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DISCOURS DE M. LOUIS GRENIER

Recteur entrant en charge.

Sous ses cheveux gris et malgré près d'un quart de siècle de professorat, c'est un débutant qui se présente à vous et qui gravit pour la première fois les marches de cette tribune où tant de nobles pensées ont été exprimées et par ceux que nous avons le privilège de compter encore parmi nous, et par ceux dont nous conservons pieusement le souvenir.

Je viens recevoir ici l'investiture d'une double et lourde charge: : celle de Recteur de l'Université et celle de professeur ordinaire de droit civil et de procédure civile. Je sens très profondément toute la responsabilité qui s'impose à moi; mais dans ce jour c'est surtout l'honneur qui me touche, les soucis viendront assez tôt. C'est donc tout d'abord des remerciements bien sincères que j'adresse à vous, Monsieur le conseiller d'Etat, qui avez bien voulu me proposer au choix de l'autorité; à vous aussi, mes chers collègues, qui m'avez choisi pour présider, durant les deux années prochaines,

aux destinées de notre établissement universitaire.

Je tiens à vous assurer et les uns et les autres que j'apporterai dans ma nouvelle tâche tout le zèle, toutes les forces que je possède encore, et je compte sur votre bienveillant appui pour me permettre de mener à bien la mission que vous me confiez. Je compte aussi sur vous, messieurs les étudiants; je désire être pour vous moins un censeur sévère qu'un camarade plus agé, un ami qui vous offre les conseils d'une expérience, hélas! déjà longue.

Au moment où nous allons, unis au peuple vaudois tout entier, célébrer le centenaire de la première réunion de notre Grand Conseil, et notre avènement au rang de nation indépendante, il m'a paru intéressant de retracer rapidement devant vous, non pas l'histoire officielle de notre établissement pendant le siècle écoulé, l'un de nos collègues l'a déjà fait d'une manière magistrale, mais plutôt notre histoire intime, notre vie de tous les jours, telle qu'elle est ressortie pour moi de nos poudreux registres de procès-verbaux.

Notre histoire peut se subdiviser en un certain nombre de périodes terminées chacune par l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi sur l'instruction publique supérieure. La première de ces périodes comprend le temps écoulé dès 1798 à 1837; la deuxième de 1838 à 1846; la troisième de 1846 à 1869; la quatrième de 1869 à 1890, et enfin la cinquième, dans laquelle nous vivons aujourd'hui.

Une première chose nous frappe en relisant nos procès-verbaux, c'est de voir combien peu ils sont

affectés par les événements extérieurs, par les diverses convulsions qui ont agité notre pays au cours du siècle passé. Tous les bruits de la rue viennent mourir au seuil de la chambre où délibère l'Académie, et ses actes n'en contiennent qu'un écho affaibli.

C'est ainsi qu'au moment où les patriotes de 1798 faisaient, pour la première fois, flotter à la brise de janvier le drapeau de notre indépendance, nous ne trouvons que la mention d'une réunion convoquée chez le seigneur bailli et dans laquelle les professeurs sont chargés de recommander à leurs élèves de ne pas se mêler aux désordres, et la seule trace du triomphe de la révolution consiste en ceci que la dernière séance de l'Académie, en janvier, ayant été présidée par «Monsieur le recteur», la première de février est présidée par le «citoyen recteur». Toute la philosophie du mouvement est résumée dans ces deux expressions.

Plus tard, en 1803, même retenue, et nous ne connaissons l'existence du gouvernement issu de l'acte de Médiation que par la décision de l'Académie d'aller féliciter le Petit Conseil. Mais le landammann est, paraît-il, trop occupé pour s'arrêter à nos prédécesseurs, et il leur fait répondre qu'il n'a pas le temps de les recevoir. Nous sommes heureux de constater que plus tard les chefs du Département de l'Instruction publique ont été sans doute moins occupés; du moins ont-ils toujours eu le temps de recevoir nos délégués quand ils venaient les entretenir des intérêts de l'Académie ou de l'Université.

A ce moment les rapports entre l'Etat et l'Académie sont entretenus par correspondance; et il est singulier à ce sujet de voir combien le régime antérieur a laissé des empreintes sur des hommes aussi cultivés cependant que ceux qui formaient alors le corps académique. La parole semble leur avoir été donnée non pour exprimer, mais pour déguiser leur pensée, et ce n'est qu'avec force circonlocutions et formules de respect que l'on ose s'adresser au Petit Conseil; aussi les malentendus sont-ils fréquents, et l'Académie s'étant émancipée jusqu'à émettre quelques timides observations, le Conseil se plaint de ce manque d'égards, sur quoi l'Académie lui en exprime sa profonde douleur, ajoutant qu'elle croyait avoir toujours religieusement rempli son devoir.

