L'INTERRUPTION THÉRAPEUTIQUE
DE LA GROSSESSE
DISCOURS RECTORAL
PRONONCÉ LE 15 NOVEMBRE 1943
A L'OCCASION DE L'OUVERTURE SOLENNELLE
DE L'ANNÉE ACADÉMIQUE PAR
MONSIEUR LE PRÉSIDENT DE LA CONFÉDÉRATION,
MESSIEURS LES MEMBRES DU GOUVERNEMENT,
EXCELLENCES, MESDAMES ET MESSIEURS,
LE thème que je me permets de soumettre
aujourd'hui à vos méditations ne revêt pas le
cachet de l'inédit ou de la nouveauté. Au contraire,
depuis longtemps il fut l'objet de discussions de la
part des centres intellectuels les plus divers, aussi
bien auprès des juristes, des législateurs, des théologiens,
qu'auprès des médecins. On se rappelle les
controverses qui surgirent en Suisse, autant au
Conseil national qu'au Conseil des Etats, lors de
l'élaboration du nouveau code pénal. Mais c'est
surtout dans les milieux médicaux — et cela est
tout naturel — que de tout temps cette question
fut âprement disputée et provoqua parfois de gros
conflits et des polémiques passionnées.
Depuis longtemps aussi, il existe, à ce sujet, un
vrai malaise dans le monde médical, ce qui prouve
bien que le problème n'a pas encore trouvé de solution.
On était en droit d'espérer que l'introduction de
notre nouveau code pénal au 1er janvier 1942 amènerait
une détente dans les esprits des principaux
intéressés. Il ne paraît pas en être ainsi, car, depuis
cette date, plusieurs associations professionnelles,
spécialement des sociétés médicales, font figurer cette
question dans les programmes de leurs réunions. Le
malaise, dont je vous parlais tout à l'heure, se
fait sentir plus particulièrement parmi un certain
nombre de médecins catholiques. Ils ne sont pas
rares, en effet, ceux qui affirment que la doctrine
catholique se montre trop rigoureuse dans le
domaine de l'interruption de la grossesse et, peut-être
mal renseignés sur l'essence même de cette
doctrine, ils préfèrent s'en tenir aux dispositions de
l'article 120 du code pénal. Ils arguent, entre autres,
que quelques hommes politiques catholiques, une
infime minorité, acceptèrent aux Chambres fédérales
le compromis du texte de cet article.
Il ressort de ces faits que la question de l'interruption
thérapeutique de la grossesse n'a rien
perdu de son actualité et qu'il ne peut être
qu'utile de l'exposer devant un auditoire universitaire
catholique.
Après avoir consacré quelques instants à l'avortement,
nous l'étudierons tout d'abord pour elle-même.
Après quoi, nous la considérerons sous l'angle
du code pénal suisse, comme aussi en regard de la
doctrine catholique. Enfin, nous nous efforcerons de
rechercher s'il existe peut-être un terrain d'entente,
capable de concilier en quelque sorte la rigueur de
la doctrine catholique avec les données de la loi
pénale.
La définition de l'interruption thérapeutique de
la grossesse n'offre pas de difficultés. C'est l'intervention
médicale qui consiste à provoquer l'expulsion
de l'utérus du produit de la conception, pour
sauver la vie de la femme, mise en danger pour une
cause pathologique. D'emblée nous voulons faire ici
une réserve et borner notre étude à cette opération
pendant les sept premiers mois de la grossesse.
Car, pratiquée pendant ce temps-là, qu'elle
soit spontanée, criminelle ou thérapeutique, elle
entraîne presque toujours la mort du foetus. Par
contre, pratiquée pendant les 8e et 9e mois, elle
est compatible, dans la grande majorité des cas,
avec la vie extra-utérine de l'enfant, pour autant
que celui-ci ne soit pas atteint de malformation, de
faiblesse ou de maladie. Cette limite n'a du reste
rien d'absolu. On admet généralement qu'un foetus
doit atteindre un poids de 1500 à 2000 grammes
pour être viable, contre 3000 environ à la naissance
à terme; c'est son poids moyen à la fin du 7e mois.
