DIES ACADEMICUS 2005
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DISTINCTIONS ACADÉMIQUES PRIX ET BOURSES PALMARÈS DES DIPLÔMES ET CERTIFICATS DÉCERNÉS DURANT L'ANNÉE CIVILE 2004
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Recteur
Après un Dies 2004 consacré au siècle qui s'achevait depuis le premier Dies academicus de l'Université de Genève, nous tournons aujourd'hui nos regards vers le siècle qui vient, et nous saluons ici les personnalités qui nous font l'honneur et l'amitié d'avoir répondu à notre invitation:
Madame Marie-Françoise de TASSIGNY, Présidente du Grand Conseil
Monsieur Charles BEER, Conseiller d'État, chargé du Département de l'instruction publique
M. Carlo LAMPRECHT, Conseiller d'État, chargée du Département de économie, de l'emploi et des affaires extérieures
Monsieur Dominique FAVRE, Juge fédéral
Monsieur Joël STROUDINSKY, Président de l'Église protestante
Madame Suzanne SUTER, Présidente du Conseil suisse de la science et de la technologie
Monsieur Gérard ESCHER, représentant le secrétariat d'État à l'éducation et à la recherche dans le domaine analyse et prospective
Madame Beth KRASNA, représentante du Conseil des Écoles polytechniques fédérales
Monsieur Jean-Bernard WEBER, représentant du Fonds national suisse de la recherche scientifique
Monsieur André MAEDER, Président de la commission de recherche du FNS pour l'Université de Genève
Monsieur Jean-Marc BARRAS, Secrétaire général adjoint de la Conférence universitaire suisse
Monsieur Denis BILLOTTE, secrétaire générai de la Conférence universitaire de suisse occidentale
Madame Laura JAQUEMOUD, Présidente de la Cour de justice
Monsieur Guy METTAN et Monsieur Robert ISELIN, Députés au Grand Conseil, Commission de l'enseignement supérieur
Les représentants de la Commission des finances et de la Commission des travaux
Monsieur Manuel TORNARE, Conseiller administratif et Maire de la Ville de Genève
Les Recteurs, Présidents, Vice-recteurs, Doyens et représentants des Universités suisses et des
Ecoles polytechniques fédérales:
Et notamment:
Ulrich Gäbler, recteur de l'Université de Bâle
Christoph Schäublin, recteur de l'Université de Bern
Jean-Marc Rapp, recteur de l'Université de Lausanne
En compagnie du vice-recteur Dominique Arlettaz
Alfred Strohmeier, recteur de l'Université de Neuchâtel
En compagnie du vice-recteur Daniel Haag
Patrick Aebischer, président de l'EPFL
Michel Monbaron, vice-recteur de l'Université de Fribourg
Alexandre Borbély, vice-recteur de l'Université de Zurich
Thomas Bieger, vice-recteur de 'Université de Saint-Gall
Piero Martinoli, vice-recteur de l'Università della Svizzera italiana
Paul Richli, vice-recteur de l'Université de Lucerne
Les Docteurs honoris causa
Le Président Roger Mayon et les représentants du Conseil de l'Université de Genève
Les Délégués du Rectorat
Les Doyens des Facultés, le Directeur de l'Institut d'architecture et le Président de l'École de traduction et d'interprétation
Les Anciens recteurs et Vice-recteurs, les anciens Doyens
Les Professeurs qui partent à la retraite et les professeurs nouvellement nommés
Les représentants des Musées, de la Cité et des Fondations proches de l'Université.
Remercions le jazz-band du Conservatoire de musique de Genève, qui nous a rappelé, en ouverture, que nous étions «Just friends», ce qui n'est déjà pas si mal.
Allocution du Professeur André HURST
Recteur
L'an dernier, nous avons célébré un siècle de Dies academicus en montrant quelques images tirées de nos archives. Ces images constituaient une esquisse du siècle écoulé. Évidemment, comme toute esquisse, elle était incomplète.
Aujourd'hui, en mettant ce Dies academicus à l'enseigne du siècle à venir, nous ne serions que trop heureux si nous avions, pour les cent années qui nous attendent, équivalent d'une telle esquisse. Chacun le sait: les instruments les plus raffinés nous permettent de voir quelque chose du passé. Cela va du microscope ou du laser permettant de déchiffrer un document mutilé jusqu'au télescope Hubble qui nous fait plonger du regard dans le passé de l'univers, mais nous n'avons pas l'équivalent pour explorer l'avenir, et la fameuse machine à explorer le temps de Wells tarde à entrer en construction sur nos chantiers, bien que sa conception soit désormais vieille de cent dix ans.
Nous dépendons, par conséquent, de notre seule imagination.
