DIES ACADEMICUS 1987
24 octobre 1987
LIBRAIRIE PAYOT
LIBRAIRIE DE L'UNIVERSITÉ
LAUSANNE 1988
DISCOURS DE MONSIEUR
ANDRÉ DELESSERT,
RECTEUR SORTANT DE CHARGE
Mesdames et Messieurs,
Le présent Dies academicus comporte un détail symbolique: la
chaîne rectorale change d'épaules. N'ayons pas peur des mots:
nous assistons à une cérémonie de «transcaténation». Cette chaîne
symbolise à la fois la charge du recteur et la permanence de
l'institution. Et c'est pour souligner encore cette continuité que le
recteur sortant de charge apparaît aux côtés du recteur authentique.
Et non pas, comme le supposent certains, pour exhiber un ci-devant
recteur déchu, en larmes, tout chagrin d'être privé de sa
marotte. Ni, comme le voudraient d'autres, pour lui donner l'occasion
d'adresser à son successeur des voeux chargés de cette
cordialité perfide et acidulée qui fait le charme des discours
académiques.
Je serais d'ailleurs bien embarrasé, Monsieur le recteur, de vous
adresser des souhaits ou des conseils originaux. Durant quatre ans
et plus, nous avons vécu quasiment heure par heure tous les
incidents de la vie universitaire. Nous y étions encouragés par la
complicité affectueuse et la confiance amicale qui animèrent constamment
notre équipe. C'est l'occasion de remercier le vice-recteur
Emile Gautier de la part énorme qui fut la sienne dans cette
entreprise et d'évoquer la lumineuse personnalité du vice-recteur
Georges Leresche. Il nous a quitté physiquement en cours de route,
mais sa sensibilité intellectuelle et sa générosité exigeante nous ont
accompagnés sans interruption. Ensemble, nous avons essayé de
faire du 450e anniversaire de notre Haute Ecole le témoignage
d'une mutation. Toutes les institutions de notre pays sont appelées
aujourd'hui à répondre à des interpellations souvent angoissantes.
L'Université n'y échappe pas. D'autant moins qu'elle s'éloigne
chaque jour de la petite académie régionale dont elle est issue. Les
transformations qu'elle subit se manifestent aussi bien hors d'elle
qu'à l'intérieur. Le Rectorat doit y être attentif. Son rôle consiste le
plus souvent à harmoniser les initiatives académiques, même les
moins graves, avec les exigences d'une Haute Ecole ouverte aux
besoins de ce temps.
Nous nous y sommes employés de concert, conduisant ensemble
une réflexion approfondie sur la destinée de notre Université et sur
le rôle des autorités académiques. Cette connivence m'empêche de
vous offrir en viatique, Monsieur le recteur, les maximes que peut
inspirer l'exercice du Rectorat. Vous les connaissez aussi bien que
moi. Je le regrette un peu, car j'aurais aimé évoquer quelques-unes
des servitudes de votre métier.
Ainsi, j'aurais pu vous annoncer, Messieurs les vice-recteurs,
que vous allez trouver des compétences académiques dans les
endroits les plus inattendus. Car, par une sorte de miracle, ce sont
les personnes les plus éloignées de l'Université qui détiennent les
idées les plus précises sur ce qu'il faudrait y faire. Vous devrez
savoir — et j'imagine que vous le savez déjà — écouter avec
componction les conseils péremptoires de personnages qui les
tiennent d'un fils de leurs amis ou d'une petite nièce fraîchement
éconduite de ses examens propédeutiques.
A l'Université même, vous découvrirez qu'on attend de vous
des exploits qui ravalent Hercule et Josué au rang d'amateurs
besogneux. Mais simultanément, vous constaterez que, durant la
nuit du 31 août au 1er septembre, vous avez perdu toutes vos
compétences professorales. On vous expliquera tout au long ce
qu'est un séminaire, un assistant ou un examen, choses étranges
dont vous n'avez plus la moindre idée.
Mais cela n'est rien à côté de votre fonction mystique qui
consiste à donner votre nom et votre visage à tout ce qui grince à
l'Université. Un malaise dans un institut: c'est la faute au Rectorat.
Une difficulté à remplacer un assistant, l'horaire des bus,
l'éloignement des places de stationnement, c'est encore la faute au
Rectorat. Semblables au «bouc pour Azazé», vous chargerez
toutes ces turpitudes sur vos larges épaules. Et vous aurez la
satisfaction d'être entourés de collaborateurs, d'étudiants et
d'enseignants dilatés par le bonheur innocent de vivre à Dorigny
ou au Bugnon, où coulent à flot le lait et le miel de la connaissance.
Vous aurez, Monsieur le recteur, Messieurs les vice-recteurs, à
parler au nom de l'Université, c'est-à-dire d'une institution vouée
à l'une des plus hautes vertus qui soit: l'honnêteté intellectuelle,
qui comporte la persévérance à chercher la vérité, l'enthousiasme à
la transmettre, le cas échéant le courage de reconnaître qu'on
l'ignore. Pascal nous a enseigné qu'il était impossible d'être
honnête, aimable et heureux tout ensemble. Pour l'honnêteté, il
n'y a pas à transiger. Il vous restera donc, mes chers Collègues, à
négocier la part de bonheur que vous êtes disposés à sacrifier pour
être aimés.