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La Faculté de Théologie

de l'Université de Fribourg

• DISCOURS

PRONONCÉ LE 15 NOVEMBRE 1902
A L'OCCASION DE L'INAUGURATION DES COURS
DE L'ANNÉE 1902-1903 PAR
LE R. P. MANDONNET O. P.

RECTEUR DE L'UNIVERSITÉ

FRIBOURG
 (SUISSE)
IMPRIMERIE DE L'OEUVRE DE SAINT-PAUL 1903

MESSiEURS,

Les questions scolaires sont à l'ordre du jour. Elles préoccupent de nombreux et bons esprits, parce qu'elles touchent à de graves intérêts, et que leur objet est des plus délicats et des plus complexes. Elles s'étendent à la nature des différents enseignements, à leurs méthodes, à leur valeur éducative. Elles soulèvent des problèmes presque sans nombre qui vont depuis l'art de dresser l'enfant infirme et anormal jusqu'à la recherche des règles supérieures dont doit s'inspirer l'esprit de critique et de découverte. Ces préoccupations et ces efforts, qui tendent à déterminer des programmes ou à constituer des procédés pédagogiques, sont la conséquence naturelle de la diffusion universelle de l'enseignement et

du développement de plus en plus différencié du savoir humain. La nécessité de satisfaire à la fois. aux exigences pratiques de la vie et aux intérêts de la science pure, rendent urgents une foule de problèmes que les esprits sagaces s'efforcent de résoudre, afin de satisfaire, s'il se peut, aux conditions complexes, souvent irréductibles, créées. de nos jours par l'état général de notre civilisation.

Le monde ecclésiastique, on le comprend sans peine, n'a pu se tenir à l'écart de ce mouvement de préoccupations. Bien que la mission de l'Église soit avant tout d'ordre spirituel et moral, l'efficacité de son action est trop dépendante, dans les temps où nous sommes, de la culture intellectuelle, pour qu'elle n'ait pas porté son attention vers un des plus importants problèmes qui se posent aujourd'hui. C'est sous l'empire de cette préoccupation et dans le sentiment pleinement conscient des besoins nouveaux, qu'elle s'est efforcée de promouvoir les études du clergé et d'établir, à cette fin, des institutions de haut enseignement.

On peut dire que c'est ce sentiment des exigences actuelles, en matière d'études ecclésiastiques, qui a donné naissance à la Faculté de Théologie de l'Université de Fribourg. Après une existence de douze années, il n'est peut-être pas

hors de propos, de faire à haute voix un examen de conscience, pour nous comme pour ceux qui, au dehors, s'intéressent à notre existence, afin de juger dans quelle mesure et sous quelle forme nous avons résolu pratiquement ce que je pourrais appeler le problème de notre destinée.

Ceux d'entre nous qui ont collaboré à nos lois et coutumes, ou ont été mêlés de près aux affaires administratives de notre haute école, n'ont pas pu n'être pas frappés de l'extrême complexité que nécessite l'organisation d'un établissement d'enseignement supérieur. Et cependant, lorsque nous lisons les essais critiques publiés par des spécialistes sur les universités, un des reproches, ou tout au moins, une des constatations que l'on fait parfois entendre, c'est que le régime universitaire, déjà si différencié, ne présente pas encore des facilités de combinaisons suffisantes pour satisfaire à tous les voeux, à toutes les nécessités de certaines formations scientifiques.

C'est donc faire un aveu sans artifice et très peu méritoire aux yeux des personnes renseignées, de reconnaître que notre institution, et la Faculté de Théologie avec elle, a passé par la phase des tâtonnements et de l'adaptation, comme toutes les oeuvres qui naissent et tendent à un état normal. C'est encore énoncer le même principe de déclarer que des perfectionnements et

des améliorations peuvent et doivent être réalisés dans l'organisation et l'activité de notre jeune Université.

La Faculté de Théologie a subi les conditions générales de l'oeuvre commune dont elle est un membre et une fraction. Toutefois, à raison du développement. de sa population scolaire et du but déterminé qu'elle poursuit, elle a pu trouver assez rapidement son assiette, c'est-à-dire une organisation à peu près définitive, et un esprit qui lui est propre, sous réserve, je lé répète, des améliorations dont sont toujours susceptibles des oeuvres de cette nature.

Sans vouloir donc m'appesantir sur une exposition de détails techniques et fastidieux, ce qui serait hors de propos dans cette séance d'inauguration de nos cours annuels, je toucherai cependant quelques points plus essentiels, et par là même plus intéressants, concernant l'organisation et l'esprit qui semblent avoir définitivement prévalu dans notre Faculté de Théologie.

