reden.arpa-docs.ch Rektorats Reden © Prof. Schwinges
Textbreite
Schriftgröße
Kapitel 

DIES ACADEMICUS 2000

Cérémonie du 16 juin 2000
Uni Dufour, Auditoire Piaget
Palmarès de l'année civile 1999

ACCUEIL

M. Maurice BOURQUIN
Recteur de l'Université

Aujourd'hui, l'Université de Genève est en fête. Fière de son ouverture vers l'Europe et le monde, elle désire honorer ses nouveaux docteurs honoris causa et maintenir ses liens roboratifs avec la société civile.

Elle désire aussi renforcer la cohésion interne entre ses quatre corps: professeurs, collaborateurs de l'enseignement et de la recherche, personnel administratif et technique, étudiants.

Ces liens et cette cohésion entre les pouvoirs représentés au Conseil de l'Université sont d'autant plus nécessaires aujourd'hui, quand certaines initiatives de la Confédération engendrent bien des inquiétudes. Celle de récompenser l'augmentation du nombre d'étudiants, par exemple, en lieu et place de la qualité de l'enseignement et de la recherche. Symptomatiquement, aucun recteur d'université suisse n'est présent aujourd'hui, tous ayant dû répondre aux sirènes de Berne qui les ont convoqués pour une assemblée de la Conférence universitaire suisse, le jour où l'Université de Genève fête son Dies Academicus.

Nous avons besoin de solidarité.

M. Jacques Bouveresse, professeur au Collège de France, auquel nous allons décerner tout à l'heure le grade de docteur honoris causa, a bien voulu accepter d'ouvrir et d'enrichir notre cérémonie par une conférence. Nous lui en sommes très reconnaissants. Celui qui s'est opposé aux irrationalismes de la philosophie contemporaine va nous parler de l'Université dans le monde d'aujourd'hui et nous dire, peut-être, si pour être créatrice l'Université doit aussi être irrationnelle.

Je ne prendrai pas de temps pour vous présenter le Professeur Jacques Bouveresse, d'une part, parce que le doyen de la Faculté des lettres le fera lors de la laudatio et, d'autre part, pour que nous ayons tous le privilège de l'entendre sans tarder et de profiter de sa présence à Genève.

M. Maurice BOURQUIN

Recteur de l'Université de Genève

Sed fugit interea, fugit irreparabile tempus, écrivait Virgile. Voici déjà presque une année que la nouvelle équipe rectorale est entrée en fonction, progressivement. Issue du corps professoral de l'Université, elle regrette de n'avoir pas trouvé de vice-rectrice, mais elle est déterminée à convaincre des femmes d'accepter d'autres fonctions de direction au sein de l'institution. D'ailleurs, elle entend mettre en oeuvre une série de mesures dans le domaine de la promotion académique des femmes. Pour cela, elle attend avec impatience l'approbation d'un projet de loi qui lui permettra d'engager une adjointe au Rectorat pour les questions féminines.

Le Rectorat a pu prendre le relais de nombreux projets élaborés par l'équipe précédente, tels la collaboration avec l'Université de Lausanne, la généralisation de l'évaluation de l'enseignement, la création de services d'aide aux étudiants cherchant un emploi ou s'interrogeant sur un stage à l'étranger. Grâce à son bureau UNITEC, le Rectorat a pu déployer une politique universitaire de transfert de technologies et de compétences, qui a déjà permis de conclure d'intéressants accords entre chercheurs de l'Université et entreprises privées.

Dans le domaine des relations internationales. un nouvel instrument sera à disposition de la communauté universitaire vers la lin de cette année, en collaboration avec l'IUHEI, l'IUED: le RUIG. Il permettra une meilleure adéquation entre les préoccupations des organisations internationales, très sensibles à la conjoncture, et les milieux de la recherche académique, dont le travail porte généralement à plus long terme.

Le Rectorat a engage l'Université dans de nouveaux projets qui élargiront sa palette de programmes de formation, de recherche et de service, avec la nomination de nouveaux professeurs et de nouveaux accords de collaboration interuniversitaires. On peut mentionner les conventions signées avec les Universités de Sarajevo et de Waseda à Tokyo, ainsi que notre entrée dans le réseau COIMBRA d'universités européennes. L'Université fortifie ses liens avec la Cité: après la grande fête à l'occasion de inauguration de la deuxième étape d'UNI MAIL, se sont succédé de nombreuses journées portes ouvertes de laboratoires scientifiques, des conférences et des manifestations destinées au public.

