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Allocution de M. Denis Maillat

recteur

Incontestablement et sûrement, les universités changent et s'adaptent aux conditions de leur environnement. Elles ont multiplié leur offre de formation, elles se sont engagées dans la formation continue, elles accueillent une variété toujours plus grande de bacheliers, elles multiplient les diplômes, elles s'insèrent de plus en plus dans des réseaux internationaux afin d'accroître l'échange d'informations et la mobilité des enseignants et des étudiants.

C'est «un fait réjouissant, écrivait le recteur de l'Université de Lausanne, que les uns et les autres fassent globalement confiance à leurs hautes écoles dans leur fonction de formation et de recherche. Mais chacun attend aujourd'hui, sans doute à bon droit, que les hautes écoles soient plus ouvertes au public, plus accueillantes, plus conviviales, qu'elles soient bien équipées en appareils et en livres, qu'elles multiplient les contacts internationaux, qu'elles assurent un nombre grandissant de tâches de services.»

Par rapport à toutes ces sollicitations, l'Université est amenée en cette période de restrictions financières à s'interroger sur ce qu'elle doit faire et ce qu'elle ne doit pas faire, bref à se poser des questions sur l'allocation de ses ressources.

En effet, pourrons-nous continuer à satisfaire toutes les attentes? Pour répondre à cette question, il nous faut nous interroger à nouveau sur les tâches qui sont assignées aux hautes écoles.

Ces tâches se situent essentiellement dans trois domaines:

— la formation;

— la recherche, notamment sous sa forme fondamentale;

les services rendus à la collectivité, par exemple sous forme de conseils et d'expertises.

Le poids respectif de ces tâches et la manière de les accomplir font certes l'objet de controverses entre les universités, disons surtout parmi les universitaires, mais généralement il est admis qu'il s'agit d'activités de plus en plus indispensables au bon fonctionnement non seulement économique, mais aussi social, culturel et politique d'une société moderne. C'est pourquoi le choix est difficile.

Dès lors, et je reprends ici une série d'interrogations de la CRE (Conférence des recteurs européens, Actes de la 9e assemblée

générale, Durnham, 1989): dans quelle mesure les universités peuvent-elles continuer à développer leurs services pour de nouveaux clients sans mettre en danger leur mission traditionnelle d'enseignement et de pratique de la recherche fondamentale, de développement et de transmission du savoir pour lui seul, d'initiation des jeunes étudiants aux arts libéraux, d'éducation au plus haut niveau possible des jeunes gens afin qu'ils deviennent des citoyens responsables, capables d'assumer les défis de la société moderne? (CRE, page 236.) Il est bien normal que par rapport aux sollicitations dont elle est 'objet, l'Université se pose des questions sur son rôle dans la société. Mais ce n'est pas un hasard non plus si la société attend de l'Université une contribution plus permanente et plus immédiate à son développement. Traditionnellement, la contribution de l'Université au développement de la société se manifestait par des processus qui déployaient leurs effets à moyen et à long terme et qui jouaient sur des mécanismes d'insertion indirects. La séquence suivante était la plus courante: de nouvelles connaissances étaient définies par la recherche universitaire dont les résultats étaient peu à peu intégrés dans de nouveaux produits ou de nouveaux services, de même les jeunes gens étaient formés sur une base générale que les employeurs complétaient par la suite. Or, ces processus sont remis en cause par la rapidité des changements technologiques et l'explosion des connaissances.

On assiste en quelque sorte à une scientifisation de l'industrie et des activités humaines. Cette scientifisation a pour résultat que l'on considère aujourd'hui qu'il n'y a décalage ni temporel, ni matériel, ni intellectuel entre la connaissance et le produit final. li est désormais possible en principe d'agir immédiatement. Rassurez-vous, le «juste à temps» n'a pas encore envahi l'Université! Pourtant, c'est par des mécanismes d'insertion directs et beaucoup plus immédiats que l'Université doit apporter sa contribution au développement, tant en ce qui concerne la recherche que l'enseignement. L'Université doit réagir de plus en plus rapidement aux demandes externes sous peine de perdre sa crédibilité. C'est le défi de la scientifisation.

L'européanisation est un autre défi qui oblige les universités à l'ouverture et qui mobilise aujourd'hui leur énergie. Nos hautes écoles sont appelées à la construction d'une université et d'une société européennes. Il est absolument indispensable qu'elles ne restent pas à l'écart alors qu'il s'agit de définir et de fixer les priorités de l'Europe du XXIe siècle. Une Europe, qui devrait être marquée par le décloisonnement et la construction d'un système universitaire renouvelé et plus interactif, destiné à faciliter les échanges et les contacts et à créer des réseaux de partenariat et d'échanges entre les universités.