C'est pourquoi nous avons lancé un concours dans toute la communauté universitaire sur le thème de ce que serait Université de Genève dans un siècle. Tout à l'heure, nous remettrons les prix de ce concours et nous aurons le plaisir de projeter l'un des travaux couronnés: celui qui obtient le premier prix.
Cependant, personne ne considérera que nous nous sommes ainsi dotés de l'instrument qui nous manque pour explorer l'avenir.
Cet instrument, encore une fois, n'existe pas, et nous ne délivrons aucun bachelor et aucun master en ingénierie du temps, sur le modèle des compétences mises en oeuvres par Isaac Asimov dans son célèbre The end of eternity.
Un premier pas vers l'avenir, et qui marque une forme de confiance de l'institution dans son propre avenir, est constitué par le double projet des études internationales, annoncé le 14 avril dernier par le conseiller fédéral Couchepin et notre président Charles Beer, et des études sur l'environnement et le développement durable: ce sont nos projets immédiats, mais ils visent très loin dans l'avenir qui s'annonce pour l'humanité sur notre planète. Le président Mayou vous en a parlé et je n'y reviendrai donc pas.
S'il fallait aujourd'hui donner un pendant aux propos tenus l'an dernier sur l'attrait du savoir, c'est un avertissement qu'il conviendrait peut-être de faire entendre à propos de ce qui va continuer de se produire, sans doute, dans les temps à venir. On peut en effet l'affirmer avec aplomb dans toute la mesure où cela se passe sous nos yeux en ce moment.
L'an dernier, on avait insisté sur l'aspect positif du désir d'en savoir davantage, même si ce désir participe de l'irrationnel, sur les liens entre la recherche scientifique et des sentiments qui nous animent et n'en semblent pas à première vue très proches, tel le sentiment amoureux.
Cet aspect positif mérite d'être tempéré, et c'est ce que nous ferons à présent, dans toute la mesure où l'irrationnel comporte ses zones d'ombre, zones dans lesquelles se cachent peut-être des menaces. On s'appuiera sur une déclaration extrême: elle pour auteur un homme dont on a presque oublié qu'il s'agit d'un personnage de chair et d'os, tellement son nom est attaché à une unité de mesure, je veux parler de Nikola Tesla. Nous lui devons notamment l'usage du courant électrique alternatif, et son nom sert d'unité de mesure à la densité du flux des champs magnétiques.
Récemment, une revue scientifique de divulgation lui a consacré un espace. Dans ce cadre, on a cité cette phrase de lui:
«Je ne pense pas qu'il puisse y avoir de sentiment plus vibrant qui traverse le coeur humain que celui qu'éprouve un inventeur lorsqu'il voit une création issue de son cerveau se développer et réussir... Une telle émotion fait oublier à l'être humain la nourriture, le sommeil, les amis, l'amour, elle fait tout oublier» 1.
L'activité de la recherche et les succès qui en découlent vous font tout oublier: voilà qui se situe parfaitement dans la ligne de la passion de savoir. Mais la phrase se termine de manière prophétique, et le ton de la prophétie est inquiétant: en venir à tout oublier peut certes constituer une expérience grisante, mais évoquer cette possibilité, c'est aussi lancer, peut-être de manière involontaire, un avertissement de la plus intense gravité.
Au milieu de ce «tout» que l'on oublie dans l'ivresse de l'activité intellectuelle et du succès, il y a certes des sensations: on oublie le sommeil, la faim, mais on oublie aussi des sentiments qui ont leurs implications éthiques: plus d'amitié, plus d'amour, c'est déjà la pente glissante. On songe alors à des règles de comportement qui relèvent tant de la probité scientifique que de la simple honnêteté qui doit présider aux relations que nous entretenons avec nos semblables.
Or, à l'aube du siècle qui vient de débuter, nous avons des cicatrices à montrer dans ces deux formes du combat: la tentation de la falsification scientifique ou de ce qui pourrait lui ressembler, mais on dépasse alors la phrase de Tesla, la tentation de nuire au progrès de la recherche par pur désir de faire obstacle à la carrière d'un chercheur. De l'empêcher, en quelque sorte, d'atteindre l'état de griserie heureuse que décrit la phrase.
Quoi, de telles turpitudes peuvent-elles hanter les augustes demeures de l'académie?
Hélas oui, et mieux vaut le reconnaître que jouer l'angélisme facile: on n'est pas honnête par définition parce qu'on travaille à l'Université. Les communautés universitaires sont des communautés humaines: elles en ont heureusement les qualités, mais elles en ont aussi les inévitables défauts.