Au début de notre histoire vaudoise, l'Académie. était loin d'être ce qu'elle devint plus tard; avec ses dix professeurs et quelque quarante à cinquante étudiants, elle était avant tout un séminaire de théologie, et elle conserva ce caractère sous l'empire de la loi de 1806. La plupart des étudiants se destinent à la théologie; l'auditoire de droit se forme lentement; il n'avait tout d'abord qu'un professeur. et ce n'est qu'en 1814 que nous voyons conférer le premier grade de licencié en droit. A cette occasion l'Académie émit le voeu de voir établir le grade de docteur en droit, et comme chez nous les idées mêmes justes marchent avec une sage lenteur, il ne fallut que près de septante ans pour arriver à la réalisation de ce voeu. En 1815 et 1816 nous ne

trouvons encore qu'un ou deux étudiants en droit; il faut aller jusqu'en 1819 pour en trouver une vingtaine, dont cinq réguliers.

L'Académie était non seulement alors un corps enseignant, mais encore et surtout peut-être un corps ecclésiastique. Après avoir formé les futurs pasteurs, elle exerçait encore sur eux une active surveillance pendant qu'ils étaient seulement impositionnaires; c'était elle aussi qui présentait les candidats aux cures vacantes et nommait les suffragants. Ces fonctions n'étaient point alors une sinécure, et les actes de cette époque montrent avec quel soin l'Académie s'acquittait de cette partie de ses fonctions; à les lire, il faut reconnaître que, grâce aux temps troublés dans lesquels on vivait, et malgré un contrôle sévère, quelque ivraie n'était pas sans s'être mêlée au bon grain. Quelques ministres oubliaient trop que le temps n'était plus où les bons moines plantaient la vigne sur les coteaux du Dézaley et en consommaient largement les produits au milieu des gais propos et des chansons à boire; nous en voyons un autre cité devant l'Académie pour avoir voulu exiger des parents de sa fiancée qu'ils consentissent d'avance au divorce des jeunes époux le jour même de leurs noces. Plusieurs semblent croire que les paroisses sont faites pour les pasteurs et non les pasteurs pour les paroisses; aussi lorsqu'il s'agit de cures difficiles, les refus pleuvent, tous appuyés de motifs sérieux, tirés surtout de l'état de santé des impositionnaires. et l'Académie constate avec peine que les déclarations médicales

qui accompagnent ces refus ne sont que trop sujettes à caution, puisque, dès que la paroisse est réputée agréable, la santé des plus atteints se raffermit comme par enchantement. On petit citer entre autres la paroisse de Bex qui resta plusieurs mois sans suffragant et sans service religieux et ne fut repourvue que lorsqu'après ce long interrègne, la population, nous dit-on, commença à murmurer.

Mais c'est surtout depuis 1822 que les affaires ecclésiastiques préoccupèrent à juste titre l'Académie. A ce moment se font sentir les premiers signes précurseurs du réveil; c'est tout d'abord la distribution de petits traités; une enquête faite à propos de l'une de ces distributions nous dit qu'il s'agissait de trois traités dont deux ne contiennent rien de répréhensible; quant au troisième, il est dépourvu de toute valeur. Néanmoins l'Académie refuse d'admettre à la consécration un étudiant coupable d'avoir distribué quelques-uns de ces écrits; elle en censure un autre qui a réuni quelques amis dans sa chambre pour lire la Bible et recommande aux nouveaux consacrés de ne pas apporter d'exagération dans leur zèle religieux. Malgré toutes les précautions, les troubles s'accentuent, la division se glisse dans les paroisses et plusieurs pasteurs et ministres sortent avec un certain éclat du clergé vaudois.

Notons ici le questionnaire que l'Académie charge son Recteur d'adresser à un ministre candidat à une cure vacante et qui passait pour suspect d'appartenir à une nouvelle secte religieuse. On lui demande:

1° Pense-t-il qu'un pasteur doive distinguer les membres de son église en deux classes, l'une composée de ceux qu'il juge être véritablement chrétiens par leur foi, leurs sentiments et leur conduite, l'autre composée de ceux qui lui paraissent indignes de porter le nom de chrétiens; cette distinction devant avoir pour effet de diriger trop exclusivement les soins du pasteur sur ceux qu'il appelle chrétiens?

