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Allocution de M. Rémy Scheurer

recteur
Mesdames et Messieurs,

Le Dies académique est le jour où, mieux et plus que tout autre, l'Université éprouve la réconfortante conviction qu'elle est solidement ancrée dans la société, qu'elle est reconnue par les autorités politiques et par les corps constitués; et qu'elle-même a l'occasion solennelle de manifester sa reconnaissance envers ceux qui la soutiennent, et en particulier envers le peuple neuchâtelois et ses représentants, qui seront appelés l'an prochain à prendre des décisions vitales pour notre avenir.

Nous avons l'honneur d'ouvrir cette cérémonie en saluant Monsieur le conseiller fédéral, René Felber, chef du Département des affaires étrangères.

Monsieur Jean Cavadini, président du Conseil d'Etat, chef du Département de l'instruction publique et

Messieurs Pierre Dubois et Michel von Wyss, conseillers d'Etat,

Madame la présidente du Grand Conseil,

Mesdames et Messieurs les députés au Grand Conseil,

Monsieur le chancelier de l'Etat de Neuchâtel,

Madame la présidente du Conseil général de la ville de Neuchâtel,

Messieurs les présidents des villes de Neuchâtel, de La Chaux-de-Fonds et du Locle

ainsi que les représentants des autorités communales.

Parmi les personnalités politiques nous saluons tout particulièrement Messieurs les conseillers d'Etat, chefs des départements de l'instruction publique du canton d'Argovie, du canton du Valais, de la République et Canton du Jura et les représentants de Monsieur le conseiller d'Etat, chef du Département de l'instruction publique du Tessin. Votre présence tout à la fois officielle et amicale est pour nous, Messieurs, un encouragement très significatif à poursuivre dans la voie de la concertation et de la collaboration.

Nous saluons les représentants des Eglises; des autorités judiciaires, particulièrement en la personne du président du Tribunal fédéral des assurances et en la personne du président

du Tribunal cantonal; des autorités militaires, en la personne de Monsieur le commandant de la division de campagne 2 et en la personne de Monsieur le commandant de la brigade frontière 2. Nous saluons Monsieur le président et Monsieur le secrétaire général du Conseil national de la recherche scientifique, Messieurs les représentants de l'Office fédéral de l'éducation et de la science, de la Conférence universitaire suisse, du Conseil suisse de la science et Monsieur le conseiller culturel auprès de l'ambassade d'italie.

Nous saluons très amicalement nos collègues les recteurs, vice-recteurs et vice-présidents des universités, des écoles polytechniques fédérales et de la haute école de Saint-Gall.

C'est avec un grand plaisir que nous saluons nos hôtes étrangers, Monsieur le président de l'Université de Franche-Comté, notre jumelle, Monsieur le président et Monsieur le directeur de l'Université de technologie à Compiègne et à Sévenans, Monsieur le président du Centre universitaire du Grand Duché du Luxembourg et celui dont la présence est hautement symbolique en ce jour dédié à l'Europe de la démocratie et des libertés, Monsieur le vice-recteur de l'Université de Cracovie. Plus ratio quam vis! Plutôt la raison que la force. Puisse la devise de votre Université devenir celle de notre monde!

Nous sommes sensibles à la présence du président et des membres du Conseil de l'Université

— de directeurs d'établissements d'enseignement

— de nos docteurs honoris causa

— de nos collègues

— de représentants des associations d'étudiants.

Chevrier à Grächen, en Valais, Thomas Platter, né en 1499, entreprit vers 1510 une pérégrination qui, par le Grimsel, le mena d'abord à Zurich, puis, en compagnie d'autres écoliers, à travers les Allemagnes jusqu'à Breslau, où il fréquenta une école dans laquelle il n'y avait pas encore de livres imprimés, à l'exception d'un Térence, propriété du précepteur.

De Breslau, il revint à Dresde, subsistant par le double et pourtant maigre revenu du chapardage et de la mendicité. Il se fixa ensuite pendant quelque temps à Zurich, et, cinq ans après son départ, il rentra dans son Valais natal. Là, il s'aperçut qu'il commençait à devenir étranger dans sa propre famille car, disaient les siens: «Notre petit Thomas parle d'une façon si profonde que personne ne peut le comprendre».

Il est vrai que le jeune Thomas était encore très peu savant; et il est probable que, comme beaucoup de gens de fraîche science et superficielle, il s'exprimait de manière pédante et qu'il proférait de manière peu intelligible des choses au demeurant fort simples.

Après peu de temps, il repartit pour Ulm, toujours avec une bande de condisciples, et d'Ulm, pour Munich et de Munich, pour Zurich avant de séjourner dans les excellentes écoles de Sélestat et de Strasbourg où, à l'âge de 18 ans, notre Valaisan commença enfin à étudier très sérieusement auprès d'humanistes.

