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DIES ACADEMICUS 1987

24 octobre 1987
LIBRAIRIE PAYOT
LIBRAIRIE DE L'UNIVERSITÉ
LAUSANNE 1988

DISCOURS DE MONSIEUR

PIERRE DUCREY,

RECTEUR DE L'UNIVERSITÉ

Je commencerai par rendre hommage au recteur sortant de charge, le professeur André Delessert. M. Delessert a dirigé notre maison avec distinction et fermeté, appliquant aux personnes et aux choses la rigueur inébranlable que lui donne son esprit de logicien. Ce mathématicien, empreint d'une courtoise réserve, se caractérise par un sens de l'humour sans pareil et une culture impressionnante. Anthropologue et ethnologue passionné par l'Afrique noire, il se sent à l'aise dans des domaines aussi distants que la littérature grecque, la sculpture ou l'iconographie. M. Delessert s'est rendu célèbre par ses discours rectoraux. On peut dire qu'il a hissé ce genre académique sévère à des hauteurs inégalables et inatteignables. Autant dire que je ne tenterai en aucune manière de rivaliser avec lui aujourd'hui. Toute ressemblance entre le présent discours et un discours rectoral de M. Delessert serait donc purement fortuite.

Le professeur Emile Gautier, mon collègue durant quatre ans au poste de vice-recteur, fut et reste marqué par son origine patricienne genevoise. Il en conserve une pointe d'accent et son élégance raffinée. Il regrettera sans doute le rectorat, dans la mesure où la fin de son mandat ne lui permettra plus de descendre du CHUV à Dorigny en bicyclette — et surtout de remonter à l'aide du même moyen de transport de Dorigny jusqu'au sommet de la ville. Maître des bâtiments, et notamment de la difficile organisation interne du BFSH 2, ce pédiatre a su allier une exquise gentillesse à beaucoup de fermeté et à un sens aigu de l'organisation.

La préparation et les premiers mois de la période rectorale qui s'est achevée le 31 août dernier ont bénéficié de la présence du vice-recteur Georges Leresche, mort à la tâche. M. Delessert a dit

mieux que je ne saurais le faire la dette de l'Université envers cet homme fin, sensible et perspicace.

Mesdames, Messieurs,

Une page se tourne. Le 450e anniversaire touche à son terme. La fête sera bientôt finie. L'heure est au bilan. Non pas un bilan portant sur les 450 années écoulées, rassurez-vous, mais un bilan sur le 450e lui-même et sa célébration. Après ce coup d'oeil sur le passé immédiat, je parlerai de l'avenir.

Le 450e anniversaire: tradition et changements

L'Université a cherché, en cette année d'anniversaire, à affirmer ses traditions et à marquer la continuité. Le signe le plus visible de ce souhait est la réapparition, le 18 juin déjà, de la toge académique, portée dans presque toutes les universités de Suisse à l'occasion des célébrations solennelles, mais oubliée à Lausanne. Nous avons voulu renouer avec un usage qui permet d'apporter quelque couleur à nos cérémonies. Le défilé des recteurs des universités amies, dans les rues de la cité, le 18 juin, puis leur assemblée chatoyante dans la cathédrale a sans doute contribué à l'éclat de la journée. Comme vous pouvez le constater, nous avons maintenu aujourd'hui le port de la toge, au moins pour le président du Sénat, les recteurs des universités invitées, les membres du Conseil des doyens et les membres du Rectorat.

Tradition encore que le lieu où nous siégeons. Certes, la Grange de Dorigny offre un cadre qui contraste avec l'austère beauté de la Cathédrale. Et pourtant, même si les poutres originales de la charpente sont bien cachées par les renforts modernes qui servent à les consolider, elles sont là pour nous rappeler que le bâtiment est fort ancien et qu'il se situe dans un esprit campagnard vaudois profondément enraciné.

Salut traditionnel et amical encore que les drapeaux des communes sur le territoire desquelles se dresse l'Université aujourd'hui, Ecublens, Chavannes, Saint-Sulpice, sans oublier Lausanne, ni, bien sûr, le drapeau vaudois.

Tradition et symbole enfin que cet anniversaire. Voici 450 ans, les Bernois créaient une école de pasteurs à Lausanne. 450 ans plus tard, quel changement! Par un concours de circonstance étonnant, l'anniversaire coïncide avec l'inauguration du plus grand des bâtiments universitaires de Dorigny, le second bâtiment des Facultés de sciences humaines, qui compte 17000 mètres carrés utiles, regroupe plus de 2000 étudiants et contient beaucoup de technologie de pointe.

Du repli à l'ouverture

Dans l'esprit des dirigeants de l'Université, le 450e anniversaire devait être plus qu'une fin en soi. Car le chiffre de 450 en lui-même ne signifie pas grand chose. En revanche, ce double prétexte, l'anniversaire et cette étape décisive du transfert à Dorigny ont permis à l'Université de lancer une vaste opération de communication. Jamais l'Université n'avait déployé autant d'efforts pour se faire connaître. Elle a organisé une exposition historique, un colloque scientifique, elle était présente avec un stand à la Mustermesse de Bâle, au premier salon international du livre de Genève, enfin au Comptoir suisse avec, notons-le en passant, une expérience sur la supraconductivité.