2° Est-il décidé à donner à ses paroissiens une instruction chrétienne complète en portant leur attention, soit dans ses sermons, soit dans ses catéchismes, sur tous les points de la doctrine chrétienne et surtout sur les devoirs de morale tant généraux que particuliers, en faisant valoir, à l'exemple des apôtres. les motifs de divers ordres qui peuvent faire impression sur les hommes?

3° Est-il décidé à se conformer exactement à la liturgie des Eglises vaudoises et à suivre les formes ordinaires du culte?

A ces trois questions, une minorité voulait joindre la suivante: Reconnaît-il comme chrétien le corps (l'Académie) auquel il demande sa nomination? N'y aurait-il pas dans l'esprit qui a dicté cette question quelque vague parenté avec celui qui a présidé au dogme de l'infaillibilité? Le candidat fut dispensé de résoudre cette question et répondit d'une manière satisfaisante aux trois autres; il fut nommé, mais les précautions n'avaient pas été, parait-il, suffisantes, car six mois plus tard, la paroisse est coupée en deux fractions irréconciliables qui s'excommunient

mutuellement; le pasteur doit quitter sa paroisse et pendant longtemps les suffragants qui lui sont nommés en attendant leur transfert à un autre poste assiègent l'Académie de leurs demandes d'être déchargés au plus tôt d'une suffragance impossible.

Pendant plusieurs années encore les discussions se prolongent au sein de l'Eglise vaudoise: en 1829 le professeur Monnard est suspendu pour une année entière par le Petit Conseil, pour avoir fait paraître une brochure intitulée: Observations sur l'article sur les sectaires, inséré dans la Gazette de Lausanne du 13 mars 1829. — En 1833 encore, l'Académie sévit contre un suffragant de Vevey coupable d'avoir blâmé la Fête des Vignerons, amenant ainsi du trouble dans sa paroisse. Le suffragant est suspendu; mais la classe de Lausanne prend vigoureusement sa défense, et il ne tarde pas à être replacé.

Ce n'est pas seulement sur le clergé que l'Académie exerce un contrôle sévère; les moeurs de ses membres et celles de ses élèves sont aussi sérieusement surveillées. Le maître de chant du Collège ayant participé à l'organisation d'une soirée au théâtre, est cité devant elle; il se défend en exposant qu'il ne s'est jamais occupé d'opéra, mais que dans un but de bienfaisance il a fait sa part dans un concert de musique classique. Ses excuses sont admises, mais sa conduite sera dorénavant suivie de près. On serait peut-être moins sévère aujourd'hui!

Le Sénat des étudiants est également invité à réprimander ceux de ses membres qui fréquentent

les billards et les cafés. Non sans malice, le Sénat demande quelle est la mesure exacte de cette fréquentation, et l'Académie de répondre avec un grand sérieux que le chiffre ne peut être fixé d'une manière absolue et doit rester affaire d'appréciation, le manquement le plus grave étant de pénétrer dans un établissement public aux heures des leçons.

Et cependant l'Académie n'est point ennemie des plaisirs modérés; chaque année un gai banquet réunissait le Corps académique et ses invités à l'occasion des promotions du Collège. Pour les initiés ce banquet portait le nom de «Nerli», nom mystérieux analogue à l'«ichthus» des premiers chrétiens, et dont le professeur Gindroz nous donne ainsi la clé: au début du repas tous se taisaient, nec verba, nec voces; mais edebant, ils mangeaient. et la bonne chère aidant, ridebant, ils riaient. Peu à peu le banquet s'animait sous l'effet des vins généreux; alors loquebantur varias linguas, ils parlaient toutes les langues: l'hébreu répondait au grec, le français au latin, et même dans les temps plus anciens, le bailli y mêlait le dialecte si doux de son canton. Enfin ils s'en allaient, ibant... quornodo poterant. Je n'ose plus traduire.

Durant toute cette période l'Académie ne cesse de se développer; une troisième chaire de droit, celle de droit romain, est établie en 1832; le professeur J.-J. Porchat, plus tard professeur de littérature latine, doit donner ses leçons en latin, et cette obligation est maintenue pendant plusieurs années encore malgré les réclamations des étudiants. C'était

d'ailleurs le cas de plusieurs autres cours; les sciences seules en étaient dispensées vu la difficulté d'exprimer dans cette langue une foule de notions inconnues des Romains.