Nombre d'établissements universitaires se sont engagés dans ce processus d'européanisation dont les éléments essentiels sont:

— la reconnaissance des titres et des périodes d'études;

— la mise en place de systèmes de cours et d'examens favorisant la mobilité;

— la mobilité des professeurs, des chercheurs, des étudiants (Erasmus).

A ce propos, j'ai le plaisir de vous annoncer qu'après un démarrage modeste, notre université a déposé treize demandes pour la période 1993-1994 dans le cadre des programmes interuniversitaires de coopération (PIC):

— cinq projets en Faculté des lettres;

— deux projets en Faculté des sciences;

— six projets en Faculté de droit et des sciences économiques. Mais si, au travers des diverses actions que je viens de mentionner, l'Europe vise à créer une communauté universitaire dynamique, moderne, à la pointe dans le domaine de l'enseignement et de la recherche, elle ne le fait pas seulement dans un but culturel, elle le fait aussi afin d'améliorer sa compétitivité. Ce but louable et indispensable en soi pose problème aux universités. L'européanisation accentue en effet la tendance à vouloir faire des universités, selon R. Petrella, directeur du programme FAST, des sortes d'affaires fondées sur la connaissance. Il écrit: «La connaissance devenant l'un des facteurs les plus importants de la production de richesses, il s'ensuit que l'Université est de plus en plus vue comme un centre de production de connaissances. Elle est donc de plus en plus intégrée à la sphère économique.» (CRE, page 191.)

Ainsi, tant en raison du phénomène général de scientifisation que de la nécessité de l'européanisation, l'Université est de plus en plus jugée d'après sa contribution au développement économique.

Cette évolution, qui suscite un dynamisme certain, comporte néanmoins des risques. Nous en signalons deux:

— le premier risque est que l'on aboutisse à un modèle gestionnaire de l'Université qui ne valorise que ce qui est rentable immédiatement et qui contribue à faire en sorte que ce soient des décisions administratives qui orientent de plus en plus les activités universitaires;

— le deuxième risque est la tentation pour les pouvoirs publics de diminuer les ressources qu'ils allouent aux universités sous prétexte qu'elles peuvent se procurer des revenus par d'autres sources.

Mais cette situation offre aussi aux universités l'occasion de fixer le cadre dans lequel elles doivent agir pour orienter leurs choix.

Elles doivent le faire en rappelant leur vocation de base.

C'est ce que Giovanni Agnelli relève fort opportunément: «A mon sens, écrit-il, c'est précisément en cette époque d'incertitude que l'Université devrait affirmer sa vocation: tout d'abord la

recherche pure — l'investigation universitaire ne connaît ni limite de temps ni limite d'objectifs; ensuite, l'éducation des jeunes esprits, et cela avant même de les former à une profession.» (CRE, page 196.) Ou Guido Declercq: «Les universités ne doivent pas se transformer en entreprises ni essayer de leur ressembler. Dans ce processus d'ajustement au besoin de la société, elles doivent s'en tenir à ce qu'elles font le mieux, c'est-à-dire la recherche fondamentale. L'industrie ne sollicitera des idées et des solutions des universités que si celles-ci gardent leur spécificité.» (CRE, page 201.)

Les universités doivent aussi insister sur le fait que leur circonspection et leurs réticences face aux sollicitations de résultats immédiats peuvent être des manières de préserver l'avenir.

A ce titre, elles doivent veiller à ce que la connaissance ne devienne pas une matière première, assujettie aux règles et aux lois qui gouvernent le marché de n'importe quelle matière première.

La connaissance doit rester une richesse publique. «Il faut que les universitaires puissent diffuser librement leurs idées, échanger et discuter ouvertement les résultats de leurs expérimentations, car la connaissance doit être libre et universelle. Et il faut qu'ils puissent se pencher sur un problème nouveau sans contrainte de temps ou de rentabilité. Bien souvent, leur recherche n'a pas d'aboutissement mais, parfois, elle donne naissance à une branche scientifique inconnue qui, à son tour, va engendrer des progrès économiques et sociaux. Comme les entreprises ne peuvent pas assumer le coût d'une telle démarche, c'est à l'Université de revendiquer la possibilité de le faire» (CRE, page 200) et c'est à la société de lui confirmer ce rôle.

Les propos que je viens de tenir n'ont évidemment pas pour objet d'encourager les universités à rentrer dans leur coquille (ou d'y rester, car pour certains [mais ils sont malveillants], elles n'en sont pas sorties). Au contraire, je souhaite leur ouverture et l'amélioration de leur efficacité, mais je ne souhaite pas qu'elles en viennent à effectuer leurs choix sur la base d'une simple analyse coût-bénéfice ou sous les pressions de directives gouvernementales, ou encore en fonction de la situation conjoncturelle.

