Dies
Academicus et
journées universitaires
1981
22 OCTOBRE
Journée d'accueil
23 OCTOBRE
Journée des facultés
24 OCTOBRE
Dies Academicus
Discours de M Claude Bridel, recteur
Le Rectorat qui, de concert avec M. le
président du Sénat, vous accueille ce
matin, a de nouvelles raisons de se sentir
ici chez soi. Installé à Dorigny
depuis la fin de l'été dans des locaux
fort bien adaptés à ses fonctions, il a
éprouvé encore moins de gêne que l'an
dernier à vous prier de célébrer «extra
muros» ces fêtes académiques. Le temps
n'est pas encore venu de procéder aux
solennelles inaugurations qui engloberont
en 1983 notre bâtiment dans l'ensemble
des locaux communs de l'Université,
mais nous pouvons nous acquitter
dès aujourd'hui, et publiquement, de
deux agréables devoirs. Il nous importe
en premier lieu d'exprimer notre reconnaissance
à tous ceux qui ont permis
que, regroupant enfin ses services disséminés
en quatre ou cinq implantations,
la direction de notre institution s'établisse
au coeur de l'organisme en pleine
croissance; par-delà le cercle actif des
bâtisseurs et des organisateurs, c'est au
gouvernement et au peuple vaudois que
vont notre gratitude et l'expression de
notre satisfaction. Quant à notre second
devoir, il nous incite à adresser un salut
cordial et confiant aux autorités de
«nos» communes — Chavannes, Ecublens
et Saint-Sulpice — ainsi qu'à
M. le préfet du district de Morges, avec
qui nous avons à créer ou développer de
proches contacts; faut-il redire, au
demeurant, que cet élargissement du
cercle de nos amis n 'affaiblit en rien les
liens historiques qui nous unissent à la
commune et au district de Lausanne,
dont nous saluons les représentants.
Orienté sur l'avenir plutôt que sur le
passé, consacré à la réflexion de préférence
au compte rendu, le discours
annuel du recteur n'entre pas — chez
nous, du moins — dans le genre rapport
d'activité; loin de moi le désir de manquer
à cette heureuse coutume.
Je ne crois pas y déroger toutefois en
soulignant brièvement l'importance de
deux événements et la valeur de deux
traditions; les uns et les autres appartiennent
à notre histoire récente, mais
leurs effets s'étendent au présent et au
futur de notre vie universitaire. Le premier
événement est la mise en route de
l'Institut de hautes études en administration
publique qui, dès le mois d'avril
de cette année, a couronné de longs travaux
préparatoires; nous sommes sur le
point d'accueillir les premiers membres
de la direction qui vont organiser cette
nouvelle activité d'enseignement et de
recherche et nous nous en réjouissons.
L'autre événement est représenté par la
création du Prix Jean Monnet, lequel
sera décerné cet après-midi même à
M. John McCloy, au cours d'une cérémonie
de grande portée que nous avons
tenu à inclure dans les Journées universitaires
de cet automne; nous sommes
particulièrement heureux de cette circonstance,
car elle illustre la volonté
d'ouverture chère à l'Université et à son
Rectorat.
Des traditions qui se poursuivent à
notre plus grand profit, l'une est récente
et d'autant plus stimulante; il s'agit de
la visite par le Rectorat de chacun des
districts vaudois; ces rencontres bimestrielles
avec des personnalités du monde
politique, économique et scolaire vont
incontestablement plus loin que de sympathiques
prises de contacts, elles éclairent
d'une vive lumière la mission de
l'Université aujourd'hui et dans ce pays.
Tradition enfin, plus ancienne mais sans
cesse renouvelée, que notre collaboration
régulière avec la direction de
l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne;
à la faveur de multiples problèmes
souvent délicats, voire ardus, l'estime
et la confiance se forgent dans un
climat toujours amical.
Et je m'en voudrais de quitter ces propos
liminaires sans exprimer le très
grand plaisir du Rectorat d'avoir pu
admettre sans hésitation les propositions
de quatre Facultés désireuses de marquer
par l'attribution du doctorat honoris
causa la haute valeur scientifique,
technique, artistique et humaine des
personnalités que nous entourons ce
matin. La diversité des nouveaux docteurs
sera certainement relevée; nous
l'avons souhaitée et nous en sommes
fiers.
Je me propose maintenant, Mesdames
et Messieurs, de retenir quelque peu
votre attention sur un thème particulier.
Après vous avoir entretenus l'an dernier
de l'Université dans la Cité, je voudrais
réfléchir avec vous à quelques aspects de
la condition de l'étudiant dans l'Université,
non point certes sur un mode général
et peu compromettant, mais en serrant
d'aussi près que possible notre réalité
quotidienne.
Parler des étudiants hors de leur présence
massive et de leurs possibles interventions
a quelque chose d'insatisfaisant.
