: un phénomène démographique — l'accroissement rapide du nombre des naissances durant les deux décennies qui suivirent la deuxième guerre mondiale — et une action politico-sociale,

la démocratisation de l'enseignement supérieur. C'est ainsi qu'en moins de quinze ans l'on vit le nombre des étudiants doubler, voire tripler partout en Europe, à l'exception du Royaume-Uni. Mais cette expansion eut aussi son aspect qualitatif. Pour des raisons qui lui furent parfois étrangères, l'Université multiplia plans d'études, objets d'enseignement et champs de recherche. Il n'est pas jusqu'aux types d'institutions d'enseignement supérieur qui n'aient augmenté de façon spectaculaire.

Parmi les conséquences de ce double emballement de l'enseignement supérieur et de la recherche, il en est trois qui méritent une attention particulière: c'est d'abord la multiplication hâtive des effectifs du corps enseignant —il a fallu parer au plus pressé, la quantité passant parfois, hélas, avant la qualité. C'est ensuite l'augmentation considérable des dépenses pour les universités — durant les belles années, rien ne s'opposait à ce que les moyens financiers soient adaptés aux besoins, et c'est ainsi que, dans certains pays d'Europe, les dépenses pour l'enseignement supérieur ont crû deux fois plus vite que le produit national brut. C'est enfin l'émergence d'un important appareil administratif au service de l'Université, instrument de gestion et de contrôle apparemment indispensable à l'utilisation correcte de ressources rapidement croissantes.

Quelque peu perturbées par la progression massive de leurs effectifs et la multiplication de leurs tâches, les universités se trouvèrent en difficulté dès les premières années de la récession économique.

Cela était à prévoir dès lors que l'on s'était vu contraint de limiter leurs ressources sans avoir le pouvoir de limiter parallèlement leurs charges, à commencer par le nombre des étudiants. Il est vrai que tailler dans un budget est toujours plus facile que changer une loi ou renverser un courant d'opinion. Mais les conséquences sont là. Comme Maître Jacques dans l'impossibilité de faire bonne chère avec peu d'argent, la plupart des universités se voient aujourd'hui dans l'obligation de sacrifier la qualité à la quantité. Et le niveau de la recherche et de l'enseignement s'en trouvent déjà touchés dans bon nombre d'institutions.

Mais ce qui rend la crise actuelle particulièrement inquiétante, c'est la présence de complications dues à la rapidité avec laquelle l'on est passé de l'expansion à la récession. C'est ainsi qu'à chacun des trois phénomènes mentionnés tout à l'heure correspond une aggravation, caractéristique de la vitesse avec laquelle s'est effectuée cette transition.

Prenons pour commencer la multiplication hâtive des effectifs du corps enseignant: durant la dernière décennie, elle avait entraîné la création d'un nombre relativement élevé de postes, tous occupés ou peu s'en faut par de jeunes ou de très jeunes titulaires. Le cas extrême est celui de disciplines comme la sociologie, dont la présence est relativement récente dans l'Université et pour lesquelles, dans certains pays, la moyenne d'âge des enseignants se situe aujourd'hui au-dessous de trente-cinq ans. Cela signifie pratiquement que, dans ces secteurs, l'enseignement et la recherche seront assurés pendant une trentaine d'années par les mêmes personnes. Voyez plutôt: conséquence de la récession, le plafonnement des dépenses universitaires a eu pour suite immédiate la limitation stricte du nombre des postes d'enseignants: si le numerus clausus existe aujourd'hui dans certaines de nos universités, ce n'est pas pour les étudiants, mais bien pour les professeurs! Ajoutez à cela qu'à l'Université les enseignants sont pour la plupart nommés à vie — seule une défaillance grave, heureusement fort rare, pourrait justifier un non-renouvellement —la conclusion s'impose d'elle-même: tant que durera la récession, les universités devront compter avec le vieillissement général du corps des enseignants et des chercheurs, sans afflux sensible de sang nouveau. A la rigueur supportable pour une école secondaire ou professionnelle, un tel appauvrissement serait catastrophique pour les universités. On sait en effet combien la circulation des hommes et des idées y est indispensable, sans laquelle la recherche puis l'enseignement s'étiolent ou se sclérosent irrémédiablement.