Le problème consiste donc pour les universités à revoir certaines de leurs priorités et à réexaminer leurs liens avec la société, tout en sauvegardant leur spécificité.

Dans cette perspective, notre université doit naturellement faire l'analyse de ses forces et de ses faiblesses afin d'effectuer des choix pertinents. La réflexion est en cours. Un des éléments clés qui gouverne cette réflexion est le mot coordination.

Pour notre part, nous estimons que, pour qu'une vraie coordination fonctionne entre les universités, il faut:

1. Evaluer les accords de coordination existants.

Les universités n'ont pas attendu les difficultés actuelles pour coordonner certaines de leurs activités. Certains accords existent qu'il convient d'évaluer. Faut-il les maintenir, les renforcer, les étendre?

Nous sommes fiers de faire état de deux accords de coopération qui fonctionnent bien: les sciences de la terre et la microtechnique. On peut s'inspirer de ces exemples dans d'autres domaines.

2. Définir et préciser les centres de compétences existants ou à créer.

Le choix des centres de compétences existants est déjà très avancé dans notre université. Il faudra que les facultés prévoient d'y affecter davantage de ressources (cela peut s'opérer de plusieurs manières et notamment par des regroupements internes) et, d'autre part, que des accords interviennent avec les autres universités, Il est rare en effet que l'on soit centre de compétence tout seul: une solution dynamique consiste à envisager des centres de compétences «partagés», selon l'expression de Bernard Vittoz, le président de I'EPFL.

3. Encourager les «coordinations naissantes».

Je veux parler ici des initiatives qui partent des facultés ou des instituts. Nous en avons deux excellents exemples dans le réseau BENEFRIB dans le domaine de la chimie et de la géologie-minéralogie, où les instituts respectifs de ces trois universités sont en train d'organiser leur collaboration.

4. Désigner les domaines où la coordination est souhaitée.

Elle se manifeste par exemple dans les sciences de l'éducation.

5. Désigner les domaines où la coordination est souhaitable.

Je pense ici aux langues (non fréquentes) ou en droit européen.

6. Préciser les domaines où la coordination n'est ni souhaitée ni souhaitable. En principe, les cours de base de première et deuxième année.

Au total, la coordination doit devenir un des éléments moteur de notre stratégie. Mais la coordination ne doit pas être envisagée comme une centralisation; il s'agit d'une démarche créatrice de mise en commun des ressources. C'est un processus dynamique qui s'accomplit dans le temps et donc qui prend du temps et qui nécessite de la persévérance.

Cette démarche de coordination (partenariat) est, à notre sens, une étape indispensable à la recherche d'autres solutions comme les projets d'université dite romande ou transjurassienne.

En effet, en attendant la réalisation de ces projets, parfois irréalistes, nous devons gérer nos universités, nous devons éviter de démotiver nos enseignants et nos chercheurs.

Nous devons en outre aujourd'hui plus que jamais insister sur le fait que si l'Université de Neuchâtel est un partenaire dans le système universitaire romand et suisse, elle est aussi un atout indispensable au développement économique et culturel du canton de Neuchâtel et des régions de l'Arc jurassien.

Mesdames et Messieurs,

Vous avez, Monsieur le Conseiller d'Etat, décidé de ne plus vous représenter à l'élection du Conseil d'Etat du printemps prochain. C'est donc avec une certaine émotion et déjà un brin de nostalgie que je m'adresse à vous. Avant de vous donner la parole, j'aimerais, Monsieur le Conseiller d'Etat, vous faire l'hommage de l'Université et vous dire combien elle vous est reconnaissante.

Né en 1936, Jean Cavadini étudia à Neuchâtel où il obtint sa maturité classique et une licence en lettres. Professeur au Gymnase cantonal de Neuchâtel, puis délégué à la coordination romande en matière d'enseignement, il opta très tôt pour la politique. Il fut député au Grand Conseil neuchâtelois, au Conseil national, il est actuellement député au Conseil des Etats. Au niveau de l'exécutif, il exerça comme conseiller communal à Neuchâtel avant d'être élu en 1981 au Conseil d'Etat.

Il occupa diverses fonctions au niveau national. J'en citerai deux qui intéressent plus directement l'Université. J. Cavadini est président du Conseil de fondation du FNSRS et président de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction. Cette dernière fonction lui a donné l'occasion à maintes reprises d'exercer ses talents, puisqu'à l'étranger il agit comme délégué de la Confédération pour les affaires d'éducation.