En ce qui concerne l'organisation de. la Faculté, deux questions se posaient avant tout: l'extension à donner à l'objet de l'enseignement, et l'intensité à requérir dans le travail; en d'autres termes, le nombre des disciplines à établir, et le développement à attribuer à chacune d'elles.

Sur le premier point, nous n'avons pas hésité à étendre résolument notre programme à la totalité des sciences ecclésiastiques. .

Un certain nombre de sciences ecclésiastiques ont atteint de notre temps un développement considérable. Elles sont cultivées avec ardeur, même par le monde laïque. Dans cet état de choses, il nous était impossible de laisser hors de nos programmés telle discipline particulière, sous le prétexte spécieux qu'on pouvait la considérer comme étant d'ordre secondaire. Ce sont d'ailleurs des branches, jadis estimées de moindre importance dans nos écoles, qui ont pris, ou tendent à prendre aujourd'hui, une position prépondérante. En outre, une bonne formation pour un jeune clerc requiert que, dans leur ensemble, les sciences qui intéressent, sa carrière et son état

I

aient été mises, au moins une fois, à sa portée, de façon que son initiation scientifique ne soit ni trop tronquée, ni trop fragmentaire. Enfin, les sciences ecclésiastiques ont entre elles des liens de dépendance si étroits qu'elles doivent nécessairement bénéficier les unes des autres quand elles sont heureusement groupées et ordonnées dans un plan général d'études. C'est pourquoi notre Faculté de Théologie a étendu libéralement le champ de son enseignement à toutes les sciences ecclésiastiques.

Nous avons pareillement évité de faire prévaloir notablement certaines parties de notre programme au préjudice des autres.

Une tendance quelque peu exclusiviste se manifeste quelquefois, selon les pays, dans les institutions ecclésiastiques d'enseignement supérieur. Quelques-unes de ces hautes écoles, attachées par goût ou par tradition aux anciens programmes, font porter avant tout leur effort sur l'enseignement de la philosophie et de la théologie systématiques. Les autres disciplines y sont reléguées au second plan ou ne sont pas abordées avec l'esprit, les méthodes et le développement qu'elles comportent de nos jours. Par contre, certaines Facultés de Théologie donnent une place prépondérante aux études, dites modernes, parce qu'elles ont pris de notre temps une extension

considérable et sont ardemment cultivées par un grand nombre de savants; elles réduisent, d'autre part, à la portion congrue, la philosophie et la théologie classiques.

Nous n'avons pas cru, à Fribourg, devoir verser dans l'une ou l'autre de ces alternatives. Nous nous sommes efforcés, au risque de charger un peu nos programmes, de maintenir aux parties anciennes et aux parties nouvelles de la science ecclésiastique la place rationnelle qui leur revient, afin que chaque discipline puisse être étudiée en soi, avec ampleur et profit. En cela, nous avons cru interpréter exactement le sage conseil de Léon XIII : Vetera novis augere, accroître les connaissances anciennes par les connaissances nouvelles.

Voici donc le tableau sommaire des matières qui paraissent à notre programme avec indication du temps qui est consacré à chacune.

Je nommerai tout d'abord la philosophie. Bien que les deux chaires consacrées à cette discipline appartiennent aujourd'hui à la Faculté de philosophie, je dois les mentionner, parce que dans notre programme scolaire l'étude de la philosophie est considérée comme une propédeutique indispensable aux futurs théologiens. Un cours complet de philosophie systématique est réparti entre deux professeurs qui y consacrent ensemble

neuf heures par semaine. L'histoire de la philosophie, complément naturel du cours principal, occupe quatre heures, et trois autres sont affectées aux exercices pratiques consistant en lectures et interprétations de textes de philosophes anciens ou modernes. La durée normale de ce cours est de deux ans. On peut cependant achever le cours principal dans la durée d'une année scolaire; mais alors une partie de l'histoire de la philosophie est sacrifiée.

L'interprétation de l'Écriture Sainte, c'est-à-dire de la Bible, est confiée à deux professeurs, l'un pour l'Ancien Testament, l'autre pour le Nouveau. La durée dè l'enseignement est de deux années et comporte environ quatorze heures par semaine, en y comprenant les cours annexes et les séminaires. Indépendamment d'une étude méthodiques et critique du texte intégral, où l'on utilise toujours les textes originaux, quand on ne les suit pas purement et simplement, les études bibliques embrassent des cours d'herméneutique, d'introduction générale à l'Ancien et au Nouveau Testament, d'introduction spéciale aux livres particuliers, de langue hébraïque, d'archéologie et de géographie bibliques.