Mais il n'est pas rare que des foetus d'un poids
inférieur, soit de 1000 à 1200 grammes, vivent,
surtout s'ils peuvent être élevés pendant quelques
mois dans une couveuse.
On parle plus volontiers d'«avortement» quand
l'interruption a lieu pendant les premiers mois,
tandis que l'on réserve le terme d'accouchement
prématuré quand il se produit ou qu'il est provoqué
pendant les deux derniers mois de la grossesse.
Nous voulons tout d'abord consacrer quelques
instants à l'avortement proprement dit.
L'avortement fut pratiqué de tout temps. Pendant
des siècles, on n'établissait que peu de distinction
entre l'avortement criminel et l'avortement
thérapeutique. Des sanctions très sévères étaient
édictées contre l'avortement chez les peuples de
l'antiquité et du moyen âge. La «constitutio criminalis
carolina» de Charles-Quint (1533), par exemple,
disait: si quelqu'un, par privation, aliment ou
boisson, provoque l'avortement du foetus animé, s'il
y a préméditation ou malveillance, l'homme sera
condamné à mourir par submersion ou d'une autre
manière. La Suisse n'était pas moins sévère: ainsi,
la Hochgerichtsordnung de Schwyz condamnait la
femme avorteuse à être enterrée vive. A Lucerne,
elle était enterrée sur des épines, ayant à la bouche
un roseau par lequel on lui donnait du lait de temps
en temps, afin de prolonger la durée du supplice.
Quelle distance parcourue depuis, et l'affligeante
mansuétude de nos tribunaux actuels! En effet, les
temps modernes se sont montrés plus indulgents
vis-à-vis de l'avortement, et par ce fait, le principe
de l'avortement thérapeutique, qui servit souvent
de bouclier pour couvrir des manoeuvres plutôt
criminelles, s'est développé toujours plus. En France,
par exemple, les philosophes, en s'élevant au
XVIIIe siècle contre la sévérité de l'ancienne législation
pénale, firent un tort immense à leur pays
en obtenant des adoucissements aux rigueurs du
code. Le nombre des avortements de toutes sortes
augmenta rapidement depuis cette époque. Les
hommes politiques s'en mêlèrent et, en 1932, plusieurs
députés déposèrent même un projet de loi
tendant à légaliser l'avortement.
Voyons un peu, par exemple, ce qui se passait
dans la Russie des Soviets jusqu'en 1940. Depuis
l'entrée en guerre de ce pays, les renseignements
officiels font défaut. Le code pénal de 1885 punissait
de la peine de la Katorga (déportation en Sibérie,
avec travaux forcés rigoureux) l'avortement commis
sans le consentement de la mère, et de l'internement
forcé, s'il s'effectuait avec son consentement.
En 1917, dès les premiers jours de la révolution
d'octobre, les bolchévistes abolirent ces articles de
la loi, et dès le mois de novembre 1920, les commissaires
du peuple publiaient un décret légalisant
l'avortement et en instituant la gratuité. Ces derniers
voulaient, disaient-ils, protéger les femmes
contre les avorteurs cupides et contre les avortements
clandestins et leurs suites. Des commissions
spéciales devaient examiner les motifs des candidates
à l'avortement. Elles se montrèrent très larges. A
côté des motifs d'ordre médical qui ne souffraient
pas de refus, elles acceptaient comme valables des
motifs d'âge, d'insuffisance de logement ou de
salaires, etc. Les hôpitaux ne suffirent plus. Dans
les grandes villes, on institua de vastes cliniques
spécialisées qui ne désemplissaient pas. Les cas
étaient si nombreux que l'opération s'effectuait en
cinq minutes, et les lits ne pouvaient pas être
occupés plus de quatre jours. Le plus important
de ces établissements totalisa jusqu'à 20000 interventions
par an. A Moscou, par exemple, le chiffre
des avortements fut quadruplé en quatre ans.
