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DISCOURS DE M. LE DR FAVEY

Recteur sortant de charge, professeur de droit pénal.

MESDAMES, MESSIEURS,

Dans l'espace de quatre ans, c'est la quatrième fois que les circonstances vous imposent la fatigue de m'écouter; j'avoue sans réticence que je suis en état de troisième récidive; ne me jugez pas cependant comme un criminel d'habitude, je crois pouvoir promettre en toute sincérité que je ne retomberai plus en faute, aussi bien suis-je une victime des traditions universitaires bien plus qu'un discoureur impénitent et incorrigible.

Si l'usage m'oblige à prendre la parole aujourd'hui, je suis heureux d'autre part de saisir cette occasion pour adresser mes vifs remerciements à tous ceux qui m'ont aidé à supporter la charge quelque peu absorbante du rectorat; à M. le prorecteur Maurer tout d'abord, aux membres de la commission universitaire,

à tous mes collègues et à notre aimable et infatigable secrétaire.

Je tiens aussi à exprimer mes sentiments de gratitude à M. le Chef du Département de l'instruction publique et des Cultes et à son prédécesseur dans ces hautes fonctions. Un changement de ministère ne se produit presque jamais sans quelque appréhension chez les administrés qui se demandent avec crainte et tremblement quelle politique leur nouveau chef va suivre. Dans la circonstance à laquelle je fais allusion, nous n'avons eu aucune anxiété; dans toutes les occasions où nous avons été appelés à vous exposer les desiderata de l'Université, nous avons retrouvé chez vous, M. le Conseiller d'Etat, les mêmes dispositions bienveillantes que votre prédécesseur regretté nous avait témoignées.

Au cours des deux années de mon rectorat, la mort a épargné le personnel enseignant de l'Université, mais elle a frappé dans les rangs de nos amis et anciens collaborateurs.

Nous étions fiers de compter au nombre de nos professeurs honoraires M. Louis Ruchonnet, ancien chef du Département vaudois de l'instruction publique, et nous nous sommes associés au deuil général du pays, en nous souvenant tout particulièrement de l'intérêt que le défunt avait toujours porté aux questions d'enseignement supérieur et des services qu'il a rendus à l'ancienne Académie.

Nous avons perdu M. Louis Dufour, professeur honoraire. Un désir formellement exprimé ne nous

a pas permis de dire, sur la tombe de notre ancien collègue, les regrets de l'Université pour la perte du savant distingué qui avait consacré toutes ses forces à l'Académie, et avait conservé pour nous un inaltérable attachement; on n'en voudra pas à un ancien élève de Louis Dufour de rappeler son souvenir, resté vivant dans la mémoire de tous ceux qui ont eu le privilège de suivre ses leçons.

A ces deux noms, je ne puis m'empêcher d'en associer un troisième, celui du modeste Louis Favrat, ancien professeur extraordinaire.

Des démissions nous ont privé de deux collègues.

M. Lacombe, attaché depuis quelques années seulement à l'Université, nous a quittés ensuite d'un appel flatteur à l'Ecole polytechnique fédérale.

Un départ plus sensible encore a été celui de M. le professeur Walras, qui était des nôtres depuis passé vingt ans, et qui s'est retiré pour motifs de santé. Vous savez tous quels services notre collègue a rendus à la science économique en inaugurant de nouvelles méthodes de recherches; nous sommes heureux de conserver M. Walras comme professeur honoraire, et les regrets que nous éprouvons à nous séparer de lui s'atténuent en voyant confier sa chaire à l'un de ses disciples, que vous applaudirez tout à l'heure.

Mentionnons enfin que M. William Grenier a demandé à être déchargé de ses fonctions de directeur de l'Ecole d'ingénieurs et a été remplacé par M. le professeur Dapples.

Je ne voudrais pas vous fatiguer par l'énumération des diverses questions d'ordre purement administratif

qui ont été discutées et résolues au cours des deux dernières années. Je tiens cependant à rappeler que l'Université, ce qui ne s'était point vu depuis fort longtemps, a été l'objet de diverses libéralités.

M. Sylvius Chavannes nous a légué des souvenirs historiques précieux: la table de travail du général Frédéric-César de la Harpe et l'original du buste de Daniel-Alexandre Chavannes, oeuvre de Clésinger.

Un Français, M. Folloppe. poète à ses heures, qui avait séjourné quelques mois sur les rives de notre lac et avait conservé de notre pays un profond souvenir, a tenu à nous témoigner son attachement en nous léguant le capital d'une rente de cent francs, destinée à décerner chaque année un prix de poésie française.

Enfin, plus récemment, M. le Dr Bornand, ancien élève de la Faculté de médecine, a institué l'Université héritière de toute sa fortune, à charge d'en employer les revenus à développer l'enseignement de certaines branches des sciences médicales.

Nous conserverons précieusement le souvenir de ces bienfaiteurs de notre Université; nous avons été particulièrement touchés par la générosité de cet étranger, inconnu de nous tous; le prix qu'il a fondé conservera son nom, et nous espérons que l'an prochain nous pourrons décerner à un poète vaudois le prix Folloppe.

Quatre années comptent pour peu de chose dans la vie d'une Université. Des résultats obtenus dans

cette période, on petit cependant tirer quelques prévisions pour l'avenir; pour ceux d'entre vous qui n'auraient pas suivi les comptes-rendus annuels, permettez-moi d'ajouter quelques renseignements statistiques.

Dans le dernier semestre de son existence, en été 1889, l'ancienne Académie avait réuni 252 étudiants et auditeurs; dans le premier semestre universitaire, ce chiffre montait immédiatement à 321; dès lors, la progression a continué pour aboutir au semestre d'été 1894 au chiffre de 516.