Les cours de théologie proprement dite constituent une double série. Le cours supérieur demande l'étude textuelle de la Somme théologique

de saint Thomas d'Aquin. Un professeur enseigne la partie dogmatique, un. autre la partie morale. Le total hebdomadaire des heures est de dix, et la durée du cycle est de quatre années. Un cours de théologie, plus simple et plus bref, est donné par deux autres professeurs, en l'espace de trois ans, à raison de dix heures par semaine.

Des personnes, peu au courant des nécessités pratiques de l'enseignement, pourraient ne pas saisir, au premier abord, la raison d'être et la portée de cette bifurcation dans l'étude de la théologie proprement. dite. Cette division est. basée sur une loi pédagogique fondamentale: l'adaptation de l'enseignement aux aptitudes intellectuelles. des étudiants et aux exigences de leur condition. L'étude de la Somme théologique est indiquée pour ceux de nos candidats dont l'esprit est plus particulièrement ouvert aux questions spéculatives et dont le séjour à l'Universités est moins limité. C'est à cette catégorie qu'appartiennent les. aspirants aux grades académiques. Le second cours s'adresse aux étudiants qui sont portés vers les questions positives, ou dont les années d'études sont parcimonieusement comptées. Ces derniers représentent environ les deux tiers de notre population scolaire.

Cette division de l'enseignement de la théologie proprement dite, nous a paru capitale. Aussi

suis-je surpris, en voyant dans les nombreux Mémoires, élaborés un peu partout pendant ces dernières années touchant la réforme des études ecclésiastiques, que l'on n'ait pas aperçu plus clairement l'importance d'un pareil principe. Il est difficile, en effet, de donner à une collectivité d'individus, même peu nombreuse, une formation intellectuelle appropriée, à moins d'opérer en elle une première sélection. Il est vrai que les sciences positives peuvent être abordées plus aisément par l'ensemble des étudiants, et il serait sinon superflu, du moins excessif, de dédoubler la plupart des matières d'enseignement. La théologie spéculative toutefois présente des difficultés spéciales et exige pour être approfondie des qualités d'esprit qui ne peuvent être celles de tout le monde. C'est pourquoi, disposant de toute notre liberté dans la confection de nos programmes, nous avons créé deux enseignements parallèles de la théologie, destinés à donner satisfaction aux divers intérêts de nos étudiants.

Nous devons rapprocher de la théologie les cours qui en sont comme l'ampliation et les compléments immédiats. Un cours de théologie fondamentale sert d'introduction à la théologie. Celui d'apologétique expose les meilleurs moyens de défense de la vérité chrétienne et de l'enseignement catholique. Des questions qui sont plus

particulièrement à l'ordre du jour sont l'objet d'une étude spéciale. L'ensemble de ces leçons comporte sept heures par semaine. L'histoire de la théologie ou théologie positive fait connaître le développement et le progrès du dogme et des: questions théologiques importantes. Deux heures:. lui sont affectées. Enfin la théologie pastorale, avec ses branches multiples,. prépare à l'exercice du ministère ecclésiastique les étudiants qui achèvent leurs études. Elle sert de transition entre l'enseignement théorique de l'Université et la pratique de la pastoration. Cet enseignement qui comprend un cours de prédication en allemand et en français, et auquel nous pouvons adjoindre ici la liturgie, compte, par semaine, quatorze heures environ.

Le cours de droit canon se donne en deux années, avec un chiffre hebdomadaire de six heures.

L'histoire ecclésiastique comprend un cours. complet et l'étude de quelques questions spéciales, à raison de cinq heures. La patrologie et l'archéologie chrétienne forment le complément naturel de l'histoire ecclésiastique, avec quatre heures par semaine.

La totalité de l'enseignement dont je viens de présenter l'énumération, est donnée par quinze professeurs. Il représente, chaque semaine, près de cent heures de leçons.

Tel est le champ ouvert à l'activité de nos jeunes théologiens. Et cependant, pour être exact, je dois ajouter qu'un certain nombre d'entre eux n'hésitent pas à étendre encore le programme de leurs études en choisissant dans les autres Facultés ceux des cours qui leur fournissent des connaissances supplémentaires à celles qui les intéressent spécialement. Tels, pour ne nommer que les principaux, le cours supérieur d'hébreux et ceux des langues orientales pour les aspirants exégètes, celui de diplomatique et de paléographie pour les futurs historiens, celui de physiologie pour les candidats à la philosophie, ét pour un grand nombre encore celui de la musique sacrée.

Après vous avoir présenté en raccourci, Messieurs, le côté extensif de notre enseignement, je vous dois aussi quelques mots sur ce que j'appellerai son intensivité.

