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Dies Academicus et journées universitaires 1980

23 OCTOBRE
Journée d'accueil
24 OCTOBRE
Journée des facultés et écoles
25 OCTOBRE
Dies Academicus et bal

Discours de M. Claude Bride!, recteur

«Les réflexions que le Rectorat aimerait vous soumettre au terme d'une année de prises de contacts, d'inventaires et de projets, pourraient s'articuler sur une affirmation glanée dans les propos tenus le printemps dernier par le président de l'Université de Bruxelles: «L'Université est en perpétuelle gestation. C'est un chantier où l'on ne cesse de transformer, de s'adapter et aussi de créer, de construire. L'Université accomplit dans le calme et le travail un gigantesque effort d'adaptation au monde et à la compétition économique.» A condition de tempérer par un prudent optatif le tour un peu grandiloquent de cette dernière phrase, nous faisons nôtres la description et l'intention énoncées par notre éminent collègue; notre brève expérience suffit à nous convaincre sur un point comme sur l'autre: nous sommes les conducteurs provisoires d'un chantier, nous avons à susciter pour notre part un effort constant d'adaptation, d'adéquation de l'Université à son environnement.

En faisant largement usage dès ces premiers mots du «nous» rectoral, je crois avoir indiqué d'emblée les perspectives de ce discours. Ce qui va être dit maintenant tente d'exprimer l'opinion commune de l'autorité collégiale de l'Université qui, dans cette séance publique du Sénat, propose à ses collaborateurs un diagnostic de la situation présente et quelques lignes d'action pour l'année qui commence; nous sommes heureux de pouvoir associer à notre auditoire coutumier tous ceux qui nous ont rejoints ce matin et, plus particulièrement, nos nouveaux docteurs honoris causa à qui nous pouvons présenter la maison qui est désormais la leur. C'est assez dire que, parlant de l'Université dans ses conditions actuelles, nous entendons ne pas céder au mirage des idées générales, mais bien dire quelque chose de notre Université, celle de Lausanne, en cette rentrée de l'automne 1980. Ce qui ne signifie pas forcément que nous suivions le penchant maintes fois dénoncé du provincialisme et du nombrilisme rabougri; il y a une manière de parler de soi qui ouvre sur d'essentielles relations avec le plus vaste espace. Tel est mon pari.

I

Un chantier: le mot du président Jaumotte s'impose sans peine à la réalité la plus évidente qui marque la vie de notre Université. A un rythme heureusement soutenu, comme tout un chacun peut s'en rendre compte au long de ces journées d'ouverture universitaire, le grand projet de Dorigny prend forme dans le cadre paisible qui nous a été attribué. De nouvelles échéances sont proches grâce à l'application attentive d'un programme qui laisse espérer notre établissement presque complet en ces lieux pour la fin de la décennie. Qu'il nous soit permis d'en exprimer notre satisfaction pleine d'espoir aux pouvoirs publics, et notre reconnaissance au Comité directeur du Bureau des constructions universitaires de Dorigny, avec qui nous entretenons des relations de qualité.

Mais la poursuite accentuée de ce chantier vers son achèvement, signe éloquent du soin prioritaire voué par l'Etat à l'avenir de son Université, ne va pas sans créer des obligations nouvelles à ses bénéficiaires. Pour faire bref on dira qu'elles se résument toutes dans la nécessité toujours plus perceptible de déplacer le centre de gravité de notre existence, du chef-lieu à sa périphérie. Renvoyant à plus tard la réflexion que nous imposera dans une année très exactement le transfert à Dorigny du Rectorat et de la Direction administrative, laissant à de futurs discours du Dies l'exposé de problèmes aussi considérables que ceux posés par le logement et les transports de la communauté universitaire, je voudrais me borner ici à l'évocation de la situation nouvelle, que nous avons volontairement provoquée en vous invitant pour la première fois à célébrer cette journée sur le terrain même de notre avenir.