Considérons ensuite cette autre conséquence de l'expansion des universités, à savoir l'augmentation considérable de leurs dépenses. Dans leur grande majorité, les hautes écoles d'Europe sont entretenues directement ou indirectement par les collectivités publiques:

c'est dire que leur dépendance vis-à-vis de ces dernières augmente au fur et à mesure de leurs dépenses. Or, pendant les années dorées d'avant 1970, on avait fait largement confiance aux universités ainsi qu'à leurs professeurs, d'autant plus volontiers que les ressources financières ne manquaient pas et que la démocratisation de l'enseignement supérieur, alors à la mode, favorisait ces dépenses. Mais dès l'arrivée de la récession, l'enthousiasme est tombé et il a fallu faire ses comptes: les pouvoirs publics sont intervenus auprès des hautes écoles afin d'obtenir plus de précision dans la justification des dépenses, l'insistance étant d'autant plus grande que les dépenses étaient élevées. Quoi de plus normal en somme! Il n'en reste pas moins que les universités ont ainsi redécouvert une vérité qu'elles avaient peut-être eu tort d'oublier: qui paie commande!

Il importe cependant d'être clair: le droit de regard des Etats sur l'utilisation des ressources mises par lui à disposition des universités ne saurait être illimité. Pour des raisons pratiques bien sûr, mais aussi en vertu de la répartition traditionnelle des responsabilités, laquelle a fait ses preuves. L'histoire ancienne et contemporaine montre comment, chaque fois que le Prince ou l'Etat ont voulu se substituer aux universités pour leur dicter les matières d'enseignement et les sujets de recherche, l'institution universitaire s'est dégradée pour se transformer peu à peu en une école de type professionnel ou secondaire. Car, faut-il le rappeler, la liberté d'enseigner et de chercher traduit à la fois l'essentiel et le fondement de l'autonomie universitaire, sans laquelle il n'y a pas d'Université.

Or il serait difficile de contester que cette autonomie ait été partiellement remise en question dans de nombreux pays, suite précisément à la récession économique des dernières années. Anxieux de pouvoir défendre les crédits de recherche de plus en plus élevés devant des parlements de plus en plus scrupuleux, les gouvernements ont parfois exigé que ces crédits soient justifiés par des considérations d'utilité. «Priorité doit être donnée aux recherches utiles», entend-on dire parfois. Utiles à qui, à quoi? A l'Etat, au citoyen, à l'économie, à la défense? Quelle valeur donner à ce critère d'utilité? N'est-il pas fallacieux dans la mesure

même où il confond la fin et les moyens? Quoi qu'il en soit, c'est bien de cette notion d'utilité qu'est née l'idée des programmes nationaux de recherche, tels qu'ils ont été institués dans la majeure partie des pays d'Europe. Qu'il existe, notamment en période de crise, des champs particuliers de recherche appliquée qui soient d'intérêt national, et qui doivent faire l'objet d'un effort momentané, nul ne saurait le contester. En revanche, institutionnaliser et généraliser dans ce but la recherche programmée au niveau national, distrayant à titre définitif des ressources et des hommes qui sans cela seraient voués à la recherche dans les universités, c'est, qu'on le veuille ou non, porter atteinte à ces dernières, précisément au moment où la limitation des ressources entrave le développement de leurs recherches ! A-t-on vraiment mesuré les risques à long terme d'une telle entreprise?

Mais venons-en à la dernière des conséquences, citées plus haut, de la rapide expansion de l'enseignement supérieur, à savoir la présence d'un appareil administratif pesant pour gérer les universités. Cet appareil administratif peut être incorporé à la haute école, comme c'est le cas dans les universités de type britannique; il peut au contraire être extérieur à l'université, à l'image de ce qui existe dans les pays de l'Est où il fait alors partie de l'administration d'Etat. Il existe aussi des solutions intermédiaires, comme dans notre pays. Mais cette diversité ne change rien au fait principal: l'administration de l'enseignement supérieur et de la recherche s'est compliquée et une part croissante de la gestion des affaires universitaires est passée des mains des enseignants et des chercheurs dans celle de fonctionnaires. Il n'est pas question de contester ici l'utilité d'une infrastructure administrative décentralisée, au service immédiat de l'enseignant ou du chercheur. 11 est souvent nécessaire que ces derniers puissent se décharger de certaines tâches — de secrétariat, par exemple — afin de pouvoir se consacrer mieux à la recherche ou à l'enseignement.

Mais ce n'est là qu'un aspect de l'appareil administratif nécessaire à la bonne marche des universités. L'augmentation considérable des moyens en personnel, en locaux et en équipement a exigé la mise en place d'organes nouveaux pour collecter les besoins,

coordonner les demandes, obtenir les crédits, distribuer les fonds et veiller à leur utilisation correcte. C'est ainsi que la période d'expansion a vu le poids de l'administration des universités croître de façon parfois spectaculaire. Si le phénomène est général, il n'a pas partout la même ampleur, tant s'en faut! A l'Université de Lund, par exemple, alors que le nombre des étudiants doublait, que celui des enseignants augmentait de moitié, l'effectif de l'administration a été multiplié par dix!