Le Rectorat a élaboré, en concertation avec les doyens, le Conseil académique et le Conseil de l'Université, un programme de politique générale pour les années 1999 à 2003. Ii y défend une Université polyvalente de haut niveau. Mais il ne faut pas se tromper (comme dirait Claude Raffestin, vice-recteur sortant), polyvalence n'est pas synonyme d'absence de choix ou de

priorités. Bien au contraire. Si les facultés, l'IAUG et l'ETI gardent leur relative autonomie, l'Université se donne les moyens stratégiques et financiers pour soutenir en priorité certains projets. J'en mentionnerai deux seulement, l'un dans le cadre lémanique, l'autre européen.

Pour cela, permettez-moi de remonter dans le temps de quelque 4 milliards d'années, quand un système d'autoreproduction, qui fut plus tard appelé «la vie», est apparu dans notre système solaire sur la planète Terre. Subséquemment, des organismes se développèrent par un processus de mutations agissant sur les gènes de cette vie. Ces gènes furent sujets à la pression de l'environnement. Une nature extraordinaire, probablement unique dans l'Univers, fut créée. La capacité de survie dans un environnement volatile fut concentrée dans le génome de chaque organisme où elle est stockée comme information génétique dans les molécules d'ADN. Et encore aujourd'hui ce code génétique continue d'être réécrit tout en étant transmis dans l'ensemble des organismes vivants, incluant les êtres humains.

Or, depuis quelques milliers d'années, c'est-à-dire un millionième de l'histoire de la vie, ces êtres humains ont établi des techniques d'enregistrement des connaissances et de transmission du savoir. Ils ont aussi développé quelques talents exceptionnels qui leur sont propres: la capacité de raisonner, de prévoir, ainsi que de faire preuve d'originalité. Dans la société humaine, ces aptitudes se sont transmises à la postérité de façon non génétique, ouvrant l'âge de la science.

Contrairement à la lenteur relative de l'évolution de la vie è travers l'hérédité et la sélection naturelle, la transmission d'information dans la société humaine se développe à très haute vitesse et haut débit. Notre capacité d'apprendre et d'enseigner accélère encore le mouvement. Ce décalage entre ces deux processus devient préoccupant., l'environnement social et culturel de l'homme commençant à interférer avec l'hérédité. Nous devons donc augmenter notre contribution au développement de la société en approfondissant nos connaissances dans ces deux contextes historiques, afin de les synthétiser un jour dans une seule entité du savoir.

Conscients que cet objectif deviendra essentiel pour l'avenir de l'humanité, nous avons repris l'ébauche amorcée par le Rectorat précédent du développement d'une collaboration tripartite avec l'Université de Lausanne et l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, afin de renforcer notre potentiel d'action dans cette direction. Dans une première phase, les domaines prioritaires de développement et de coordination concerneront précisément, d'une part, l'étude du fonctionnement des gènes et, d'autre part, celle des mécanismes de transformation de la société. D'autres suivront.

D'ici à la fin (le l'année, il s'agit de mettre en place les accords adéquats entre nos institutions et les autorités cantonales et fédérales, de trouver les ressources financières et de permettre aux communautés universitaires de définir en commun des projets spécifiques. Les activités communes commenceraient l'année prochaine. D'autres institutions seront sollicitées, en particulier les hôpitaux universitaires, des instituts spécialisés, ainsi que les autres universités voisines.

En cette année 2000, qui a vu la ratification par le peuple suisse des accords bilatéraux entre l'Union européenne et la Suisse, l'Université entend poursuivre plusieurs axes de rapprochement avec l'Europe. La construction d'un espace européen de l'enseignement supérieur est désormais une réalité et un projet auquel l'Université de Genève se doit de participer. Les enjeux

sont importants et les décisions qui seront prises façonneront les caractéristiques des universités du XXI siècle. Les principes de mobilité des étudiants et des chercheurs, d'organisation de la formation par crédits et de l'individualisation des parcours et projets de formation sont au centre de nos préoccupations.

Un modèle a été élaboré par les Etats européens sous la forme d'une déclaration dite de Bologne. Nous avons constaté qu'elle a été signée par la Confédération helvétique sans concertation avec les Hautes Ecoles. Nous entendons néanmoins participer activement à sa mise en oeuvre, ce qui nécessite tout d'abord un effort d'interprétation commun avec toutes les Hautes Ecoles suisses et avec nos partenaires internationaux. Nous sommes en particulier d'avis que les nombres d'années d'études évoqués pour les différentes étapes de sortie du cursus universitaire, soit 3, 5 et 8 ans, ne sont pas adéquats. Les études prégraduées devraient plutôt aboutir, sauf exception pour certaines filières professionnalisantes, à un premier titre en 4 ans (soit 240 crédits européens). La formation postgraduée comprendrait un titre en 1 an et un doctorat en 3 ans supplémentaires, d'où les nouveaux nombres magiques 4, 5, 8, qui assureront la stabilité du système universitaire, mais qu'il ne faut pas confondre avec les nombres magiques 2, 8, 20 qui assurent la stabilité des noyaux atomiques.