Monsieur le syndic de Lausanne, vous avez été d'entre les premiers à nous faire remarquer la portée symbolique de la décision que nous avons prise, et comment pourrions-nous vous détromper? En fixant les assises annuelles de l'Université dans ce site qui s'inscrit dans la commune d'Ecublens et dans le district de Morges, nous avons rompu avec une tradition de quatre cent quarante-trois années d'âge, et cela sans même vous demander la permission de conserver le nom de votre ville dans notre intitulé! Et voilà l'Université de Lausanne très officiellement hors de Lausanne, l'Aula de Rumine délaissée, de très anciens liens distendus; ciel, «Rome n'est plus dans Rome»... Permettez-moi, Monsieur le syndic, de vous offrir notre interprétation du symbole, celle que nous comptons défendre dorénavant avec la plus grande énergie. En portant le centre de nos activités sur les territoires qui flanquent le sud-ouest de la capitale, nous ne faisons pas que commencer à nous soumettre concrètement aux volontés de notre Gouvernement vaudois; nous croyons être un peu dans la ligne d'une vocation séculaire qui veut que Lausanne, en tout respect des autonomies communales, fasse participer ses voisines aux biens dont l'histoire l'a comblée. Vous le savez, du reste, lorsque le processus sera à son terme, nous vous laisserons un otage, et de quel renom, en notre Faculté de médecine. Il n'empêche qu'avec votre bienveillant accord, nous ne songeons pas un seul instant à renoncer au capital d'excellentes relations qui nous unissent; il n'en est aucune qui ne puisse passer par le renouvellement qui s'amorce, devenant ainsi richement significative pour l'effort que nous devons entreprendre avec les collectivités locales de notre implantation et de l'ensemble du canton.

Vous conviendrez, Mesdames et Messieurs, que nous devions cette explication chaleureuse au premier magistrat du chef-lieu et, par lui, à tous ceux qui n'ont pas pris ce matin le chemin de Dorigny sans une certaine mélancolie. Mes paroles ont-elles suffi à leur mettre le coeur en fête? Je n 'oserai l'affirmer, c'est pourquoi je voudrais appeler votre attention sur autre chose encore. Nous ne vous avons pas seulement quelque

peu contraints à venir siéger en plein chantier, sur les confins de Lausanne; nous vous avons invités à passer quelques heures dans l'étroite proximité de ce que je pourrais nommer le chantier dans le chantier. Ici nous retrouvons à sa plus grande profondeur le propos que je vous citais au début, lorsqu'il nous appelait à considérer l'Université, dans ses personnes et ses travaux, comme une oeuvre en perpétuelle gestation, un chantier qui n 'est jamais sur le point de fermer. Je crois que nous n'aurions pas consenti l'effort d'organisation requis par cette journée et dont je remercie très cordialement tous nos collègues et collaborateurs si nous n'avions eu la perspective de pouvoir vous faire approcher de la sorte, et de tout près, le labeur quotidien qui se poursuit ici. Il est bon que les bâtiments importants déjà en place abritent des activités relevant aussi bien des sciences exactes que des sciences humaines: en les parcourant, en considérant les stands de notre exposition, en vous entretenant avec ceux qui les présentent, vous aurez, je crois, le sentiment d'être sinon de la maison, au moins de ses hôtes attendus et honorés ce qui devrait être la condition normale de tout citoyen, pour ne pas dire plus platement de tout contribuable.

Ce qui s'édifie sous les ombrages de Dorigny est d'une importance considérable. Les quelque deux mille personnes qui travaillent en ces lieux prennent de plus en plus conscience des dimensions matérielles, humaines, sociales d'une telle entreprise; ce n 'est pas forcer la note que de prétendre y voir le défi prioritaire des années qui viennent. Nous devons «réussir» Dorigny, ce qui signifie user de l'occasion qui nous est offerte pour situer l'institution dont nous avons la garde dans le réseau renforcé des intérêts, des sympathies et des appuis qu'elle requiert de façon pressante de son entourage immédiat. Il faut ensemble penser et repenser sans cesse notre rapport à la Cité.