Si, en légalisant l'avortement, on voulut vraiment
sauvegarder la santé de la femme, on aboutit à un
échec complet. Les statistiques démontrèrent, en effet,
que ces opérations, effectuées dans les conditions
indiquées, étaient loin d'être exemptes de dangers.
Au contraire, elles entraînaient de graves complications
immédiates (telles que perforation de l'utérus,
hémorragies graves, infections puerpérales, etc.) et
des complications éloignées, soit des désordres et
des troubles généraux et troubles fonctionnels des
organes génitaux, la stérilité, sans oublier les troubles
psychiques et des psychoses. Il est avéré que l'avortement
était encore, ces dernières années, pour le
peuple russe, le plus grand de tous les maux. L'expérience
russe aboutit à un échec complet.
L'avortement thérapeutique a revêtu chez nous,
en Suisse, un redoublement d'attention depuis la
mise en vigueur, le 1er janvier 1942, du code pénal
suisse. C'est l'article 120 de ce nouveau code et
même uniquement son premier alinéa, qui nous
intéresse plus spécialement. Les autres articles voisins
n'ont pour nous qu'une importance secondaire.
Le voici dans son texte officiel: «Il n'y a pas
d'avortement au sens du présent code, lorsque la
grossesse aura été interrompue par un médecin
diplômé, avec le consentement écrit de la personne
enceinte et sur avis conforme d'un second médecin
diplômé, en vue d'écarter un danger impossible à
détourner autrement et menaçant la vie de la mère,
ou menaçant sérieusement sa santé, d'une atteinte
grave et permanente.»
Ainsi donc, cet article 120 prévoit deux situations,
où l'interruption de la grossesse ne constitue
pas un délit. La première, où elle est pratiquée
en vue d'écarter un danger imminent, impossible à
détourner autrement et menaçant la vie de la mère.
La seconde en vue d'écarter un danger plus éloigné,
mais menaçant sa santé d'une atteinte grave et
permanente et impossible à détourner autrement
que par l'interruption de la grossesse. La loi ne
reconnaît que des indications médicales et non pas
des indications sociales et eugéniques.
Remarquons aussi que le législateur n'a pas
proclamé la légitimité de l'avortement thérapeutique;
il a simplement indiqué, d'une manière
générale, les cas où cette interruption ne constitue
pas un délit. C'est là une concession faite aux adversaires
de cet article. Il n'en reste pas moins que le
C. P. S. admet le principe de l'interruption de la
grossesse. — Nous étudierons tout à l'heure les
indications les plus fréquemment invoquées par les
médecins non catholiques pour justifier l'opération
en question.
Voyons d'abord quelle est, dans ce domaine et
en opposition avec l'article 120, la doctrine catholique.
Celle-ci est dominée par le principe intangible
tu ne tueras point! L'Eglise catholique reconnaît,
du reste avec beaucoup de savants qui ne lui appartiennent
pas, que le produit de la conception est
un être vivant, ayant sa personnalité propre. Il
s'ensuit que l'avortement, qui lui enlève la vie,
constitue un meurtre. Toute la question est là.
L'Eglise catholique ne connaît, dans la question de
l'avortement provoqué, qu'il soit ou non dicté par
des considérations ou des indications thérapeutiques,
qu'une seule doctrine qui dit : le produit
de la conception possède dès ses débuts, soit dès
le moment de la fusion de l'élément mâle avec
l'ovule, une nature humaine. L'enfant possède une
âme et le droit à la vie, que ni la mère, ni le médecin
ne peuvent détruire, même dans un but apparemment
élevé. Dans les cas où une naissance normale apparaît
pour la mère très dangereuse ou impossible,
il est permis de provoquer l'accouchement prématuré,
dès que l'enfant a atteint, in utero, la maturité
(7 mois) qui lui permet de vivre de la vie
extra-utérine. Mais il est défendu de provoquer
intentionnellement une fausse couche, c'est-à-dire
l'expulsion du foetus non viable, encore moins sa
mort violente par la perforation, la craniotomie ou
la céphalotripsie. Ces prescriptions sont en harmonie
avec les décrets ou les canons des années 1884,
1889, 1898 et 1930 et avec la doctrine exposée par
le Saint Père Pie XII, le pape glorieusement régnant,
dans ses récentes adresses et ses discours aux nouveaux
mariés. — Ce point de vue est strict et ne
comporte aucune concession, même contre les indications
soi-disant médicales, sociales et eugéniques.