Dans ce but, nous devons rapidement définir les conditions-cadres aptes à généraliser dans notre Université le système de crédits européens ECTS. Sans renoncer à la diversité des pratiques d'enseignement des facultés qui témoignent de la richesse de la formation dispensée à l'Université, il s'agit de définir les éléments transversaux qui sont communs à l'ensemble des unités d'enseignement. On peut parler d'harmonisation d'enseignements non uniformes.

Cette harmonisation doit permettre à nos étudiants d'entreprendre plus facilement des stages de perfectionnement dans des institutions étrangères. Pour qu'ils soient encore plus nombreux à le faire, il faut aussi augmenter le nombre d'accords de collaboration, ce que j'ai déjà évoqué, et offrir plus de bourses incitatives. L'Université devrait créer un fonds de bourses de mobilité regroupant différents partenaires de fondations publiques et privées.

Le contexte dans lequel ces réformes interviennent devient lui-même plus complexe, car il est marqué par une concurrence scientifique et économique beaucoup plus intense au niveau mondial, là où nous avons précisément la prétention d'être acteur plutôt que spectateur. L'économie de la connaissance et la société du savoir se développent rapidement, entraînées par le marché et la démocratie. On se demande même, avec Peter Drucker, gourou du management, si les universités traditionnelles survivront au-delà de trente ans!

La réponse à cette affirmation n'est pas simple, car les universités sont probablement les institutions les pins complexes que la société humaine ait conçues. Il suffit de rappeler ici les difficultés que l'on rencontre pour définir les indicateurs nécessaires à l'évaluation de leurs prestations. Ce qui est essentiel, pour toutes les Hautes Ecoles suisses en tout cas, c'est de leur donner une meilleure AUTONOMIE de gestion.

Sur le plan cantonal, une convention d'objectifs quadriennale entre l'Université et le gouvernement genevois suivra encore avant la fin de cette année. Elle devrait pouvoir renforcer l'indépendance de l'Université sur les plans académique et scientifique, ainsi que sur sa gestion

interne. En contrepartie, la convention devrait améliorer, pour le gouvernement et le Parlement, la transparence sur les objectifs et les performances de l'institution.

Sur le plan fédéral, la Confédération veut réformer le secteur de l'enseignement tertiaire et définir ses propres principes de financement. Par exemple, les projets financés en partie par la Confédération doivent être soutenus également par une contribution appropriée des cantons universitaires, c'est-à-dire à charge de l'Université de se débrouiller pour convaincre ses autorités cantonales. Lorsqu'il s'agit de projets initiés par les universités, la stratégie est défendable, mais quand il s'agit de projets dictés et gérés par de nouveaux bureaux centraux de la Confédération...

Le Rectorat soutient trois excellents projets de pôles de recherche nationaux (PRN) sollicités par la Confédération dont la coordination serait assurée par l'Université de Genève. Il espère que la décision politique finale sera à la hauteur de leur contenu scientifique. L'Université assumera sa contribution.

L'Université est-elle donc prise dans un mouvement schizophrénique entre l'Etat cantonal et l'Etat fédéral? Si c'est le cas, une issue serait de considérer que la politique des Hautes Ecoles universitaires (les Universités cantonales et les Ecoles polytechniques fédérales) soit une tâche commune de la Confédération et des cantons. Le cadre a déjà été tracé, en partie, par la nouvelle loi sur l'aide aux universités. Une convention de coopération entre la Confédération et les cantons responsables d'une université délègue à une Conférence universitaire suisse (GUS) les compétences qui sont nécessaires à la régulation du système. La composition de la GUS est à définir avec soin pour qu'elle puisse être l'organe commun et unique de toutes les Hautes Ecoles, incluant aussi des personnalités indépendantes réputées pour leurs compétences. Une nouvelle base constitutionnelle sera nécessaire, dont la formulation devra obligatoirement respecter l'autonomie des Hautes Ecoles, afin que celles-ci puissent répondre aux besoins de transformation que j'ai évoqués.

Chers Collègues, chers Etudiants,

Au cours de ces quelques mois, le Rectorat nouveau a été frappé de constater combien le corps enseignant et les étudiants méconnaissent l'Université. Combien ils ignorent la nature et le nombre de problèmes internes et externes auxquels l'institution doit faire face. Nous-mêmes nous l'ignorions. Ne tirez pas tous sur le pianiste à la première alerte. Pour que le Rectorat puisse accomplir la lourde mission qui lui a été confiée, il est, certes, nécessaire qu'il communique efficacement avec la communauté universitaire, mais aussi que celle-ci lui accorde une certaine liberté de manoeuvre dans l'intérêt de tous. Il faudra encore convaincre certains de ce principe élémentaire.

En Suisse, on dit que le temps doit prendre son temps. Sénèque, lui, a écrit que le temps défait ce que l'on a fait sans lui.