II

Ce grand souci de notre adéquation à l'environnement mouvant et divers qui est le nôtre, nous le percevons à vrai dire dans la plupart des universités du monde occidental, qui ont connu naguère le vertige plus ou moins marqué d'un développement en circuit fermé, et découvrent en ces temps plus austères qu'elles ont perdu chemin faisant le bénéfice de précieux contacts avec la société dont elles se déclaraient partie intégrante. Il ne s'agit pas exactement de la mythique tour d'ivoire, mais plutôt de deux chemins qui se sont progressivement écartés l'un de l'autre; l'Université d'aujourd'hui le discerne et le déplore pour sa part, mais en va-t-il de même pour son partenaire obligé? Si j'ose affirmer que ce n 'est encore guère le cas chez nous, c'est que la faute en est pour la plus grande part à nous qui n'avons pas su et peut-être pas voulu revendiquer notre place, je ne dis pas dans les structures de l'Etat, mais dans les préoccupations et les projets des multiples secteurs de la population. Certaines timidités se payent cher.

Le rôle social de l'Université est pourtant une composante fondamentale de sa mission. Comme l'écrit fort justement dans un passionnant rapport le Comité d'étude sur l'Université et la société québecoise: On se fait beaucoup d'illusions sur les universités libres de jadis. On oublie même que les universités du Moyen Age répondaient à des besoins sociaux très concrets, qu'elles formaient des conseillers, des fonctionnaires et des spécialistes nécessaires à la bonne marche de l'Eglise. En simplifiant l'histoire des universités, nous dirons qu'elles ont été de tout temps des lieux de discussion sous des régimes très variables. Récemment, vers la fin du XIXe siècle, certaines universités sont devenues des lieux de recherche scientifique. Plus récemment encore, presque toutes ont prétendu être ou vouloir être des lieux de recherche plus ou moins spécialisés. Quelques universités seulement ont été surtout des lieux de recherche. Partout la recherche s'est articulée plus ou moins aux besoins sociaux. Il convient toutefois d'ajouter que le type d'articulalion mérite d'être défini de façon large et pourtant précise, si l'on ne veut pas tomber sous le coup du jugement d'un universitaire américain qu 'on rappelait lors d'une récente session de l'OCDE: Les collectivités ont des problèmes; les universités, hélas, n'ont que des départements!

Il est peut-être moins question dès lors d'étaler nos problèmes petits et grands à la face de la société, que d'offrir beaucoup plus largement notre participation à l'étude et à la recherche de solutions des nombreux problèmes qui assaillent les collectivités qui nous environnent. Je veux bien qu'une Université dynamique, voire turbulente, constitue un réel, et pourquoi pas, un beau souci pour l'Etat qui la patronne; mais qu'elle ne s'imagine pas épuiser ainsi sa mission, car il lui reste le plus important à faire en assurant un service spécifique de la société et dans la société. C'est à esquisser quelques aspects de ce service que je voudrais consacrer maintenant la fin de mes propos.

Précisons tout d'abord qu'à la différence de certaines universités qui s'y sont risquées à tort, nous semble-t-il, nous ne songeons pas à alourdir notre appareil d'une structure supplémentaire le service à la Cité qui prendrait place comme une troisième dominante à côté de l'enseignement et de la recherche. Nous croyons bien plus nécessaire et bien plus fondamental de promouvoir cet objectif comme un «état d'esprit» animant l'ensemble de nos activités (le mot est de l'un des auteurs déjà cités). Une volonté et non des bureaux de plus, telle est la source d'un mouvement que nous nous employons à susciter dans trois directions voisines: des réalisations typiques, une information bien différenciée, la pratique constante du dialogue. La première direction pourrait être baptisée du nom un peu barbare de pro-existence. Nous entendons par là la mise ou la remise en situation de service des grandes unités de l'Université: facultés, sections, instituts, étant entendu que cet effort ne répondrait pas à la banale requête de je ne sais quel utilitarisme, mais qu'il viserait à démontrer dans des

contacts coordonnés la liaison capitale de l'Université avec les hommes et les femmes qui l'ont fréquentée.