Au terme d'un bref retour au pays, il suivit à Zurich l'enseignement du célèbre Myconius, rencontra Zwingli, et se rangea peu à peu du côté de l'Humanisme et de la Réforme, à la colère et au désespoir de sa famille.

Subvenant à ses frais d'étude de grec et d'hébreu par l'exercice du métier de cordier, il progressa si bien, grâce à son intelligence mais plus encore grâce à la force de sa volonté et à la puissance de sa nature, qu'il fut admis à Bâle parmi les disciples d'Oporinus et qu'il obtint la recommandation du grand Erasme.

Je passe sur la suite de la longue vie de Thomas Platter qui mourut bourgeois de Bâle à l'âge de 83 ans, terme de son existence d'imprimeur puis de professeur.

En son temps et à la manière individuelle, parfois même solitaire, des êtres robustes, Thomas Platter avait résolu des problèmes qui se posent aujourd'hui aux étudiants et aux autorités universitaires, à commencer par la mobilité et par la reconnaissance des formations acquises. Passant des vieux savoirs scolastiques à l'étude du grec et de l'hébreu, il nous présente aussi un bel exemple de recyclage. Enfin, le moins qu'on puisse lui reconnaître, c'est une volonté de formation permanente.

Les seules qualités de cet homme exemplaire fourniraient trop de thèmes à une allocution de Dies académique. Je ne retiendrai donc que celui, redevenu actuel et même très à la mode, de la mobilité.

Comme c'est presque toujours le cas, et je ne croirais pas être imprudent en disant comme c'est toujours le cas, on n'invente jamais dans les comportements humains que ceux que l'on a oubliés. L'histoire de l'Université aux chapitres des professeurs et des étudiants est marquée depuis ses origines par la mobilité des personnes et par la diffusion des connaissances et des idées.

L'espace à disposition était au XIIIe siècle celui de la chrétienté, et les intellectuels s'y mouvaient en communiquant entre eux par la parole et par l'écrit en latin, langue qui avait, en plus de tous ses avantages pour l'expression nuancée et précise de la pensée, la qualité d'être à la fois celle de tous et en particulier celle de personne. C'était là un avantage majeur que ni le

français naguère ni l'anglais aujourd'hui ne possèdent, puisqu'ils impliquent une allégeance de la part de tous ceux dont ce n'est pas la langue maternelle. Depuis l'effondrement de la tour de Babel, les intellectuels s'étaient donné enfin une occasion de sortir de la confusion des langues. Ils l'ont perdue. Peut-être en retrouveront-ils une autre.

Je ne nie pas que j'idéalise la situation ancienne puisqu'il a fallu de grands efforts pour accéder à l'arabe, au grec, à l'hébreu, mais il n'empêche que l'image est dans l'ensemble vraie d'un monde commun aux universitaires se déplaçant dans toute la chrétienté, communiquant sans empêchement linguistique dès qu'ils maîtrisaient le latin et ne dépendant pas étroitement d'un pouvoir politique car les plus hautes autorités religieuses et civiles avaient conféré aux universités par leurs chartes de privilèges une large autonomie.

Certes, depuis le Moyen Age, que seuls des personnes aveuglées par l'idée de progrès peuvent juger ténébreux, l'espace géographique du monde universitaire s'est tout à la fois dilaté et fragmenté; certes, les langues nationales ont-elles tout à la fois brisé l'unité du monde des clercs en même temps qu'elles renforçaient l'implantation des universités dans la société humaine et qu'elles permettaient le développement de nouvelles connaissances; certes, les gouvernements des Etats nationaux se sont-ils montrés plus exigeants que les anciens régimes sur le fonctionnement des universités, mais, à travers toutes ces péripéties, l'Université n'a jamais perdu une volonté d'universalité, à tout le moins la nostalgie de l'universalité et des qualités qui en découlaient.

C'est pourquoi nous sommes très heureux que l'Europe des Douze mette sur pied et applique le programme Erasmus, mais nous sommes en même temps doublement tristes parce que nous en sommes encore exclus, alors que nous sommes et que nous nous sentons profondément européens; parce que nous avons des liens intellectuels et d'amitié avec nos collègues de la Communauté. Mais nous sommes tristes aussi parce que le nouvel espace universitaire européen qui se dessine n'est agrandi que par rapport à une partie de l'Europe, telle qu'elle s'est retrouvée après ses malheurs du XXe siècle. Cet espace est rétréci par rapport à l'Europe du Moyen Age, de la Renaissance, des Lumières et du XIXe siècle. Il serait dangereux pour l'Université que cet espace esquisse des limites en direction des autres parties du monde, qu'il s'agisse des puissantes universités américaines et des rives de l'océan Pacifique, ou des universités sur lesquelles repose une partie des espoirs des pays en voie de développement.