Homme d'action et de conviction, persuadé de la nécessité d'une amélioration continuelle de la formation et du développement culturel, vous avez consacré beaucoup de votre temps et de votre énergie à notre Alma Mater.

Votre action s'est concrétisée par la mise à disposition de notre institution des moyens financiers adéquats et surtout par le développement de nos infrastructures, notamment des bâtiments universitaires. Permettez-moi de rappeler quelques-unes des réalisations les plus importantes:

— annexe du Musée d'ethnographie;

— réfection du bâtiment principal (qui, il faut bien le dire, a fière allure);

— aménagement puis achat au LSRH pour l'IMT;

— bâtiment du faubourg de l'Hôpital pour la Faculté de théologie;

— crédit de construction du Mail pour la Faculté des sciences.

Ne figure pas dans cette liste le bâtiment qui devrait abriter les sciences économiques, mais je sais que les difficultés budgétaires ne vous ont pas permis d'achever cette oeuvre de construction des bâtiments universitaires.

C'est pourtant un beau palmarès qui témoigne de votre détermination à moderniser l'Université et à lui permettre d'adapter ses infrastructures de recherche (réseau informatique) et ses capacités d'accueil pour faire face à l'augmentation des étudiants. En effet, depuis 1981, date à laquelle vous avez été élu au Conseil d'Etat et pris en charge le DIP, le nombre des étudiants s'est accru de 1000, passant de 1981 à 2980, soit une augmentation de 50%.

Dans le même temps, vous vous êtes constamment battu pour que nos crédits budgétaires soient adaptés. Grâce à votre ténacité, mais a aussi votre sens de persuasion, vous avez réussi à porter le budget de l'Université de quelque 28 millions de francs en 1981 à 60 millions aujourd'hui, soit une augmentation en termes réels de 60% environ.

Fédéraliste convaincu et conséquent, tant sur le plan culturel que sur celui de l'autonomie cantonale en matière d'éducation, vous avez su éviter un empiétement trop systématique des autorités centrales sur les compétences cantonales. C'est une tâche qui n'est pas toujours facile, car on a trop souvent tendance à estimer que la grande taille est plus performante que toute autre dimension. Certes, vous n'avez jamais fait l'apologie du «small is beautiful», mais vous avez assez soutenu l'Université pour qu'elle joue son rôle dans ce qu'il est convenu d'appeler la «place universitaire suisse». Mais, par ailleurs, vous avez constamment encouragé l'Université à rester liée à sa région et à son canton. Il est vrai que l'Université de Neuchâtel ne fait pas partie de ces universités qui vivent dans un endroit sans en être vraiment. Au contraire, elle joue un rôle déterminant et stratégique, tant pour le développement culturel que pour le développement économique des régions jurassiennes, en même temps qu'elle apporte une contribution non négligeable à la communauté nationale. C'est votre mérite, Monsieur le Conseiller d'Etat, d'avoir su aider l'Université à affirmer sa spécificité, d'avoir fait comprendre aux citoyens de ce canton l'importance de son rôle et de l'avoir défendue dans les moments difficiles. Le capital de confiance dont bénéficie l'Université dans le canton et dans les régions jurassiennes est largement dû à vos efforts. Observateur attentif de tout ce qui se passe à 'Université, vous avez su agir, ou nous inciter à agir, en étant soucieux de préserver l'autonomie de 'Université. Je peux vous assurer que nous avons apprécié cette attitude qui nous rend d'ailleurs plus responsables.

Homme de parole, respectueux des engagements, décidé à maintenir le cap, vous avez été un partenaire de confiance pour les différents rectorats.

Enfin, nous avons toujours apprécié en vous ce mélange assez rare d'un fin lettré et d'un habile politicien sachant manier l'humour et l'ironie, souvent les deux à la fois, avec une rare efficacité.

Au nom de l'Université, je tiens à vous exprimer notre reconnaissance et à vous dire nos remerciements les plus sincères.

Monsieur le Conseiller d'Etat, vous allez avant la fin de cette année universitaire nous quitter, vous éloigner de notre institution à laquelle vous vous êtes consacré de longues années, pour laquelle vous vous êtes battu et dont nous supposons par conséquent que vous l'avez aimée. Afin d'atténuer vos éventuels regrets et les inévitables douleurs de la distance, l'Université, par son rectorat, se fait une joie de vous offrir un modeste remède d'homéopathie, un baume en quelque sorte. Voici, Monsieur le Conseiller d'Etat, une édition ancienne et en latin des oeuvres d'exil du poète Ovide, l'expression d'une âme mélancolique qui, du Pont-Euxin, pense à la Rome qu'il a perdue. Et cela, toutefois, avec nos voeux les meilleurs.

D. Maillat