Que les facultés soient constamment disponibles pour la formation continue de leurs diplômés, c'est au départ la tâche des associations d'anciens beaucoup trop faiblement représentées à Lausanne. Sans aller jusqu'à imaginer les bienfaits qui pourraient en résulter pour nous, il nous semble que la demande formulée par de telles associations à l'adresse des facultés pourrait amener celles-ci à mieux percevoir leurs tâches ordinaires et, en définitive, à pénétrer plus avant dans la réalité d'un plus vaste public. Autre exemple, tiré d'un tout autre domaine: on sait que le programme de Dorigny comporte divers équipements sociaux, dont celui fort attendu d'une garderie pour jeunes enfants; notre voeu dès les premiers travaux préparatoires en vue de cette réalisation, c'est qu'elle soit aussi bien au service de la population environnante que de la communauté universitaire; nos futurs étudiants ne seront pas tous les descendants de ceux d'aujourd'hui! Autre exemple encore, modeste mais résolu: le cours général public animé par des enseignants de toutes les facultés, qui s'ouvrira cet hiver sous le titre global de «La Parole»; nous espérons montrer par là non seulement la possibilité de rassembler des disciplines les plus diverses autour d'un thème commun, mais surtout que nous existons pour communiquer le fruit de nos recherches. Me sera-t-il permis de dire ici tout l'espoir que le Rectorat place dans le nouveau Conseil académique que le Conseil d'Etat vient de constituer conformément à la Loi universitaire? Nous éprouvons impérieusement le besoin d'être guidés dans le choix des services appropriés que nous pourrions offrir à la Cité, et nous sommes assurés que, dans la grande variété des milieux qu'ils représentent, les nouveaux membres de notre Conseil nous seront d'un précieux secours.

La seconde direction que nous voulons suivre est celle d'une information toujours plus développée et efficace. Cette tâche s'impose avec plus d'évidence encore que la première, elle mériterait de faire l'objet à elle seule d'un important exposé. Bornons-nous à deux remarques. Si l'information diffusée vers l'extérieur par notre Service de presse et d'information soutenu depuis une année par une commission spécialisée, recourt avec une réelle efficacité aux grands médias, à qui j'adresse l'expression de notre gratitude, il nous apparaît indispensable de doubler cette action par l'emploi coordonné d'autres canaux encore; je pense ici particulièrement aux démonstrations et expositions de tous genres, ainsi surtout qu'à la décentralisation à travers le canton d'un effort de relations publiques. Nous n'avons qu'à nous louer à cet égard des journées que le Rectorat a entrepris d'organiser tous les deux mois dans les chefs-lieux de nos districts, quant à l'information interne, nous constatons qu'elle ne passe pas de manière pleinement satisfaisante par les canaux officiels, alors que sa diffusion par les soins de groupes bien motivés est assurée de trouver son but: une raison parmi bien d'autres de prêter notre concours à la constitution ou la reconstitution de libres associations dans le cadre de la communauté universitaire.

Reste la troisième direction que nous nous fixons, celle du dialogue tous azimuts. Nous aimerions, non sans présomption sans doute, ne refuser aucune occasion d'entrer en conversation avec les milieux les plus variés pour les écouter d'abord, puis leur faire entendre la voix de l'Université. Il est bien clair que nous ne partons pas ici de zéro: de bonnes traditions veulent que nous soyons invités à un nombre respectable d'assemblées et de réceptions au plus haut niveau. Nous sommes bien loin de nous en dispenser, mais souhaitons que le dialogue se noue dans la vie autant qu'autour des buffets. C'est ainsi que nous sommes très préoccupés d'établir des contacts actifs avec les entreprises et les milieux professionnels, ne serait-ce que pour chercher ensemble des lumières sur le problème de l'emploi et considérer l'impact de notre recherche scientifique sur l'activité de l'entreprise. L'offre étant ainsi lancée, nous nous réjouissons qu'on s'en saisisse.

Il est temps de conclure; permettez que ce soit sous la forme d'une réflexion cueillie dans l'une de nos visites de district. Au moment de se quitter, l'un des syndics présents a eu ce mot venu du coeur: «Je me demandais en venant ce qu'on pourrait bien se dire. Maintenant j'ai compris que vous vous intéressez à nous!» Nous n'en demandons pas plus.