Ici pourrait intervenir, si nous en avions le temps,
la discussion sur l'animation qui fit couler beaucoup
d'encre, aussi bien de la part de ceux qui croyaient
à l'animation médiate, que de ceux qui adoptent
l'animation immédiate. Les nombreux travaux sur
l'embryologie ne laissent plus aucun doute à ce
sujet. Les théologiens et les savants catholiques unanimes,
ou à peu près, admettent maintenant l'animation
immédiate. Le Dr Gustave Clément de Fribourg
a résumé en quelques phrases classiques le
point de vue de ces derniers. Je renvoie les auditeurs
à la brochure que cet éminent praticien publia
dans les cahiers Nova et Vetera, sous le titre Le
droit de l'enfant à naître.
Puisque l'embryon a une personnalité propre et
qu'il possède une âme dès le moment de la fécondation
de l'ovule, il est une question qui ne saurait
laisser indifférent le médecin catholique, disons même
le médecin chrétien, c'est celle du baptême. Cet
enfant a non seulement droit à la vie, mais il a
aussi droit au baptême. Ce n'est pas à moi à attirer
votre attention sur la valeur surnaturelle de ce
sacrement et sur les conséquences de sa privation
pour une âme créée à l'image de Dieu. Par conséquent,
en même temps qu'un meurtre matériel,
l'avortement est un meurtre spirituel. — Dans bien
des cas, on pourrait administrer le baptême au
foetus. Mais presque toujours ceux qui interrompent
la grossesse, quelle que soit la cause de cette
intervention, ne se soucient pas de ce sacrement.
L'opposition paraît absolue entre la doctrine catholique
et le C. P. S., la première en proscrivant, avec
toute son autorité, l'interruption provoquée de la
grossesse, le second ne la punissant pas dans certaines
conditions plus ou moins déterminées, admettant
donc, autorisant même son exécution. On
comprend mieux ainsi la situation très délicate, pour
ne pas dire plus, des médecins catholiques, mis en
présence de femmes enceintes leur demandant de
les mettre au bénéfice de l'article 120 du code pour
motifs de santé, mais empêchés par leur conscience
de répondre aux désirs de leurs patientes et exposés
ainsi à perdre la confiance de leurs malades. Mais
il est rare que cette situation soit aussi tragique
que des gens intéressés et des romanciers, tel que
Victor Margueritte, l'ont décrite. D'abord, l'Eglise
a prévu des atténuations qui, sans diminuer en
quoi que ce soit la rigueur de sa doctrine, paraît
la rendre moins sévère, moins inhumaine.
La femme pendant la grossesse est exposée aux
maladies comme tout être humain et même davantage,
puisque souvent, par le fait même de son état,
elle offre moins de résistance à la maladie. Plus que
tout autre aussi, elle a droit à des soins médicaux,
car il s'agit alors de la vie de deux personnes. Il est
d'abord des maladies graves qui sont incompatibles
avec la grossesse et qui provoquent, souvent ipso
facto, une interruption de celle-ci. Il en est d'autres
qui, pour obtenir leur guérison, nécessitent une
thérapeutique ou une intervention dont l'exécution
nécessaire et indispensable constitue un grand danger,
un danger mortel, voire même la mort certaine du
produit de la conception. On ne saurait refuser à la
femme gravide les soins, les mêmes opérations dont
bénéficient les autres humains, même si le foetus devait
en souffrir ou en mourir. L'Eglise distingue entre
l'avortement directement de l'avortement indirectement
provoqué. Alors qu'elle proscrit énergiquement
le premier, elle tolère le second, c'est-à-dire l'opération
destinée à guérir la mère, mais pouvant entraîner
un avortement non voulu. Cette tolérance prévoit
deux conditions essentielles: d'abord la guérison
de la mère ne doit pas être obtenue par la mort
de l'enfant; d'autre part, il faut qu'il existe des
raisons graves de pratiquer l'opération. Ici, on ne
tue pas l'enfant: on se borne à le laisser mourir.