Il ne suffirait pas de multiplier les disciplines et d'introduire de nouvelles branches de savoir dans la constitution d'un programme général d'études, si l'on ne donnait à chacune d'elles le développement régulier qu'elle comporte. Un peu de tout n'est pas une forme véritable de la culture intellectuelle, encore qu'on ne trouve guère autre chose chez beaucoup de. nos contemporains qui se croient instruits. Un peu de tout n'est pas une éducation de l'esprit, c'est un badigeonnage

superficiel et sans valeur. Ce serait donc mal servir les intérêts d'une jeune intelligence que de lui offrir l'occasion de papillonner à travers maintes disciplines, sans la contraindre, ou lui offrir au moins les moyens d'entrer suffisamment en possession de chacune d'elles. Aussi, après avoir donné à nos plans d'études ecclésiastiques l'extension que je vous ai signalée tout à l'heure, n'avons-nous pas hésité à consacrer à chaque matière le nombre d'années et d'heures hebdomadaires que comporte son enseignement.

Je sais que sur ce point les usages varient extrêmement dans les institutions similaires à la nôtre, selon les pays et les préoccupations particulières qui ont pu présider à la réglementation de cette question. Toutefois, nous n'avons pas hésité, en ce qui nous concerne, à maintenir le nombre d'heures scolaires requises pour la tradition de chaque catégorie de leçons. Nous n'entendons pas dire par là qu'un cours, même ainsi compris, épuise la connaissance d'une matière; mais il doit suffire, croyons-nous, à une initiation sérieuse qui permet une première assimilation de l'essentiel de la discipline et donne un sentiment net de sa méthode; de telle sorte qu'un esprit ainsi, équipé peut marcher par ses propres forces et se perfectionner avec les ressources de son initiative personnelle.

On pourrait objecter qu'un développement des matières scolaires ainsi conçu demande un effort considérable de la part d'une jeune intelligence, et que ce labeur peut aboutir, en fin de compte, à un surmenage qui compromet le but poursuivi. Je ne le pense pas.

Nos programmes, pour être effectués, demandent une moyenne ordinaire de vingt-cinq heures de cours environ par semaine. La plupart de nos théologiens fournissent ce chiffre sans inconvénients, et même le dépassent, dès que leur santé est normale. Les étudiants des autres Facultés ne peuvent guère se soustraire à des conditions analogues, dès qu'ils veulent épuiser leurs programmes respectifs. Je crois d'ailleurs que c'est encore, en beaucoup d'endroits, une des lacunes notables de l'enseignement supérieur ecclésiastique que la trop grande réduction des heures de leçons.

Qu'on le veuille ou non, la formation intellectuelle d'un homme demande de grands efforts. Toute la sagacité des maîtres en pédagogie ne peut pas faire que la matière des programmes soit parcourue et assimilée sans un travail intense. On a raison, incontestablement, de chercher à soumettre la vie scolaire du jeûne homme à la loi du moindre effort, mais, même après avoir rectifié les pentes, écarté les obstacles et atténué les frottements,

le moteur indispensable de la formation intellectuelle c'est, aujourd'hui comme hier, la laboriosité, intense et opiniâtre. Ce problème est conditionné par l'extrême développement pris par les connaissances humaines et les exigences de notre milieu social, et il nous est presque impossible d'y échapper. D'ailleurs, si quelque chose peut atténuer les difficultés de la formation intellectuelle de l'étudiant, c'est que le professeur prenne à son compte une grande partie de l'effort. Mais ce résultat ne peut s'obtenir que par des leçons assez multipliées qui font entrer rapidement et sans hésitation l'auditeur dans l'intelligence nette et positive des sujets ou problèmes qu'il doit aborder.

Nous n'avons donc pas cru devoir éviter de soumettre nos théologiens à un régime intensif de travail. L'entraînement produit par la vie scolaire universitaire en atténue d'ailleurs le côté pénible et fatigant.

Je rapprocherai encore de cette question de l'intensité de I'étude, l'établissement des séminaires et les conditions requises pour l'obtention des grades théologiques.