Mais n 'en parler que par allusions
lointaines, ou n'en pas parler du tout
lors d'un Dies academicus, devient franchement
choquant. Et là, nous devons
bien reconnaître que, pour une foule de
raisons qui vont de la prudente réserve
du chat échaudé à la hautaine indifférence
du mandarin, en passant par tous
les degrés de la timidité et de l'incertitude,
nous nous surprenons plus souvent
qu'à notre tour à tenir de larges pans de
la vie universitaire comme à l'écart de
ceux qu'elle concerne en tout premier.
C'est ainsi qu'édifiant récemment un
programme de jumelage sur le plan
scientifique, nous nous sommes aperçus
comme en passant que nous n'avions
guère prévu en tout cela l'accord, l'engagement
et —pour tout dire —le rôle spécifique
des principaux intéressés: les étudiants.
Et pourtant, ce souci figurait en
bonne place dans les intentions primordiales
que le Rectorat s'était fixées
avant son entrée en fonctions; faut-il
que nous soyons déjà marqués par la
routine desdites fonctions pour que nous
laissions passer de telles omissions!...
Il se trouve cependant que des événements
plus ou moins agréables, telle
interpellation dans l'une de nos trop
rares commissions paritaires ou tel
recours obstiné, viennent nous rappeler,
non pas à l'ordre, mais à la réalité de cet
ensemble humain, à l'effectif d'un gros
bourg ou d'une petite ville, pour lequel
nous sommes là; nous n'aimons pas plus
que d'autres les questions embarrassantes,
la résistance passive ou la contestation
hargneuse, mais il faut admettre
que leur surgissement a le mérite, si l'on
peut dire, de nous remettre en situation
d'interlocuteurs. Reste à ce propos, précisément,
l'obligation où nous nous
trouvons, de par la loi, de mettre sur
pied dès cet automne ces structures de
partage et de concertation quadri- et tripartites
qui, de bas en haut de l'Université,
doivent nous faire rencontrer, dans
ce cadre à frais nouveaux, le monde élitdiant
en tant que partie prenante de
notre gestion. On peut penser ce qu'on
veut du degré de participation accordé
par le législateur à ces partenaires du
jeu académique: le fait est là, qui nous
invite au moins à clarifier l'idée que
nous nous faisons du vis-à-vis.
Commençons par énoncer quatre
vérités premières qui, mises ensemble,
perdent peut-être de leur banalité individuelle
pour constituer un point de
départ valable en même temps qu'une
sorte de déclaration de principes à conserver
par-devers nous jusqu'au terme de
l'exercice.
Première évidence, ou supposée telle:
il y a des étudiants, et non une masse
anonyme intitulée population étudiante,
ou encore une addition d'étudiants standards.
Voilà qui est à la fois très exaltant
et très gênant. On voudrait, si l'on
est généreux — et nous le sommes en
grande majorité dans cette maison — se
laisser gagner par l'enthousiasme de la
diversité à quoi correspondrait le grand
bonheur des contacts personnels avec
chacun. Mais il faut déchanter: le nombre,
le surnombre est là, et la tentation
nous guette du même coup de renoncer
à nos rêves pour verser dans un quotidien
sans joie que dominent des statistiques
de flux et de reflux estudiantins,
des problèmes de capacité en places de
laboratoire et de débit des machines à
photocopier. C'est alors qu'à tous les
niveaux, à commencer par celui du Rectorat,
il faut tenir bon dans la lutte contre
la sécheresse; et puisqu'il est impossible
de vraiment rencontrer chacun, qu'il
soit entendu qu'on rencontre bien les
quelques-uns qui se trouvent passer par
là. Cela finira peut-être par se savoir.
Deuxième évidence: les étudiants sont
des adultes, et s'ils ne veulent pas l'être,
c'est à nous de le leur rappeler. Le contraire
de la sécheresse, que je viens de
condamner, n 'est pas le paternalisme
qui, lui, est une solution de facilité.
Lorsque nous sommes tentés de multiplier
les services en faveur des étudiants,
il faut toujours nous demander si ce
n'est pas secrètement pour éviter de leur
laisser la responsabilité d'y pourvoir
eux-mêmes.
Troisième évidence: parce qu'ils sont,
contrairement à la plupart de leurs contemporains
qui exercent déjà une profession,
dans une situation de dépendance
prolongée, les étudiants ont doublement
droit au respect de leur personne.
Il est peut-être plus aisé de pratiquer
avec eux certaines formes de la
démagogie, mais ce comportement n'est
jamais payant et n'engendre à la longue
que le mépris chez ceux qu'on a trompés
en feignant de les dispenser de tout
devoir.