Sont donc permises toutes les opérations exigées par
la santé de la mère, qui ne tendent pas directement
à provoquer l'avortement. Je pourrais citer ici de
nombreux exemples pour illustrer cette morale
obstétricale, telle que l'Eglise l'enseigne. Je me
borne à reproduire deux cas classiques, tels que les
exposait récemment l'un de nos savants professeurs,
le R. P. Lavaud, O. P., dans une étude intitulée:
Théologie morale et chirurgie, parue dans un des
derniers numéros de la revue Chirurgie du Dr François
Ody. «La plupart des théologiens tiennent
pour moralement légitime l'extirpation d'urgence
de l'utérus cancéreux, malgré l'état de gravidité et,
pareillement, l'ablation de la trompe avec le sac
foetal dans le cas de grossesse tubaire, soit de grossesse
extra-utérine, lorsque le péril est devenu prochain,
et qu'il n'est pas d'autres moyens de prévenir
la catastrophe. Ces deux opérations ne sont pas directement
meurtrières du foetus, elles ne portent pas
directement sur lui, mais sur l'organe maternel,
infecté ou rongé par l'implantation anormale et le
développement de l'oeuf.»
Concernant le cancer de l'utérus, il est établi
que c'est là, chez la femme, une des localisations
les plus fréquentes, les plus dangereuses et l'une
des formes les plus rapides de cette tumeur maligne,
et qu'elle arrive souvent à la connaissance du médecin
alors qu'elle est déjà incurable. Un traitement
énergique s'impose immédiatement, et le médecin,
quel qu'il soit, n'a pas le droit de tergiverser, de
retarder l'intervention nécessaire, même s'il s'agit
d'un utérus gravide. A ce sujet, nous verrons tout à
l'heure que, dans certains cas, et grâce aux nouvelles
méthodes thérapeutiques, les médecins sont moins
interventionnistes que les théologiens.
Ce que j'ai dit du cancer de l'utérus et de la
grossesse extra-utérine s'applique aussi au traitement
urgent de certaines maladies qui, sans être
de nature chirurgicale, peut entraîner et entraîne
souvent l'interruption de la grossesse. Je pense
surtout à l'administration de la quinine dans le
traitement de la malaria, et de l'insuline dans celui
du diabète. Ces médicaments sont dangereux pour
la grossesse et capables de l'interrompre. Mais on
n'a pas le droit d'en priver la femme enceinte, si
nécessité il y a.
Indications de l'avortement thérapeutique
Puisque le C. P. S. ne punit pas l'avortement
thérapeutique, nous allons rapidement passer en
revue les principales indications de nature médicale
qui peuvent justifier, au point de vue de la loi,
cette intervention et la soustraire aux peines prévues
par le législateur. D'emblée, je fais ici abstraction
de certains médecins qui ne méritent pas ce
titre de noblesse, qui jettent le discrédit sur toute
notre corporation et qui, sous le couvert de la thérapeutique,
pratiquent l'interruption de la grossesse
dans un but purement matériel, ou pour faire plaisir
à leurs patientes. Par contre, je reconnais que nombreux,
très nombreux sont chez nous les médecins
non catholiques qui apportent dans la solution du
problème, non seulement une grande objectivité,
mais aussi une belle conscience professionnelle.