Les séminaires, ou exercices pratiques, annexés aux cours proprement dits, sont une institution de plus en plus commune dans les écoles de hautes études bien organisées. Ils sont destinés

à permettre aux étudiants qui veulent, plus tard, poursuivre une carrière scientifique où se livrer à des travaux personnels, de s'initier à l'art de travailler, conformément aux règles d'une bonne méthode. Le cours ordinaire permet à l'auditeur d'acquérir des connaissances plus ou moins nombreuses, d'entrer en possession de résultats scientifiques, mais il ne peut prétendre faire connaître les moyens de se livrer à la recherche et de l'utiliser. C'est le practicum qui subvient à ce besoin. Sous la direction du maître, un nombre d'étudiants, ordinairement restreint, s'initie aux côtés techniques et, en quelque sorte, professionnels d'une discipline. Des essais de travaux mettent l'élève en présence des problèmes et des difficultés pratiques, et grâce aux directions du professeur, à ses corrections et à ses critiques, auxquelles s'ajoutent, en certains cas, celles des condisciples, l'apprenti intellectuel entre plus rapidement et plus sûrement en possession de l'art, toujours difficile, de produire dans de bonnes conditions.

Nos séminaires de sciences ecclésiastiques sont assez bien fréquentés, étant donné que, par destination, ils ne visent qu'un petit nombre d'étudiants.

Un des bénéfices des séminaires trouve son application immédiate lors de la préparation du doctorat en théologie. Un étudiant qui a fréquenté,

pendant quelques années, le séminaire annexe à la discipline qui doit lui fournir le sujet de sa thèse de doctorat, est déjà notablement préparé à cette entreprise. Nous exigeons, en effet, de nos candidats au grade de docteur, la composition d'un travail écrit, qui affrontera la critique du public, puisqu'il doit être imprimé. Bien que la matière de l'examen oral et cet examen lui-même, dont la durée est de sept heures, constituent déjà des garanties peu communes de travail et de compétence, nous avons particulièrement tenu à l'épreuve écrite et à sa publication, parce qu'elle. exige une initiation du candidat à l'art de la recherche scientifique et est, en outre, un témoignage tangible, de sa capacité. La suspicion et la malignité peuvent toujours révoquer en doute la valeur ou l'importance de titres auxquels ne sont pas annexées les pièces justificatives. Nous n'avons pas voulu que le doctorat délivré par notre Faculté pût être l'objet d'injustes soupçons.

Telle est donc, prise dans ses grandes lignes, l'organisation de notre Faculté de Théologie.

Après avoir délimité le champ de notre activité intellectuelle et signalé l'effort requis pour sa mise en production, je vous dois, Messieurs, quelques mots sur l'esprit dont s'inspire notre enseignement lui-même.

L'esprit d'une Faculté de Théologie catholique nous a paru résulter aujourd'hui de l'existence de deux grands facteurs; facteurs subordonnés, sans doute, mais dont on ne pourrait méconnaître l'existence et les droits simultanés. sans compromettre le but final, je veux dire la formation du jeune clergé qui nous est confié.. D'un côté, nous devons travailler en union avec l'Église catholique, et de l'autre, nous devons donner satisfaction aux justes exigences de notre temps.

Il n'est pas de Faculté de Théologie catholique qui n'ait la prétention de conformer son enseignement à l'enseignement officiel de l'Église. Elle perdrait, sans cela, jusqu'à sa raison d'être, et son nom même serait une contradiction. Mais en dehors du symbole de foi qui constitue la croyance de, l'Église catholique et de ses membres, les sciences ecclésiastiques s'étendent à un domaine très vaste où les opinions et les vues

II

personnelles peuvent se donner libre carrière. Non seulement dans les disciplines et les questions situées aux confins de la théologie, mais jusque dans la théologie elle-même, il y a place pour des sentiments individuels, pour des conceptions systématiques diverses.

Il n'était donc pas indifférent de se demander quelle direction d'enseignement, particulièrement en théologie, répondait le mieux aux voeux de l'Église catholique. La solution de ce problème n'était pas laborieuse. Le Pontife glorieusement régnant, à la suite d'un grand nombre de ses prédécesseurs, mais incontestablement plus qu'aucun autre, avait daigné tracer lui-même, avec une fermeté magistrale, le programme théologique que devaient réaliser les écoles ecclésiastiques. Non content d'avoir lancé dans l'Église le solennel manifeste qu'était l'encyclique Aeterni Patris, Léon XIII n'a cessé, à chaque occasion, de renouveler l'expression de la ferme volonté où il était de voir l'étude de la théologie entrer résolument dans la carrière doctrinale tracée par le génie de saint Thomas d'Aquin. Le doute ne nous était donc pas permis à cet égard. Il l'était d'autant moins dirai-je, que la présence même des maîtres qui devaient fournir l'enseignement de la théologie dans notre Faculté était la conséquence de la volonté pontificale. ' '

Je pourrais donc, à la rigueur, passer outre, et ne pas tenter une justification en apparence superflue. Toutefois, la question de l'acceptation de la Somme théologique de saint Thomas, comme texte classique du cours supérieur de théologie, et l'enseignement fondamental de ces mêmes doctrines dans le cours abrégé, appellent quelques considérations que je ne veux point omettre, parce qu'elles sont la justification, moins de notre point de vue, que des directions pontificales.