Quatrième évidence, enfin, qui est le
paradoxe majeur en l'occurrence: les
étudiants constituent l'essentiel de
l'Université et, pourtant, ils ne font qu'y
passer quelques années. Mis à part les
travaux de recherche dont beaucoup
sont, du reste, au service de l'enseignement,
la vie d'une haute école s'organise
à l'intention de ceux qui doivent la quitter,
elle ne prend son sens qu 'en vue de
ce départ. Nous courons alors deux dangers
contradictoires: l'indifférence aux
attentes immédiates et l'illusion d'un
circuit fermé.
Nous devons à l'Université de Genève
la publication récente, en juin dernier,
des résultats d'une enquête sérieusement
menée deux ans durant sur l'intégration
des étudiants de première année dans
cette institution voisine. A quelques
détails près, ce rapport élaboré par un
groupe de travail «Université-Collège»
(nous dirions Gymnase) corrobore les
observations éparses que nous pouvons
faire ici. En portant leurs investigations
sur une catégorie particulière d'étudiants,
les nouveaux venus, à fin février
de leur premier semestre, les enquêteurs
ont certainement touché le moment sensible
du curriculum, où les attentes
n'ont pas encore été obscurcies par les
routines, où la condition d'étudiant est
perçue de la manière la plus nette. A ce
titre, les conclusions de ce document
sont propres à nous éclairer dans notre
réflexion.
Des constatations, qu'on peut qualifier
de réjouissantes, apparaissent en
premier lieu. Les jeunes étudiants consultés
manifestent de l'intérêt pour les
études qu'ils ont choisies et perçoivent
en général leur adéquation avec la profession
à laquelle ils aspirent. De ce fait,
sans doute, la fréquentation des cours et
séminaires est mieux que satisfaisante,
tandis que l'utilisation des services généraux
semble leur marquer une incontestable
faveur. Moins approbative, en
revanche, se révèlent les opinions concernant
le passage de l'enseignement
secondaire supérieur à l'Université: les
étudiants débutants se disent alors
médiocrement dotés dans certaines disciplines
et surtout peu initiés dans le
domaine des méthodes de travail dont la
pratique est attendue d'eux; ils éprouvent
le besoin d'un nombre accru de
cours et de séminaires d'introduction
aux matières qui leur sont enseignées.
Mais ces remarques, qui ne touchent
pas directement notre propos, sont
encore extrêmement nuancées, voire
indulgentes, à côté de celles — massives
et unanimes —qui stigmatisent ce qu'on
pourrait nommer le climat humain de
l'Université; à cet égard, les relations
interpersonnelles existantes sont qualifiées
par nos enquêtés de nettement
mauvaises.
Je sais bien les risques de toute
enquête de ce genre, et des extrapolations
abusives; je sais aussi qu'il ne
s'agit ici que de premières impressions,
et par-dessus le marché dans une autre
université, dont le recrutement n'est pas
exactement comparable au nôtre. Je
sais tout cela, mais je ne peux m'empêcher
pour autant de penser, à plus d'un
signe, que cet indicateur de tendances
s'applique aussi chez nous, et que la
vigilance réclamée de Genève peut l'être
également d'autres universités. Cette
question de relations interpersonnelles
est vraiment de celles qu'il faut aborder
de front et qui, si l'on reprend l'ensemble
des remarques du rapport genevois,
peut en expliquer les divers aspects. Si
je tente de les combiner avec mes évidences
de tout à l'heure, je vois apparaître
quelques pistes de réflexion que je
voudrais sommairement vous décrire en
terminant.
Concernant tout d'abord la vie des
étudiants en tant que tels, je dirai volontiers
que, tout préoccupé que l'on soit —
et légitimement — du grand sérieux de
leurs études, et tout heureux que l'on est
de les y voir assidus, il n'en faut pas
moins avoir à l'esprit que l'Université ne
saurait être en aucun cas le tout de leur
existence. Non seulement, ils n'y passeront
que trois, quatre ou cinq ans de
leur vie, mais même alors, ils n'y seront
au maximum que sept à huit heures par
jour ouvrable, et cela grâce au fait particulier
que, bienheureusement, nous
n'avons pas ici de véritable cité universitaire.
C'est dire qu'à cet égard, on
aurait grand tort de tenir pour secondaire
le temps à vrai dire considérable
qu'un étudiant passe ailleurs qu'à l'auditoire,
au laboratoire et à la bibliothèque.
Ce temps, même s'il échappe totalement
à nos horaires, n'est certes pas
indifférent à la formation de nos futurs
diplômés: il y est même intimement lié.
N'est-il pas dès lors capital que, bien
loin de couver les siens dans la tiédeur
d'une institution repliée sur elle-même,
l'Université contribue par sa part à les
pousser à d'autres rencontres et d'autres
contacts? Deux exemples seulement à
ce propos: les stages professionnels en
cours d'études que certaines de nos
Facultés organisent déjà de façon prometteuse,
et l'encouragement —bien sûr
discret — à rencontrer d'autres contemporains
que des étudiants, à militer dans
d'autres groupements que ceux qui peuvent
se former ici.