Une chose est sûre. Plus les universités seront englobées dans la politique extérieure des Etats nationaux ou des groupes d'Etats, moins nous aurons de chance de parvenir à l'universalité ou de

conserver la pleine liberté d'action qui est la nôtre, car lorsque nous correspondons avec les universités, même dans un régime dictatorial, ce n'est pas avec le régime que nous transigeons mais c'est à des hommes qui se veulent libres que nous tendons la main.

Nous avons maintenant, grâce à vous, Monsieur le Conseiller fédéral, la certitude d'entrer prochainement dans le programme Erasmus li. Nous nous en réjouissons. Cependant, nous espérons beaucoup que ce programme s'étendra non seulement à la Suisse et aux autres pays de l'AELE mais aussi aux pays d'Europe qui, après un long et calamiteux hiver, voient refleurir les libertés individuelles fondamentales. Puisse le programme Copernicus, décidé cet été par la Conférence des recteurs européens, aider à l'intensification de ces échanges! Il suffit en effet de parcourir les livres matricules de nos universités pour constater combien y étaient nombreux avant 1914 et pendant l'Entredeux-Guerres les étudiants de l'Europe centrale à laquelle nous appartenons géographiquement et de laquelle nous avons été si terriblement séparés que nous sommes aujourd'hui comme incrédules encore devant un trop bel espoir.

J'ai tenu ces propos pour mieux suggérer que la mobilité est un moyen qui doit servir à une fin et qu'il ne s'agit pas de se déplacer pour le seul plaisir de bouger.

Cependant un recteur, même issu de la Faculté des lettres, ne peut pas se contenter de l'amer plaisir de constater que le latin valait mieux que l'anglais ou que, même sans programme, la mobilité ne se portait pas plus mal au XIIIe qu'au XXe siècle ou encore que les accords passés jusqu'à présent au sein de la Communauté européenne ratatinent l'Europe large et de plus en plus ouverte qui est celle de nos esprits et de nos coeurs.

L'idéal est de vouloir tout tout de suite; et le réalisme, de procéder progressivement partout et chaque fois que c'est possible. Sous un même mot, la mobilité recouvre une série de problèmes qui peuvent être regroupés, d'une part, autour de la question du passage en cours d'études d'une université à une autre à l'intérieur de la Confédération suisse et, d'autre part, autour de la question des séjours à l'étranger.

Pour le moment, la mobilité en cours d'études à l'intérieur de la Suisse est encore plus un voeu qu'une réalité. Nos règlements ont évolué jusqu'à présent selon les principes des médecines les plus douces et l'on hésite, à juste titre, à leur appliquer ceux de la chirurgie de guerre.

Pour parvenir à un accord au plan fédéral, la Conférence des recteurs suisses a pris l'initiative d'une convention qui assure l'immatriculation dans toutes les universités aux étudiants ayant réussi dans leur université d'origine des examens de premier cycle et qui institue un statut nouveau, celui d'étudiant-hôte. Ce statut devrait engager les universités et les facultés à la

reconnaissance pleine et entière d'études effectuées sur d'autres campus. Encore timide, cette convention a le mérite d'avoir engendré un mouvement, si bien que de nouvelles propositions sont maintenant à l'étude qui devraient régler de manière tout à la fois simple et efficace le vieux problème des différences dans les titres reconnus pour l'immatriculation dans nos universités. Une autre voie originale en faveur de la mobilité a été suggérée par des professeurs de physique. Elle consisterait en l'élaboration de plans d'études suffisamment harmonisés et articulés pour que les étudiants puissent effectuer leur formation en plusieurs lieux.

Les progrès réalisés sont encore insuffisants, mais il est évident que les conditions de la mobilité à l'intérieur de la Suisse ne sont pas seulement intéressantes par les effets de cette mobilité sur la compréhension et la pratique de nos langues nationales. Il est important aussi que ces conditions soient réalisées dans la perspective de la reconnaissance réciproque de nos titres et de la reconnaissance aisée, pleine et entière de nos titres à l'extérieur.

Pour bénéfique qu'elle soit, la mobilité en cours de formation présente malgré tout un danger sérieux, celui de l'allongement des études. Il est vrai que cet allongement a parfois des raisons moins excellentes.