Les viciations pelviennes, soit les déformations
du bassin, figuraient, récemment encore, parmi les
indications absolues. Ce n'est plus le cas maintenant,
grâce à la symphysiotomie et surtout à l'opération
césarienne que l'on pratique presque sans danger.
—Je reviens au cancer de l'utérus. Il y a peu de
temps encore, la présence d'une telle tumeur justifiait,
nécessitait son ablation immédiate. Mais la
curiethérapie, soit le traitement par les émanations
du radium, est en voie de modifier la ligne de conduite
des accoucheurs. Aujourd'hui, dans une telle
éventualité, on se comporte comme si la grossesse
n'existait pas. En effet, la curiethérapie permet le
plus souvent de guérir la femme gravide et ensuite
de conserver l'enfant par l'opération césarienne. Dans
les cas inopérables, la curiethérapie donne parfois des
chances de mener la grossesse à terme, avec les
meilleures conditions pour la mère et pour l'enfant.
—Ces données s'appliquent au cancer du col de
l'utérus, qui est le plus fréquent. Le cancer du
corps de cet organe n'est pas compatible avec la
gestation et entraîne l'interruption spontanée de
la grossesse.
Les indications relatives de l'interruption de la
grossesse sont nombreuses. Voyons d'abord la faiblesse
générale et la misère physiologique. Leur
diagnostic suffit-il pour justifier l'interruption de
la grossesse? Le médecin catholique n'en est pas
convaincu, car certains moyens thérapeutiques
énergiques, parmi lesquels figurent les transfusions
du sang, permettent souvent de mener la grossesse
jusqu'à la fin du 7e mois. Il en était de même
du diabète; mais cette situation fut modifiée depuis
l'introduction de l'insuline dans la thérapeutique.
Du reste, les diabétiques sont généralement stériles.
Enfin, en cas de menace de coma diabétique,
il est nécessaire de recourir aux fortes doses
d'insuline qui provoquent souvent l'interruption
de la grossesse.
Les maladies mentales. Jusqu'ici, il existait un
désaccord complet, parmi les médecins non catholiques,
dans l'interprétation des indications de
l'interruption de la grossesse au cours des psychoses
puerpérales. Beaucoup d'entre eux prêchaient systématiquement
l'interruption, parce que, selon eux,
la mère psychopathe ne pouvait donner le jour
qu'à des enfants tarés au point de vue psychique.
Or, l'expérience démontre que l'hérédité est parfois
en défaut, et qu'une mère de ce genre peut procréer
des enfants parfaitement sains mentalement. D'autres
prétendent que la gravidité exerce en outre une influence
aggravante et permanente sur l'état mental
de la femme. — Les psychiâtres suisses voulurent
mettre la chose au point. Il y a environ un an, la
clinique psychiâtrique du Burghölzli (Zurich) fut le
rendez-vous de psychiâtres de grand renom qui
cherchèrent à fixer les indications psychiâtriques de
l'avortement thérapeutique. On assista là à une
belle et savante discussion. Le principal rapporteur,
le professeur Binder de l'Université de Bâle, auteur
d'un livre classique Die uneheliche Mutterschaft (La
maternité en dehors du mariage), trouva dans les
archives de cette ville un riche matériel. Il y
rechercha les cas où la grossesse avait provoqué, pour
des causes psychiques, un danger menaçant sérieusement
sa santé d'une atteinte grave et permanente,
et impossible à détourner autrement que par l'interruption
de la grossesse. Le professeur Binder bénéficia
d'un matériel comprenant environ 4000 cas
de femmes atteintes d'affections mentales. Parmi
celles-ci se trouvaient 102 mères illégitimes. Chez
58 d'entre elles, il n'existait aucune relation entre
la grossesse et la psychose. Dans 27 cas, les conflits
causés sur l'état de gravidité accentuèrent la
psychose, sans en modifier le développement. Ces
27 cas n'auraient pas justifié l'avortement thérapeutique.