Parlons maintenant de la perspective
plus lointaine que représente, dès le
début des études, l'accès à une situation
professionnelle gratifiante. Si de récentes
enquêtes démontrent que, pour le
moment, les diplômés universitaires sont
presque assurés de trouver un emploi,
deux phénomènes méritent de retenir
notre attention. C'est le fait, en premier
lieu, que lesdits emplois ne correspondent
pas forcément à la formation préalable;
ils peuvent être confiés à un universitaire
qui ne s'y est, par conséquent,
nullement préparé et devra faire l'effort
de s'y adapter parfois péniblement.
Quant à l'autre phénomène, il est propre
à la Suisse romande dont les diplômés,
contrairement à ceux de Suisse
alémanique, laissent en moyenne s'écouler
un temps relativement étendu entre
la fin de leurs études et l'entrée dans la
profession. Orientation fâcheuse à l'origine?
Hésitations en fin de parcours?
Refus de certains cadres jugés trop rigides?
Il y a sans doute de cela derrière
l'une et l'autre de ces manifestations;
mais il importe d'en tenir compte assez
tôt, et cela est du ressort de l'Université.
Deux exemples à nouveau: le souci
qu'ont les étudiants de notre Ecole des
hautes études commerciales d'organiser
chaque année une sorte de «bourse du
travail» pour ses nouveaux licenciés, et
le rôle qui doit s'accentuer de notre service
d'orientation et de conseil aux étudiants.
Nous devons encourager de telles
entreprises et les doter de nouveaux
moyens, mais il faut qu 'elles se réalisent
comme dans le cas des HEL avec et non
seulement pour les étudiants, et qu 'on
ne se borne pas à se réjouir de l'apparente
docilité et du réalisme de beaucoup
d'entre eux. Comme l'écrivait un
journaliste il y a quelques temps. «Ceux
qui seraient tentés de se féliciter du réalisme
de la jeunesse auraient tort: la
mise à plat des ambitions, l'affaiblissement
de la solidarité, le manque de
générosité, l'amoindrissement du goût
de la responsabilité, le scepticisme face
aux vertus du progrès — technique ou
social —c'est, à terme, la fin des espérances.
Dans ces conditions, applaudir
serait criminel, et même suicidaire: une
jeunesse au ralenti, c'est toute une
société qui piétine».
Une vie étudiante ouverte aux horizons
de la vie tout court, une préparation
attentive à la profession: nous
venons d'évoquer deux fonctions qui
supposent l'existence renouvelée de ces
fameuses relations interpersonnelles
dont il est tant question dans le rapport
genevois. On voit bien, en effet, que rien
de tout cela ne peut se développer sans
que soient créées ou améliorées les conditions
institutionnelles ou informelles
d'échanges soutenus entre le corps professoral
et les étudiants, et entre les étudiants
eux-même. On doit et peut espérer
que notre installation à Dorigny
facilitera de telles mesures; raison de
plus pour compter sur la progression
soutenue des grands travaux entrepris.
Puisse leur achèvement nous trouver
moralement équipés pour ne pas faire
mentir notre audacieuse dénomination
de communauté universitaire!
Parcourant le recueil des sujets de
baccalauréat proposés aux candidats
français de 1980, je suis tombé sur ces
lignes de Gérard Mendel qui m'ont
rudement alerté: «Tout se passe (...)
comme si la jeunesse faisait peur à la
société, au même titre que l'avenir l'angoisse.
D'où la cécité générale à propos
des jeunes et de leur désarroi profond.
D'où le fait que l'enfant et l'adolescent
contemporains ont de moins en moins
de place à eux dans la société. Dès qu'il
est sorti du cercle de famille, l'enfant,
jusque-là roi, devient paradoxalement
celui qui gêne. Il est de trop, adolescent,
dans cette bousculade que sont devenus
les rapports sociaux. Il est de trop dans
les rues livrées aux voitures, dans la
ville, sur le marché du travail où règne
le chômage. Alors on construit pour lui,
pour eux, des crèches-parkings, des écoles-parkings,
des universités-parkings.
Plus la durée de l'adolescence tend à se
prolonger, plus la jeunesse devient du
temps mort, du rien social.»
Il m 'apparaît de notre devoir le plus
immédiat que, là où nous sommes et
avec les moyens dont nous disposons,
nous fassions tout pour faire mentir ces
lignes pendant qu'il en est encore temps.
Cela commence par l'accueil que nous
réservons aux étudiants, se poursuit par
le refus de parquer des adolescents prolongés,
et s'achève par la prise en considération
du lieu de socialisation que
peut être l'Université.