Des esprits se sont rencontrés, hors des cercles catholiques, mais aussi quelquefois parmi nous, qui ont paru ne pas comprendre la pensée pontificale dans cette restauration des études théologiques selon l'esprit de saint Thomas d'Aquin. Cet étonnement peut provenir de ce que l'on méconnaît soit l'oeuvre intellectuelle de ce grand Docteur, soit le point de vue auquel doit se placer le Souverain Pontife dans ses directions doctrinales.

Ce n'est pas ici le lieu d'esquisser, même à grands. traits, les caractéristiques de la pensée de saint Thomas. Ceux qui connaissent l'histoire de la théologie catholique savent qu'il est moins le théologien que la théologie elle-même. Il n'a, ni avant ni après lui, ni parmi ses contemporains, un rival qui l'égale. Ce n'est pas seulement la

vue et l'étude de son oeuvre qui démontre sa force et sa grandeur, c'est aussi et surtout l'étude comparée de sa doctrine avec celle des autres grands théologiens qui fait le plus sentir sa suprématie. Il n'a pas de maître dans la puissance de coordonner l'ensemble du domaine théologique, de synthétiser les questions et les principes, d'analyser les détails, en demeurant toujours constant avec lui-même. Il a le sens souverain des exigences de la foi et de la raison humaine. Il est le génie de la mesure et de la modération dans le choix et la solution du problème. Sa langue est un modèle de clarté, de brièveté et de précision. A tous ces titres, il est, par excellence, un auteur classique.

On comprend dès lors l'intérêt et le profit qu'il peut y avoir pour la formation théologique d'un esprit de fréquenter un tel maître. C'est un précepte vulgaire, qu'il faut s'abstenir du médiocre pour aller au meilleur dans l'acquisition de la science ou de l'art. Il ne peut pas en être autrement dans l'étude de la théologie. Et ici, si quelque chose pouvait arrêter, ce serait seulement la grandeur et la difficulté de l'entreprise; car, je le reconnais. sans peine, il est problématique d'aborder l'étude approfondie de saint Thomas sans être doué d'une bonne intelligence et d'un initiateur compétent. Mais, nous avons trouvé le

moyen, pour un grand nombre de nos théologiens, de conserver la tradition de la doctrine en la dégageant des difficultés les plus abstruses, dans des cours sommaires et faciles à aborder.

Ce n'est donc pas par une préoccupation artificielle ou arbitraire que l'autorité pontificale a orienté les études théologiques vers saint Thomas; c'est parce qu'il est un maître éminent, et que, dans la nécessité de choisir un guide sûr et qualifié, on n'en pouvait trouver de meilleur.

Mais, me dira-t-on, était-il nécessaire, ou même utile, de donner à l'enseignement de la théologie une direction si déterminée, pour ne pas dire exclusive? Je le pense, et nous touchons avec cette question aux motifs qui ont inspiré les directions pontificales.

L'Église a la responsabilité de la formation théologique des clercs qui doivent se dévouer à l'oeuvre qu'elle accomplit en ce monde. Elle ne peut, en conséquence, se désintéresser de leur culture intellectuelle, puisque d'elle dépendent la forme de leur propre activité et les tendances générales qui se manifestent dans le monde ecclésiastique. L'Église, en confiant à son corps enseignant une mission doctrinale, peut difficilement s'abstenir de lui donner des instructions. Elle est dans l'alternative, ou de désigner une doctrine classique que les siècles ont mise à l'épreuve et

qui s'est identifiée plus qu'aucune autre avec son enseignement officiel, ou de laisser aux simples particuliers qui assument la charge de professer le soin de former la jeunesse ecclésiastique selon leurs idées ou leurs inclinations personnelles. D'un côté, l'Église a toutes les garanties, et de l'autre, elle en a infiniment peu. Ce ne serait donc qu'en perdant de vue la notion élémentaire des choses, c'est-à-dire la constitution de l'Église, que l'on pourrait vouloir que l'autorité ecclésiastique supérieure se désintéressât d'un problème pour elle essentiel. A ses yeux, la jeunesse ecclésiastique ne doit pas être considérée comme un champ d'expériences théologiques, où chaque particulier peut se livrer à l'épreuve ou à la culture de ses théories personnelles.