On se souvient du bruit que fit naguère l'aveu d'un illustre universitaire britannique qui, dans son autobiographie, avouait qu'il avait poussé au suicide un collègue détesté. Je ne suis pas en mesure de vous dire si nous connaissons dans notre université des cas de ce genre, mais ce que je puis vous dire, c'est que si cela s'est produit, aucune autobiographie publiée, pour l'instant, ne l'atteste.
En revanche, la haine fait son affreux travail chez nous comme ailleurs, et nous avons eu à déplorer, cette année, un cas de sabotage dans un laboratoire. On frissonne à l'idée qu'un cas venu à notre connaissance, et dont la presse s'est faite l'écho, recouvre peut-être d'autres cas demeurés dans le secret. La situation est critique pour les chercheurs: selon certains, et Platon est de ceux-là, devenir plus puissants et ne pas devenir meilleurs est la pire des choses qui puissent nous arriver.
Mais il y a plus insidieux et plus raffiné: la falsification scientifique est parfois mal discernable de l'imagination, de la créativité scientifique. Or, là, ce sont de prestigieuses récompenses qui sont en jeu, avec leur cortège de crédits, de locaux, de gloire. Bien peu de ceux qui peuvent légitimement y songer ont la sagesse de ce collègue qui m'avouait il n'y a pas longtemps: «Vous savez, en ce qui nie concerne, je ne crois plus au père Nobel». Nombreux sont ceux qui ont connu la tentation de donner le coup de pouce qui pourrait donner accès à la renommée. «Tout oublier» pour accéder à la plus haute marche... Nous en avons connu des cas, nous devons rester très vigilants sur ce point.
Merci, donc, à Nikola Tesla pour son aveu si riche d'enseignements et qui résonne avec tant d'autorité au moment où la compétition scientifique et technologique s'est déchaînée au niveau mondial: c'est peut-être une ironie du sort que son nom demeure attaché aux champs magnétiques alors que lui-même décrit si bien ce qui constitue justement une forme d'attraction, et d'attraction potentiellement fatale.
Son avertissement, à n'en pas douter, nous sera utile dans le siècle qui vient, et nous en avons par avance tenu compte: au cours de l'année écoulée, notre université a mis au point un projet de convention sur l'intégrité dans la recherche scientifique, projet dont on espère qu'il deviendra un bien commun de toutes les institutions de notre pays qui sont actives dans la recherche.
Terminons cependant par quelques mots destinés à détendre l'atmosphère: après tout, on est ici pour faire la fête...
Tout d'abord, puisqu'il a été question de compétition, nous sommes heureux de saluer cette année le succès obtenu par le professeur Klaus Scherer: l'Université de Genève accueille grâce à lui et à ses coéquipiers un troisième pôle national de recherche. Après ce que nous venons de dire, il est piquant de noter que ce pôle a pour objet l'étude des émotions humaines.
Ensuite, rappelons qu'il existe dans la langue de tous les jours une tournure qui contient presque à elle seule les éléments évoqués ici. Lorsqu'on parle de «chant des Sirènes», on fait communément allusion à un épisode de l'«Odyssée» qui, sans être dans toutes les mémoires, nous a donné cette idée qu'on peut se sentir attiré par une source de séduction non dépourvue de dangers. En fait, les Sirènes de l'«Odyssée» chantent pour attirer les marins et provoquer leur naufrage. Dans l'épisode auquel on se réfère lorsqu'on utilise cette expression courante, Ulysse veut entendre les Sirènes sans prendre de risques. I! se fait attacher au mât de son bateau pour éviter la tentation de quitter le navire, et l'équipage se bouche les oreilles à la cire pour ne rien entendre. Or, qu'entendra Ulysse? Un chant sur lui-même, un chant à sa propre gloire. Sourire ironique du poète,
comme on l'a noté souvent. «Seigneurs, vous plaît-il d'entendre un beau conte d'amour et de mort?» vous demande-t-on au début du «Tristan» de Bédier. La réponse attendue est «oui», sans doute. Mais: «Voulez-vous entendre un chant à votre propre gloire?» est une question qui présente plus d'attrait encore, et un attrait combien dangereux. Lorsque l'activité de la recherche et les succès qui en découlent vous font tout oublier, c'est peut-être le «moi» qui sert de «chant des Sirènes», ce moi dont la phrase de Tesla ne dit rien, mais qui vibre à travers chacune des syllabes dont la phrase se compose. Ainsi, à travers les siècles, et à son insu, Nikola Tesla commente Homère, et l'on peut dire que c'est la sagesse des nations qui nous met de la sorte en garde contre le fameux «moi haïssable» de Pascal. On peut penser qu'il n'est pas prêt de nous quitter, et qu'il pourrait même, si nous n'y prenons garde, provoquer des dégâts considérables sur les chemins qui mènent au progrès du savoir.