Rompant avec une tradition de réserve, si ce n'est de repli sur elle-même, la voici donc se lançant dans une campagne de promotion tous azimuts, 450e oblige, mais aussi transfert à Dorigny. On retrouve ici les deux facteurs qui ont déterminé l'action du Rectorat ces derniers mois. A l'heure où l'Université quitte la ville, il est normal qu'elle cherche à lutter contre un certain isolement. Il faut dire que la presse locale et suisse a magnifiquement soutenu notre opération d'ouverture: les quatre grands journaux lausannois ont publié des pages, voire des cahiers entiers sur l'Université. La

Télévision romande a retransmis en direct la cérémonie de la cathédrale. Je tiens à remercier ici l'ensemble des médias de leur contribution à nos efforts.

En outre, nous avons publié quinze monographies et un gros catalogue, véritable somme historique largement illustrée (le catalogue ne pèse pas moins de 2 kilos). Le record des mentions, nationales et internationales, est évidemment revenu à la quinzième des monographies du 450e anniversaire, celle qui contient les documents relatifs au doctorat honoris causa décerné par notre Université en 1937 à Benito Mussolini.

L'un des supports les plus efficaces pour notre opération de relations publiques fut, aussi paradoxal que cela puisse paraître, notre campagne de récolte de fonds. Notre but était ambitieux au départ, puisque nous comptions réunir 10 à 12 millions de francs en une année. L'expérience a montré qu'il faudra plus de temps pour qu'en Suisse des entreprises et des particuliers acceptent aujourd'hui de donner 10 millions à une université. Il en va tout autrement aux Etats-Unis où, en ce moment même, l'Université de Californie, à Berkeley, cherche à récolter un milliard de dollars. Il n'en reste pas moins que l'exercice a été riche de leçons. Des représentants de l'Université sont allés parler de la Haute Ecole dans les assemblées de districts, dans les milieux professionnels, industriels, patronaux, aux assemblées générales annuelles d'une quantité d'associations les plus diverses. La récolte de fonds avait un but précis, celui de soutenir la recherche scientifique et de favoriser la relève universitaire. Mais elle servit aussi de prétexte pour parler et faire parler de l'Université, pour exposer ses problèmes, ses ambitions, ses besoins. En ce sens, même si nous n'avons pas encore atteint le montant de dix millions de francs, l'un de nos objectifs est pleinement atteint.

Le succès de notre opération doit beaucoup au soutien constant et sympathique des autorités politiques, du Conseil d'Etat, tout d'abord, et du chef du Département de l'instruction publique, en particulier, du président, du bureau et des membres du Comité de récolte de fonds, des collaborateurs du Rectorat, des préfets, des syndics, des députés, des chefs d'entreprises, des citoyens, de la

presse. Tous se sont engagés à nos côtés avec enthousiasme et détermination. C'est un plaisir pour moi que de leur exprimer ici notre gratitude. Mais notre reconnaissance va avant tout, et c'est bien normal, aux donateurs, qui nous ont fait des dons souvent généreux et parfois émouvants. La Fondation du 450e anniversaire ne clôt pas son action aujourd'hui. La récolte de fonds se poursuit et se poursuivra dans les jours et les mois qui viennent.

Si donc notre 450e anniversaire a rencontré un écho certain à Lausanne, dans le canton de Vaud et même au-delà, et s'il a contribué à faire connaître et rayonner l'Université, il convient de se demander maintenant où en est notre Haute Ecole et où elle va.

Le grand défi du transfert à Dorigny

L'inauguration solennelle, le 9 septembre 1987, par le conseiller fédéral Flavio Cotti, du second bâtiment des Facultés des sciences humaines, est beaucoup plus qu'un épisode dans la lente migration de l'Université. Avec l'ouverture de ce bâtiment, c'est le centre de gravité de l'Université tout entière qui a basculé à Dorigny. En effet, pour la première fois de leur histoire, les cinq facultés de sciences humaines, théologie, droit, lettres, sciences sociales et politiques, enfin l'Ecole des hautes études commerciales, sont regroupées dans deux bâtiments contigus. Personne encore ne peut mesurer toutes les conséquences de ce rapprochement spectaculaire. Les chiffres parlent d'eux-mêmes: ce ne sont pas moins de quatre mille étudiants en sciences humaines, de nombreux assistants, professeurs et membres du corps administratif et technique qui, soudain, se trouvent réunis dans un rayon de 200 mètres. Etudiants et professeurs n'ont guère pris l'habitude de collaborer, fût-ce au sein d'une seule faculté, en raison de la dispersion ancienne des instituts au sein de la ville. Mais on peut imaginer sans peine l'intérêt qu'il y aura à profiter d'une offre quasi illimitée de cours et de la présence simultanée de tant de compétences dans deux bâtiments voisins. Avec les bibliothèques disponibles à Dorigny, c'est un ensemble exceptionnel dans le domaine des

sciences humaines qui est aujourd'hui offert aux enseignants, aux chercheurs et aux étudiants.