Mais, si l'on veut se rendre un compte plus exact encore du développement de l'Université, il convient de baser ses calculs, non sur le chiffre total des auditeurs, mais sur celui des étudiants immatriculés. Il arrive que, dans tel semestre, un cours peut attirer un nombre inaccoutumé d'auditeurs, qu'on ne retrouvera jamais; les simples auditeurs constituent une population flottante dont il ne faut pas tenir compte dans un calcul exact. Dans le dernier semestre de l'Académie, le chiffre des étudiants immatriculés était de 231; en juillet dernier, il était de 462; vous voyez qu'il a tout juste doublé.

Les cinq Facultés ont augmenté, mais dans des proportions sensiblement différentes; je comparerai à cet égard le premier et le dernier semestre universitaire.

La Faculté de médecine s'est accrue d'un tiers. de 63 à 100 étudiants; la Faculté de théologie a presque doublé, de 26 à 50; il en est de même de la Faculté des sciences, arrivée de 56 à 104; la Faculté

des lettres, représentée au début par 16 étudiants seulement, en comptait en 1894, 43 soit bien près du triple; la Faculté de droit enfin a exactement triplé, et a vu monter le nombre de ses étudiants de 55 à 165.

Vous le voyez, le tableau est réjouissant; chaque semestre, nous avons pu constater une augmentation. Mais, il ne faut pas se le dissimuler, il paraît difficile que la progression se poursuive d'après la même loi; je dirai même que cela n'est pas désirable: pour certaines facultés, nous rencontrerions de sérieuses difficultés dans l'exiguité des locaux dont nous disposons; nous avons déjà été obligés de transférer certains cours hors des bâtiments universitaires, ce qui ne laisse pas de présenter de réels inconvénients. C'est dire que nous attendons avec impatience le moment où l'on pourra mettre à notre disposition un édifice mieux approprié aux exigences actuelles.

En même temps que le chiffre des étudiants s'augmentait, l'effectif du personnel enseignant s'est accru, dans des proportions plus modestes, il est vrai. En 1889, l'Académie comptait 50 professeurs ordinaires, extraordinaires et agrégés; dans le semestre qui va s'ouvrir, l'enseignement sera donné par 63 professeurs et 18 privat-docents et lecteurs, soit au total 81 personnes.

Vous me demanderez sans doute au prix de quels sacrifices ces résultats ont été obtenus. L'augmentation des dépenses est moins considérable qu'on ne pourrait le croire au premier abord. En 1889,

l'Académie absorbait environ 195000 fr.; l'Université figure aux comptes de 1893 pour 230000 fr. Cette augmentation se rapproche sensiblement du chiffre indiqué dans la discussion de la loi sur l'instruction supérieure, surtout si l'on veut tenir compte du fait que les recettes, soit les finances d'études, ont monté de 40000 fr. en 1889 à 80000 fr. en 1893.

Ces chiffres ont leur éloquence et leur logique; ils nous montrent que le pays n'a pas trop présumé de ses forces en créant une Université. Nous sommes certains que ce pays, qui a pourvu aussi largement qu'il l'a pu sans négliger d'autres besoins, aux exigences de l'enseignement supérieur, consentira, dans l'avenir, aux sacrifices qui deviendront inévitables pour maintenir et développer chez nous la culture des lettres et des sciences.

MESSIEURS LES ÉTUDIANTS,

Je dois, le programme de cette cérémonie le porte, vous présenter mon successeur, M. le professeur Marc Dufour. Mais une présentation officielle est-elle bien nécessaire? Vous connaissez tous le sympathique collègue qui a été appelé aux fonctions de recteur; si, au lieu de confier le choix du recteur au Sénat universitaire, on l'avait fait élire par les étudiants, je suis certain que vos voix unanimes se seraient portées sur le nom de M. Marc Dufour, parce que vous avez en lui la même confiance que nous-mêmes. Je suis assuré que vous tiendrez à lui faciliter sa tâche.

Je disais, il y a deux ans, que la Faculté de droit pouvant réclamer le rectorat, j'avais été élu à l'ancienneté; vous avez été nommé au choix, mon cher collègue, et cet honneur vous était bien dû, car vous êtes l'un de ceux qui ont le plus contribué, dans divers domaines, à la création de l'Université que vous allez diriger. Je me souviens que vous avez reçu dans votre cabinet ces quelques professeurs et futurs professeurs qui, soucieux de l'avenir de l'Académie, discutaient, timidement encore, cette transformation aujourd'hui accomplie, bien avant que le public s'en occupât; nous avons siégé ensemble dans la commission de Rumine, où vous étiez l'un des mieux placés pour nous exposer les intentions du généreux donateur qui fut votre ami. Vos collègues ont tenu à reconnaître les services que vous avez rendus à l'Université en vous imposant la charge du rectorat.

C'est une charge, en effet, que de diriger la marche de l'Université, alors même que cette direction s'exerce dans des conditions ordinaires et normales, et nous vous remercions de l'avoir acceptée. Je suis sûr, néanmoins, que vous éprouverez quelque jouissance, malgré le surcroît de travail qui vous est imposé: satisfaction du devoir accompli tout d'abord, puis l'intérêt que vous aurez à suivre la marche d'un organisme vivant et compliqué, dans lequel il faut veiller à ce qu'un membre, je veux dire une Faculté, ne se développe pas seule au détriment des autres: on comprend alors la solidarité et l'appui mutuel que se prêtent toutes les sciences.

Cette tâche, vos collègues s'efforceront de la rendre moins lourde; et à l'expiration de vos fonctions, vous pourrez dire, comme moi, que vous les abandonnez sans regrets peut-être, mais non sans en avoir retiré profit et jouissance intellectuelle.