En 1827, la chaire de grec est réorganisée et la littérature profane séparée de l'exégèse du Nouveau-Testament. L'enseignement des sciences se développe aussi, grace à l'impulsion de D.-A. Chavannes; des crédits assez considérables sont accordés pour l'achat d'instruments d'astronomie au professeur de mathématiques Develey, qui caresse l'idée de voir bientôt notre ville dotée d'un Observatoire; mais l'époque n'était pas aux constructions, et les instruments restèrent sans emploi.

La révolution de 1830 n'arrête point cette marche en avant; plusieurs des membres de l'Académie prirent alors une part active au gouvernement; Monnard, entre autres, le suspendu de 1829, est nommé premier député à la Diète.

Un cours d'économie politique est introduit en 1833, et la même année J. Olivier inaugure un cours d'histoire qu'il devait reprendre plus tard avec un brillant succès.

En 1837, les cours de Sainte-Beuve viennent jeter un vif éclat sur notre enseignement, et dans le même temps, Vinet est nommé professeur de théologie pratique.

A signaler, en passant, en 1834, une offre curieuse faite à l'Académie: un sieur Villaret lui offre de donner 100 francs à deux étudiants en théologie pour les faciliter dans leurs études; chacun d'eux,

à son tour, ses études finies, devait en donner 100 à deux autres, et chacun de ces quatre à deux autres encore, et ainsi de suite, indéfiniment. La boule de neige était inventée. — Inutile de dire que l'offre fut refusée.

Nous arrivons, à ce moment, à la loi de 1837 entrée en vigueur le 1er novembre 1838. Cette loi sécularise l'Académie et la décharge entièrement de son rôle ecclésiastique. Elle crée trois Facultés: théologie, droit, lettres et sciences, avec dix-sept professeurs ordinaires et des professeurs extraordinaires suivant les besoins. Toutes les chaires de l'ancienne Académie sont déclarées vacantes, et une commission chargée de désigner les candidats admissibles dans la nouvelle institution. Le 1er novembre l'Académie s'installait avec cinq professeurs, dont quatre de théologie; la majorité des anciens professeurs et parmi eux le Recteur Porchat, n'étaient pas confirmés, et cependant jusqu'à la fin ils restèrent à leur poste, siégeant encore les 30 et 31 octobre. Sur les lèvres de ces hommes nourris des oeuvres de l'antiquité classique devait errer le morituri te salutant des anciens, et le procès-verbal du 31 octobre se termine par cette phrase empreinte d'une mélancolique résignation «M. le Recteur déclare la séance levée et annonce ainsi la fin des travaux et de l'existence de l'Académie fondée en 1536».

De nombreux professeurs extraordinaires vinrent bientôt combler les vides des premiers temps; sieurs furent ensuite appelés à des chaires ordinaires;

citons J. Olivier, Marc. Edouard et Ch. Secretan, Zündel, Mickiewics, Cherbuliez, Wartmann. L'Académie se développe avec rapidité; le nombre des étudiants a presque triplé. Les absences fréquentes de Monnard, nécessitées par les sessions de la Diète et par des travaux particuliers, amènent vers la fin de cette période Vinet à donner un cours de littérature française qui attire une telle affluence que les étudiants demandent qu'il soit pris des mesures pour leur assurer des places.

Sur ces entrefaites éclate la révolution de 1845; l'un des premiers actes du nouveau gouvernement est de demander à l'Académie son adhésion à l'ordre de choses établi, et l'Académie écrit en date du 18 février 1845, que: «considérant les événements survenus à Lausanne les 14 et 15 février et la démission donnée par le gouvernement, voulant pourvoir aux besoins de l'enseignement qui ne peut être interrompu sans les inconvénients les plus graves et dont elle réserve d'ailleurs la liberté, elle déclare à l'unanimité des membres présents qu'elle est disposée à continuer ses fonctions, et qu'elle se soumet au gouvernement qui a provisoirement remplacé les pouvoirs constitutionnels de l'Etat».

Le gouvernement provisoire répond qu'il a pris acte avec satisfaction de cette décision, tout en ne s'expliquant pas la réserve relative à la liberté de l'enseignement qui n'a jamais été mise en question.

Le professeur de littérature latine ayant seul refusé de souscrire à la décision ci-dessus est immédiatement

remplacé par l'ancien professeur Porchat, et Vinet, qui avait donné sa démission de professeur de théologie, remplace dans la chaire de littérature française Monnard, nommé pasteur à Montreux.