A condition toutefois, et il faut le dire clairement, que chacun s'intéresse à son voisin et ouvre le dialogue avec lui. Le transfert à Dorigny aura atteint pleinement son but lorsque des collaborations sous toutes les formes possibles se seront développées entre les instituts, les sections et les facultés. Nous pensons que l'Université de Lausanne est à un tournant de son histoire. Mais il ne suffit pas d'un cadre idyllique et d'installations modernes pour assurer un enseignement de qualité et une recherche de pointe. Réussir dans ces deux missions, c'est là peut-être que réside le principal défi de Dorigny.

Du côté des sciences, seules l'Ecole de pharmacie, la section de chimie et l'Institut de police scientifique et de criminologie restent encore en ville. Nous espérons que leur transfert pourra s'opérer dans les meilleurs délais. C'est là une nécessité impérieuse. La médecine, quant à elle, avec ses instituts de sciences de base et ses centres cliniques, restera concentrée en ville.

L 'université aujourd'hui. un service travaillant pour la communauté

La signification du regroupement à Dorigny de la presque totalité de l'Université n'apparaîtra que peu à peu. Depuis sa création jusqu'à ce jour. l'Université de Lausanne était, comme le disait le recteur en 1937, une «modeste institution universitaire». Dispersée dans une ville de petites dimensions, elle était difficile à saisir. Son identité restait diffuse. Nul ne pouvait prendre conscience de son importance. Aujourd'hui qu'elle est regroupée aux portes de Lausanne, les bâtiments distribués sur le site, leur nombre, leur volume la placent dans une perspective bien différente. Directement rattachée au réseau autoroutier suisse, demain reliée au réseau ferroviaire grâce au tramway du sud-ouest lausannois, l'Université de Lausanne a perdu son caractère local —certains, qui ne sont pas nos meilleurs amis, diraient «provincial» —

pour atteindre à une dimension régionale. Ses ambitions doivent la porter à s'ouvrir, en direction de sa protectrice traditionnelle, Lausanne, tout d'abord. Je suis heureux de saluer ici la précence du syndic Paul-René Martin, venu nous apporter les voeux du chef-lieu cantonal. Au-delà, il y a le Pays de Vaud, qui nous a apporté son soutien au cours des années avec une fidélité indéfectible. La vocation régionale de l'Université l'appelle aussi vers le Valais, qui nous envoie près de 500 étudiants. C'est pour moi une joie toute particulière de pouvoir saluer la présence parmi nous de Monsieur le conseiller d'Etat Bernard Comby, chef du Département de l'instruction publique du canton du Valais.

Université régionale, université ouverte, notre Haute Ecole doit devenir, plus encore que par le passé, un service travaillant pour la communauté. A côté de notre mission première, la formation d'étudiants capables, une fois leur formation achevée, de s'intégrer dans la vie professionnelle, nous en comptons plusieurs autres, la recherche, la préparation d'une relève universitaire de qualité, la formation continue. Dans chacun de ces domaines, nous disposons des atouts nécessaires pour offrir ce que l'on attend de nous.

Un mot sur les étudiants. Certains d'entre eux, mais pas eux seulement, ont dit et écrit que les étudiants étaient les grands oubliés du 450e. Que l'on se rassure, l'Université n'oublie pas ses étudiants. Nous souhaitons qu'ils se sentent membres à part entière de la communauté universitaire et que le temps de leurs études soit pour eux une période riche et gratifiante de leur vie. Le Rectorat a d'ailleurs clairement marqué son intention de leur vouer toute son attention en créant en son sein un secteur des affaires étudiantes.

Un mot enfin sur la croissance. Du fait de leur prospérité, les universités cantonales suisses ont toutes connu un développement harmonieux et presque ininterrompu. L' Université de Lausanne ne fait pas exception. Comme, en outre, elle se trouve investie du devoir de mettre en service des bâtiments nouveaux et qu'elle doit faire face au développement inouï des technologies nouvelles, elle devra inévitablement bénéficier durant plusieurs années encore de moyens accrus. Cela ne la dispensera pas de regrouper, voire de réduire, certaines activités traditionnelles. C'est là sans doute le

second grand défi que nous aurons à affronter: la détection, si possible longtemps à l'avance, et au moins en temps utile, des domaines d'enseignement et de recherche que nous devrons développer ou maintenir. Symétriquement, nous devrons mettre en discussion le développement, voire le maintien, de certaines disciplines ou de certains secteurs. Les transferts d'activité, le redéploiement des forces sont des nécessités qu'ont connues la plupart des universités du monde occidental. Nous ne pourrons pas y échapper.

Communication interne, ouverture vers l'extérieur, transfert aussi rapide que possible à Dorigny, enseignement et recherche de qualité: tels sont, en résumé, les principaux objectifs que nous chercherons à atteindre dans la période quadriennale qui s'ouvre. Et cela, bien sûr, avec le sourire et dans la bonne humeur.