Cependant, il faut se rendre à l'évidence: si en période d'expansion la présence d'une administration puissante et agissante présentait des avantages indiscutables, la récession a fait apparaître des inconvénients aussi sérieux qu'imprévus. La tendance naturelle à toute administration d'améliorer les procédures, de réglementer ce qui ne l'est pas, d'uniformiser, de centraliser, bref, de mieux s'acquitter de ses tâches spécifiques —tendance louable en soi — s'est avérée nuisible à l'Université. Elle a en effet augmenté de façon inquiétante son inertie au moment précis où, pour faire face à l'évolution rapide des connaissances, elle devrait disposer de toute sa mobilité pour améliorer la qualité de l'enseignement et de la recherche.

Au surplus, la présence d'une administration nombreuse qui tend naturellement à s'étendre crée une concurrence inattendue lorsque le moment est arrivé de se partager les moyens congrus en postes, en crédits ou en locaux: les besoins propres à l'administration viennent s'ajouter à ceux de l'enseignement et de la recherche. Avec cette circonstance aggravante qu'au moment des arbitrages finals l'administration a l'avantage d'être toujours présente puisqu'elle est précisément chargée des tâches pratiques de préparation, d'exploitation et de contrôle des budgets et des plans! C'est ainsi que, tantôt désirée, tantôt subie par les universités en période d'expansion, la présence indispensable d'un appareil administratif efficace est, par son ampleur, devenue elle aussi une source de difficultés supplémentaires au moment de la récession. Dans certains pays d'Europe, le phénomène a pris une dimension telle qu'on a été jusqu'à considérer la «bureaucratisation des universités» comme mettant en péril l'institution elle-même.

Les exemples qui précèdent suffisent à illustrer la situation difficile dans laquelle se trouvent —à des degrés divers — les universités d'Europe, suite au double phénomène de leur expansion rapide et de la brusque récession conjoncturelle qui a suivi. Plutôt que de se résigner et jeter le manche après la cognée, il leur appartient maintenant de trouver les voies qui permettront de surmonter les obstacles. La dernière partie de ce discours voudrait apporter une première contribution à cette recherche.

Trois remarques préalables paraissent nécessaires. Premièrement, le temps est révolu où les universités, se prévalant de leur activité d'enseignement et de recherche, pouvaient pratiquer la politique de la tour d'ivoire. 11 leur faut aujourd'hui reconnaître puis assumer ouvertement leur responsabilité face aux pays qui les entretiennent. Particulièrement dans la période de crise qu'elles traversent, il leur appartient d'expliquer aux dirigeants de ces pays que l'essentiel de leur mission n'est pas de recevoir le plus grand nombre d'étudiants possible, mais bien de sauvegarder la qualité de l'enseignement et de la recherche qu'elles abritent. Car, bien plus que la réussite de programmes nationaux, c'est la qualité de l'enseignement et de la recherche conduits aujourd'hui dans les universités qui déterminera, d'ici une ou deux générations, la situation économique et politique de la plupart des pays d'Europe.

En second lieu, pour réussir dans leur mission, les universités doivent aujourd'hui disposer d'une autonomie suffisante, qui aille au-delà de la seule liberté d'enseigner et de chercher. Pour faire face à la situation difficile qui vient d'être décrite, l'institution universitaire en tant que telle ne peut en effet plus se passer d'une politique de développement qui ait été élaborée de l'intérieur et qui soit périodiquement ratifiée par l'autorité politique.

Enfin, corollaire immédiat de la remarque précédente, il importe que les universités retrouvent la pleine confiance des Etats qui les entretiennent, ce qui souligne et délimite en même temps leur autonomie. Ainsi, la politique de développement de l'Université devrait à la fois suivre et infléchir celle que l'Etat est tenu de définir pour l'ensemble du système éducatif. Cela signifie aussi que l'Université s'attache sans hésitation à l'essentiel de sa mission:

enseigner et non endoctriner, manifester et non taire la vérité, favoriser la libre confrontation des idées et non céder à la contrainte des idéologies.

Si sommaires soient-elles, ces remarques suggèrent un certain nombre de mesures pratiques, de nature à résoudre quelques-unes des difficultés mentionnées tout à l'heure.