C'est dans ces circonstances que fut promulguée la loi de 1846. L'Académie, que diverses raisons avaient rendue impopulaire, subit le contre-coup des événements politiques et religieux de l'époque, et la nouvelle loi constitue un recul marqué et presque un retour à la loi de 1806.

Le nombre des chaires est diminué, la liberté des cultes, admise dans une certaine mesure, est supprimée, et la fréquentation des cours rendue obligatoire sous des peines sévères. Enfin, l'Académie est placée sous le contrôle d'un Conseil de l'instruction publique, dont les compétences sont fort étendues et qui cherche à les étendre plutôt qu'à les restreindre. Aussi les conflits sont-ils fréquents: conflit à propos des concours, parce que l'Académie n'a pas transmis au Conseil les travaux présentés. afin que celui-ci pût se rendre compte si les prix attribués étaient justifiés; conflit sur les vacances que l'Académie fixe à une date et que le Conseil fixe à une autre date. Le Conseil va jusqu'à demander qu'on lui transmette le programme par chapitres du cours d'un professeur, afin de pouvoir s'assurer de la nature de cet enseignement. Une autre fois, il s'agit des absences des professeurs, et le Conseil ordonne que le Recteur en tiendra un registre exact. Cette fois, l'Académie s'insurge et répond qu'à sa connaissance un seul professeur a été irrégulier dans ses

leçons et qu'elle lui transmet les observations du Conseil en le priant d'y répondre directement. Le professeur était probablement bien en cour, car le Conseil s'empresse de faire savoir à l'Académie qu'il ne s'agissait que d'une circulaire adressée à tous les établissements d'instruction publique et qui ne visait point l'Académie ni aucun de ses professeurs en particulier, et plus n'est question du registre des absences.

Comme en 1838, toutes les chaires avaient été déclarées vacantes, et lorsque, le 26 octobre 1847, la nouvelle Académie entra en fonctions, un seul des anciens professeurs, M. Dufournet, fut maintenu, et pendant plusieurs années on se trouva, en fait, dans un véritable provisoire. Même après 1855, plusieurs chaires sont encore inoccupées, à la Faculté de droit spécialement, où nous voyons les professeurs de droit civil et de droit pénal se livrer à un bizarre chasse-croisé.

Afin d'obliger les étudiants à la fréquentation régulière des cours, on introduisit alors le système des trois examens annuels, comptant chacun pour un tiers dans la promotion. Cette innovation amène la seule émeute que notre Académie ait vue dans le siècle parmi ses étudiants; le 4 mars 1858, ceux-ci se réunissent sur la cour de l'Académie et brûlent solennellement le nouveau règlement; ils refusent ensuite d'écouter le Recteur qui leur adressait de sages exhortations. Plusieurs furent suspendus; d'autres se suspendirent eux-mêmes, se solidarisant ainsi avec leurs collègues. puis les choses reprirent

leur cours normal, et les trois examens furent maintenus, au moins polit' quelques années. Signalons encore en 1857 la formation d'une légion académique prête à courir aux bords du Rhin pour défendre nos frontières. Un accord avec la Prusse rendit inutile ce belliqueux mouvement.

En 1859, entre en vigueur un règlement sur l'obtention des grades académiques. introduisant pour la première fois chez nous les grades de bachelier ès-lettres et ès-sciences, et régularisant ceux de licencié en théologie et en droit.

Nous arrivons ainsi à la loi de 1869 qui inaugure la dernière période de notre Académie. Oeuvre de l'éminent homme d'Etat que fut plus tard le conseiller fédéral Louis Ruchonnet, la loi de 1869 reprend la tradition rompue en 1846: la Faculté des lettres est de nouveau coordonnée et non plus préparatoire aux deux Facultés de théologie et de droit: ses deux volées inférieures redeviennent un gymnase avec deux divisions, l'une littéraire, l'autre scientifique; une Faculté des sciences est séparée de celle des lettres et englobe sous le nom de Faculté technique l'ancienne école spéciale des ingénieurs; un embryon de Faculté de médecine s'y trouve également rattaché. Plus tard, une Ecole de pharmacie vint encore s'y ajouter. Le nombre des chaires est augmenté, et l'Académie ainsi rénovée entre à pleines voiles dans la voie d'un progrès dès lors ininterrompu. Le jour de son installation, elle comptait 20 professeurs ordinaires et de nombreux professeurs extraordinaires et agrégés. Quelques chaires, une de droit entre