Dans la mesure où l'aveu d'un cloisonnement excessif et parfois d'un chipotage entre nous causerait un trop vif plaisir à des hommes politiques, je me permettrai d'ajouter que l'insuffisance de libéralisme en matière de reconnaissance des études accomplies est peu de chose en comparaison du protectionisme que font peser les cantons sur les certificats d'aptitude pédagogique. Cela dit, je n'oublie pas qu'un moindre défaut n'est pas encore une qualité, et je suis convaincu qu'avec l'intérêt que porte à la mobilité des étudiants en Suisse les autorités fédérales, la Conférence suisse des chefs de département de l'instruction publique, l'Office fédéral de l'éducation et de la science et la Conférence universitaire suisse, nous ne serons pas freinés par un vide institutionnel.

Pour les études de troisième cycle, le système établi en Suisse romande avec la participation de l'Université de Berne produit de très bons résultats et nous nous réjouissons des échanges qu'il suscite.

Par contre, il devient urgent d'accroître en nombre et de renforcer en intensité les échanges à l'extérieur de nos frontières avec les pays où la recherche est la plus avancée, avec l'ensemble des universités européennes et particulièrement avec celles des régions transfrontalières qui se dessinent.

A cet égard, nous voyons avec plaisir l'association à laquelle Bâle participe aux côtés d'universités allemandes et françaises. Genève et Lausanne entrent maintenant avec les universités de

la région Rhône-Alpes dans un ensemble dynamique. Nous avons pour notre part avec l'Université de Franche-Comté des relations privilégiées dans une région où progressent de manière réjouissante les microtechniques. Notre avenir est ici encore conforme à notre passé, et le rapprochement avec la Franche-Comté s'inscrit à la fois dans notre destin et dans l'expression de notre volonté.

Ainsi émerge une géographie aux contours encore incertains qui, par-dessus les limites nationales, dessine une Europe des régions, et qui n'est pas sans rappeler à l'historien celle du vieux monde carolingien. Le temps des concentrations de pouvoirs sur les villes capitales des états-nations semble essouflé. Ce sont les régions périphériques qui paraissent avoir maintenant de meilleures chances dans la mesure où elles sont des régions de contact et qu'elles sont mieux préparées à agir au sein d'une structure fédéraliste. L'Europe de Denis de Rougemont est en filigrane dans l'Europe encore tellement économique et si peu politique d'aujourd'hui. Je ne dirais pas que c'est la revanche de la Lotharingie, mais il me paraît bien que les régions d'Europe médiane ont aujourd'hui devant elles des possibilités inédites depuis le temps fascinant du duché de Bourgogne.

Mais pour entretenir la mobilité et les échanges nécessaires à ces développements, il faut des moyens et nous devons prendre des initiatives.

Paradoxalement, j'affirme que pour assurer la mobilité, il faut construire des immeubles.

Admettons, ce sont les buts du programme Erasmus, que 10% des étudiants changent d'université au cours ou au terme de leur formation! Combien faudra-t-il de chambres pour les loger, et combien en avons-nous à disposition en Suisse?

Les responsables d'universités participant au programme Erasmus estiment que le problème du logement est le plus difficile qu'ils aient à résoudre. Plus difficile que celui d'avoir 94 millions d'écus à répartir alors que les demandes ascendent à 260 millions d'écus; plus difficile que d'avoir des étudiants italiens dans des cours donnés en néerlandais.

Nous sommes à la fin de 1989 et notre entrée dans le programme Erasmus pourrait avoir lieu en 1991. Quoi qu'il en soit de l'avenir, je suis convaincu que nous devons augmenter dès maintenant nos relations bilatérales avec l'étranger. Cependant, les moyens nous manquent déjà pour entretenir les relations existantes à un niveau satisfaisant et pour dégager sur nos budgets les fonds nécessaires aux bourses et aux frais de fonctionnement des échanges.

N'y aurait-il pas là, à un niveau et sous des formes à déterminer, occasion pour un programme fédéral qui arriverait comme un carburant dans des moteurs en état de fonctionner mais qui aujourd'hui toussotent alors qu'ils devraient vrombir. Un tel

programme servirait de relais en attendant notre admission dans Erasmus Il et il serait le moyen pour garantir le volume et la qualité de nos relations avec les universités des régions transfrontalières.

Vous voudrez bien comprendre, Monsieur le Conseiller fédéral, que je ne profite pas de l'occasion de vous tenir en otage de cette cérémonie pour vous lire un cahier de doléances, mais pour vous dire combien est grand notre désir de participer à la construction de l'Europe des universités, de ce qu'elles incarnent et de ce qu'elles représentent.

J'ai tenu, Mesdames et Messieurs, à vous faire part de mes espoirs dans l'avenir de nos échanges interuniversitaires, et, à la mesure de cet espoir, de mes soucis pour que puissent étudier de pays en pays les Thomas Platter d'aujourd'hui; fussent-ils en ce moment occupés à garder des chèvres dans le Haut-Atlas.

R. Scheurer