Sans doute, c'est une tentation bien compréhensible pour un maître qui a acquis ses vues ou ses idées, d'en faire l'objet de son enseignement théologique. L'amour-propre, le soin de sa réputation, et aussi, je le crois, des convictions sincères, peuvent faire oublier à quelques théologiens qu'ils ont une autre mission que celle d'enflammer un jeune auditoire, de se faire admirer et applaudir de leurs disciples. Il ne faut ni des titres scientifiques exceptionnels, ni un talent oratoire de premier ordre pour circonvenir et maîtriser des intelligences de vingt ans. Par contre,

il est plus méritoire et plus utile de s'effacer soi-même et de concentrer ses efforts sur une tâche modeste, sans courir les, risques de substituer des idées problématiques à un enseignement déjà éprouvé.

Est-ce à dire, pour cela, que l'on veuille imposer de force aux esprits des convictions qui doivent y prendre place librement et par leur seule valeur scientifique? En aucune façon. Je ne crois pas que l'on ait nulle part un respect plus réel pour de jeunes intelligences que celui que nous nous honorons de professer ici. Nous sommes disposés à entendre tous les avis, à satisfaire de notre mieux aux préoccupations et aux aspirations les plus diverses, et finalement laisser chacun suivre sa voie.

Ainsi donc le choix des doctrines thomistes par l'autorité pontificale comme moyen de formation théologique est tout autre chose qu'un impératif destiné à violenter les esprits; il est un acte prudentiel dont le but est de sauvegarder les intérêts de la science théologique et de protéger les jeunes clercs contre l'arbitraire ou l'incapacité individuelle.

J'avoue donc né pas comprendre, en présence de la conduite du Souverain Pontife, l'impatience de quelques hommes d'église qui paraissent croire qu'il leur est désormais retiré toute liberté de

penser. L'Eglise, et j'ajouterai, les thômistes eux-mêmes ne demandent pas mieux que l'on dépasse saint Thomas d'Aquin. Malheureusement, depuis six siècles et demi, on attend vainement. une oeuvre qui puisse se substituer à la Somme théologique.

Et en vérité, si quelque chose pouvait confirmer le Saint-Siège et les hommes réfléchis qui le suivent dans ses directions, c'est bien ce que j'appellerai l'histoire de l'individualisme philosophico-théologique des catholiques pendant le siècle qui vient de finir. On peut compter au moins une demi-douzaine d'entreprises plus ou moins célèbres par lesquelles des hommes de valeur ont tenté de trouver une nouvelle base à la philosophie ou à la théologie catholique. A quoi ont abouti ces efforts? A une agitation passagère, à quelques remous limités et peu durables dans le courant général de la pensée catholique, puis tout est rentré dans l'ordre et a été oublié. Ces tentatives privées, on doit bien le reconnaître, ont été stériles, et elles demeurent désormais comme de simples curiosités historiques. Personne aujourd'hui ne voudrait les restaurer pour son compte personnel et les donner comme l'expression de sa propre pensée.

C'est même le sentiment de l'inanité de semblables entreprises qui a ramené progressivement

de bons esprits vers l'enseignement traditionnel de l'Église, et le mouvement qui a abouti à l'encyclique Aeterni Patris n'est pas venu de l'autorité pontificale, mais bien de l'opinion de penseurs ou de théologiens, qui ont reconnu que l'on faisait fausse route. Léon XIII n'a fait que confirmer une tendance devenue de plus en plus prépondérante et rétablir un état de choses correspondant aux véritables intérêts de l'Église.

A côté de notre préoccupation de suivre fidèlement les directions théologiques du Saint-Siège, est venue se placer celle de donner une légitime satisfaction aux exigences du progrès scientifique contemporain.

Tandis que les domaines de la philosophie et de la théologie sont clos sur bien des points, l'esprit humain ayant épuisé à-peu de choses près les diverses possibilités d'envisager certains problèmes, les sciences positives ecclésiastiques ont pris un énorme développement, suivant en cela le mouvement général de la culture contemporaine.

J'ai dit déjà quelle juste satisfaction nous avions donné aux tendances actuelles, en étendant jusqu'à ses extrêmes limites notre programme d'études, et en consacrant à chaque cours le temps nécessaire à l'étude intégrale, de son objet. Je dois ajouter quelques mots pour indiquer dans quel esprit ces disciplines sont abordées. Qu'il

s'agisse de sciences scripturaires ou de sciences historiques, je crois que la pensée dominante des professeurs est de les traiter à la fois avec sincérité et prudence.