autres, lui furent encore accordées dans les années suivantes. Nos procès-verbaux ne contiennent rien de bien saillant durant cette période; nous n'y relevons que le conflit soulevé en 1874 à propos des examens partiels du gymnase et de la tentative de relever, un peu trop brusquement peut-être, le niveau des études classiques; puis, en 1876, la suppression, sur la demande de ses membres, du corps séculaire des étudiants. Enfin, en 1880, la création du grade de docteur en droit, grade qui fut délivré pour la première fois en 1884. A l'Académie ainsi constituée, il ne manquait plus guère que le nom pour devenir une véritable Université et, ce nom, Louis Ruchonnet nous dit qu'il l'eut plusieurs fois sous sa plume. Les circonstances extérieures y aidant, le dernier pas fut enfin franchi par la loi du 10 mai 1890, à l'adoption de laquelle avait puissamment contribué celui qui était alors à la tête du Département de l'Instruction publique, le conseiller d'Etat Eug. Ruffy. Grace au legs généreux de Gabriel de Rumine, à l'accord des pouvoirs de I'Etat et de la commune de Lausanne, l'antique Académie prenait rang parmi les Universités européennes qu'elle conviait au printemps de 1891 à assister à son baptême. La loi nouvelle ajoutait une Faculté de médecine à celles déjà existantes et ajoutait au principe de la liberté de l'enseignement celui de la liberté des études. Je ne rappellerai point les jours trop tôt passés où nous avons réuni à Lausanne l'élite de l'Europe savante et les délégués de sa jeunesse cultivée pour célébrer dans les langues les plus diverses,

mais dans un accord que rien n'est venu troubler, notre naissance à la vie universitaire. Les voeux qui nous furent alors exprimés nous ont porté bonheur, car nous pouvons aujourd'hui, après douze années d'existence, constater que nous n'avons cessé de prospérer. Nous avions en 1890 54 professeurs et 321 étudiants et auditeurs; nous avions au dernier semestre 71 professeurs et 721 étudiants et auditeurs; nous avons donc acquis droit de cité dans le monde des Lettres et des Sciences, et notre réputation paraît solidement assise.

C'est cet état de choses que nous devons nonseulement maintenir, mais encore développer. A nous, professeurs, la liberté de l'enseignement nous impose une responsabilité dont nous sentons tout le poids; c'est à nous qu'il incombe de former nonseulement l'esprit scientifique, mais aussi et peut-être surtout le coeur des générations qui nous sont successivement confiées, en leur inspirant les sentiments de l'honneur et du devoir; en leur montrant que l'instruction que nous leur donnons doit avant tout servir au bien, au progrès de l'humanité.

A vous, Messieurs les étudiants, à user sans abuser de la liberté des études que vous avez conquise. Aucune obligation ne pèse sur vous, si ce n'est celle du sentiment de ce que vous vous devez à vous-mêmes et à votre pays. Vous pouvez choisir librement les enseignements que vous préférez; permettez-moi cependant un conseil: ne vous bornez pas aux cours d'une utilité immédiate et pratique, et ne négligez

pas ceux qui paraissent au premier abord moins directement utiles, mais que vous regretterez amèrement plus tard parce qu'ils ouvrent des horizons nouveaux, parce qu'ils élargissent la pensée et le coeur, et que, au milieu des soucis de la vie pratique qui vous guettent au sortir de nos mains, vous n'aurez plus le temps d'y appliquer votre effort. Les fruits sont sans doute une belle et bonne chose, mais que deviendrions-nous sans les fleurs? Ne négligez pas les fleurs, Messieurs les étudiants; elles conviennent à la jeunesse.

Et ainsi, Messieurs, accomplissant chacun dans sa sphère nos devoirs respectifs, unis dans un même esprit de travail et de progrès, nous pourrons, l'an prochain, montrer à notre peuple le spectacle d'une Université prospère, digne des sacrifices que lui a toujours consentis sans compter un petit pays agricole, animée avec tous nos compatriotes d'un même sentiment d'amour pour notre belle patrie et de reconnaissance pour Celui qui l'a faite libre et heureuse; d'une Université qui, forte de l'appui de ses concitoyens, forte du dévouement de ses professeurs, forte du zèle de ses étudiants, est maintenant prête à marcher fièrement au devant de ses nobles destinées.