Pour remédier à l'immobilité et au vieillissement du corps enseignant et des chercheurs, il faudra encourager de façon vigoureuse les échanges d'enseignants entre universités. Ce n'est pas si simple qu'il paraît. Il convient d'abord de lever les réticences d'un provincialisme souvent tenace dans les facultés, puis de surmonter les freinages d'une administration peu encline à favoriser une entreprise qui, fondamentalement, lui complique la tâche. Enfin, il faudra vaincre les obstacles souvent formidables inhérents aux disparités dans les conditions d'engagement des enseignants: statuts, traitements, caisses de retraite, et j'en passe! C'est sur ces derniers points que les Etats pourraient heureusement venir au secours des universités, désarmées devant l'efficacité d'un protectionnisme qui trop souvent ignore les nécessités et les vertus de la mobilité académique. Enfin, il apparaît indispensable d'encourager et de généraliser l'usage, bien établi dans les universités américaines, de l'année sabbatique, c'est-à-dire de l'obligation faite aux membres du corps enseignant de rafraîchir et de renouveler périodiquement leurs connaissances grâce à un séjour prolongé dans tel institut de recherche d'une université soeur ou dans tout autre centre particulièrement stimulant.

Pour lutter contre l'évasion de la recherche de l'Université vers des organisations étatiques assurant des conditions de travail plus séduisantes —par exemple dans le cadre de programmes nationaux — il faudra, pour les enseignants à l'Université, restaurer un statut qui ménage un meilleur équilibre entre les activités de recherche et d'enseignement. Cela implique premièrement l'accroissement des moyens pour la recherche fondamentale, celle qui, précisément, n'est pas programmée ni justifiée par l'utilité à court terme. Simultanément, il faudra donner plus de souplesse à la répartition des charges d'enseignement entre professeurs,

notamment en favorisant, chaque fois que cela est possible, des échanges périodiques de cours. Est-il encore admissible, au XXe siècle, de condamner un professeur à donner le même enseignement pendant trente ans?

Bien plus délicates apparaissent les mesures à prendre pour lutter contre ce que l'on a appelé la bureaucratisation des universités. Là, une étroite collaboration des Etats et des universités apparaît comme indispensable. Il faudrait commencer par se mettre d'accord sur quelques règles simples du genre: «C'est l'administration la plus simple et non la plus compliquée qui garantit la meilleure marche de l'Université» ou «Ce qui peut être bien fait par une Faculté n'a pas nécessairement à être refait par l'Université» ou encore «Ce dont l'Université peut s'acquitter à satisfaction n'a pas à être obligatoirement repris par l'Etat» ou enfin «Avant de confier un problème à l'ordinateur, il faut s'assurer qu'il n'est pas de moyen plus simple de le résoudre»...

S'inspirant de recommandations élémentaires de cette nature, il conviendrait ensuite de simplifier les procédures, supprimer l'accumulation des contrôles et répartir clairement les responsabilités. Cela suppose, et c'est essentiel, la confiance réciproque qui, seule, peut conduire à la délégation des compétences, nécessaire du haut en bas de l'échelle. Cela implique aussi de part et d'autre la volonté constante de résister à la tentation bureaucratique, l'un des dangers les plus répandus de notre temps, à l'Ouest comme à l'Est du rideau de fer!

Pour réussir, cette politique demande enfin une attention sans complaisance dans la désignation des hommes: dans son administration aussi, l'Université est condamnée à choisir la qualité plutôt que la quantité!

Mesdames, Messieurs,

Il y a un mois à peine, l'une des plus anciennes universités du Continent fêtait le 500e anniversaire de sa fondation.

Au coeur d'une petite cité d'allure moyenâgeuse, à l'abri des voûtes austères de la Stiftkirche de Tübingen, sous la protection de Dieu et des mitraillettes de la police fédérale, l'imposante cérémonie déroulait ses fastes, relevés de brillants discours. Une foule dense et attentive suivait sans broncher la gravité de déclarations où les mots de liberté et de violence, de terreur et de paix se heurtaient comme à l'envi. Dans cette atmosphère de ferveur et d'angoisse, une interrogation revenait constamment, avec l'insistance d'un leitmotiv wagnérien: «Les universités ont-elles une part de responsabilité dans la vague de violence qui déferle aujourd'hui sur notre pays?»

Ce n'est ni le lieu ni le moment de savoir s'il est possible de répondre à la question. Toutefois, le seul fait qu'elle ait été posée dans des circonstances aussi solennelles au coeur de l'Europe, dans le pays qui a vu naître et fleurir l'Université de Humboldt, et par le Chef de J'Etat lui-même, ce seul fait impose à notre attention deux vérités difficilement contestables:

Les temps sont révolus qui laissaient en repos les universités dans leur tour d'ivoire. Il suffit d'une crise et les voici mises en question, du côté d'où elles l'attendent le moins.

Ce n'est pas en se laissant flotter à tout vent de doctrine ou d'idéologie que les universités se font respecter des peuples ou des Etats qui les entretiennent. Mais bien en restant fidèles à leur mission originelle, qui est de transmettre et développer la connaissance, sans transiger ni faillir!

Caveant rectores!