Etre sincère dans l'étude dune science positive, c'est tout d'abord être muni des instruments. nécessaires pour en pénétrer l'intelligence. La connaissance des langues, des textes originaux,. des règles de la critique, de la littérature du sujet, tel est le point de départ de tout travail fécond, parce qu'il est renseigné. A cet équipement, il faut joindre le désir et l'amour de la vérité, l'absence de parti-pris et de préjugé. En bien des points, spécialement dans le domaine de la critique biblique, l'on n'aboutit qu'à des probabilités et à des vraisemblances. Il serait messéant de pousser les conclusions au delà de ce que comporte la solution possible du problème, de même qu'il serait répréhensible d'éluder les difficultés, dût-on, en certains cas, n'aboutir qu'à se tenir sur la réserve et laisser ouvert un problème posé.

Les progrès des recherches exégétiques et historiques impliquent aujourd'hui des changements de point de vue ou des diversités de solutions dans un plus ou moins grand nombre de problèmes. Il n'est pas admissible, qu'au nom d'un conservatisme mal compris, on prétende arrêter toute modification dans des sciences essentiellement

progressives. Mais ici, et plus qu'ailleurs, le tact et la prudence sont requis pour ne pas glisser sur un terrain difficile et accidenté. Le texte des livres sacrés, en particulier, ne peut être traité comme un simple texte historique. Son existence est liée à la vie doctrinale de l'Église, et il importe de ne pas perdre de vue les conséquences des théories que l'on adopte.

Quelques savants catholiques, fort respectables d'ailleurs, me semblent avoir insisté plus que de raison peut-être sur le principe de liberté et d'autonomie dont nous sommes en possession. Il est bien vrai que sur la plus grande partie, disons la presque totalité du savoir humain, il n'y a pas de conflit possible entre la recherche scientifique et la foi religieuse. Nous croyons, et avec raison, qu'aux points de contact entre les deux ordres il n'a pas été démontré qu'une conception scientifique ait exclu effectivement une vérité religieuse, car on désigne quelquefois de ce nom une opinion régnante dont la science ou l'Église ne se sont jamais potées garantes. Cependant le dépôt de la révélation et la foi catholique emportent un certain nombre de vérités qui compénètrent le domaine rationnel, et il serait inexact de donner à entendre qu'un catholique sincère n'a pas à en tenir compte dans ses recherches et ses investigations.

Je pense, du reste, que ces théories à perte de vue sur la liberté scientifique sont assez stériles. Les lieux communs ne valent pas l'élucidation positive d'un problème modeste, auquel on consacre ses efforts, que l'on éclaire mieux et que l'on résout quelquefois. Aussi les professeurs, qui dans notre Faculté s'adonnent plus spécialement aux sciences critiques et historiques, se sont-ils davantage préoccupés dans leur enseignement et leurs travaux personnels de fournir des contributions positives et judicieuses à leur discipline, que d'élucider des questions théoriques ou tout le monde couche sur ses positions. Les jugements flatteurs dont divers travaux de notre Faculté ont été l'objet de la part de juges compétents, souvent même étrangers à nos croyances, sont la garantie que nous nous sommes engagés dans un assez bon chemin.

Telle est, Messieurs, dans ses lignes prédominantes la physionomie de notre Faculté de Théologie. Nous n'avons pas la faiblesse de croire qu'il ne nous reste rien à faire. Les oeuvres vivantes sont toujours soumises à la loi du mouvement et du progrès et nul, plus que nous, n'est disposé à s'y rallier et à s'y soumettre.

Dans notre courte existence de douze années, des éloges et des critiques nous sont venus des points les plus divers. Nous avons tempéré les

uns par les autres. Le succès ne nous a pas rendu vains, les attaques ne nous ont pas ébranlés. II est curieux toutefois d'observer que l'on ait pu porter à notre sujet les jugements les plus contradictoires. On a affecté tour à tour de voir en nous, et des revenants d'un autre âge, et des hommes d'un modernisme intellectuel outré. Semblables, jugements étaient souvent destinés à nous desservir selon le public, spécial auquel on les adressait. Il se pourrait, en fin de compte, que nous fussions simplement des gens sensés, qui s'efforcent d'avoir, sur le terrain scolaire, de la raison et de la mesure. Car, Messieurs, ai-je besoin de vous le dire? nous ne sommes, du moins nous ne voulons être, ni des retardataires obstinés, ni des novateurs dangereux. Nous sommes de modestes hommes d'Église qui servons de notre mieux la cause catholique par une saine et solide éducation du clergé. Nous n'avons ni le mépris du passé, ni le mépris du présent, mais le culte, de la vérité et de la justice, sachant que le Christ est le Roi des siècles. C'est pourquoi, dans la persuasion que l'Évangile, dont nous sommes les disciples, est écrit sur des pages éternelles, nous nous appliquons à les éclairer de notre mieux pour aider les hommes de notre temps à les regarder, à les entendre et à les vivre. ,