Dans les 17 autres cas de cette catégorie,
la maternité hors mariage influença et aggrava
certainement le cours de la psychose. Chez 6 d'entre
elles, l'aggravation ne fut que momentanée. Là non
plus, elles n'auraient pas pu bénéficier — si bénéfice
il y a — de l'avortement thérapeutique. Par
contre, chez les 11 autres, on constata des suites
très fâcheuses et permanentes de toutes sortes sur
l'état mental de ces personnes. Ces 11 cas représentent
quand même 1/9 de tous les cas de psychoses
examinés de cette catégorie. Le professeur Binder
en conclut que, dans ces 11 cas, l'avortement thérapeutique
aurait été justifié au point de vue légal. —
Le professeur Glauss de Zurich prit part ensuite
à cette docte discussion, et, se basant sur sa vaste
expérience, il abonda, en tous points, dans la manière
de voir du professeur Binder. Permettez-moi de
formuler une réserve au sujet des conclusions de
ce rapport concernant ces 11 cas à qui on a reconnu
les qualités nécessaires pour justifier l'intervention.
Il me paraît que ce chiffre aurait pu être singulièrement
abaissé si, au vu de l'aggravation de
l'état maladif de ces femmes, on avait recouru à
l'accouchement avant terme, soit dès la fin du
7e mois. A part cette remarque, je fus frappé, à
la lecture de ce procès-verbal, par la conscience et
la rigueur scientifique qui caractérisèrent ces échanges
de vues. Ce qui me raffermit encore dans cette conviction,
c'est le fait que les organisateurs de ce
colloque avaient fait appel à un aliéniste catholique,
le Dr Strub, qui fut prié d'exposer la doctrine
catholique; tous les participants du congrès écoutèrent
son rapport avec une grande déférence et
un vif intérêt.
Parmi les indications relatives, les maladies de
coeur sont souvent invoquées en faveur de l'intervention.
La loi de Peter qui dit «Filles cardiaques,
pas de mariage, —femmes, pas d'enfants, —mères,
pas d'allaitement» n'a plus qu'un intérêt historique.
Les accidents cardiaques au cours de la
grossesse avec dénouement fatal sont beaucoup plus
rares qu'on ne le croyait. Les progrès réalisés dans le
diagnostic, la radiographie, l'électrocardiographie
répétés permettent d'abord d'interdire le mariage,
d'autre part d'instituer une thérapeutique efficiente
et de voir si, dès le début, la grossesse sera ou non
tolérée. Il ne faut pas oublier que les accidents
gravido-cardiaques se produisent électivement après
la délivrance; il y aurait donc lieu de mettre tout
en oeuvre pour maintenir l'état du coeur jusqu'à la
fin du 7e mois; de ce fait, la gravité de la délivrance
en serait diminuée.
Tuberculose pulmonaire. Dans ce domaine, il faut
se méfier des formules absolues, disent les médecins
non catholiques, des schémas et des dogmes. Il est
peu de maladies qui furent le plus souvent l'objet
de vives discussions au sujet de l'avortement thérapeutique.
Il existe deux écoles, l'une optimiste,
l'autre pessimiste. — Sur quoi baser le pronostic
d'une tuberculose pulmonaire chez une femme
enceinte? Telle est la question qui se pose! d'où
le désaccord. Dans l'idée de combattre la dénatalité,
les optimistes disent: «Dans les cas bénins, l'interruption
n'est pas nécessaire, et la femme guérira
aussi bien en menant sa grossesse à terme. Dans
les cas graves, la mère ne survivra guère à l'enfant
ou à l'intervention précoce.» Les pessimistes ou interventionnistes
pensent ainsi: «Vu l'impossibilité
d'établir un pronostic dans chaque cas particulier,
il faut supprimer le risque que crée la grossesse,
et même en éviter le retour par la stérilisation de
la femme.» Entre ces deux formules extrêmes,
il y a celle de l'école éclectique qui distingue les
cas d'espèces. Les adhérents de cette école réservent
l'intervention thérapeutique aux cas qui présentent
un caractère évolutif et des complications ne légitimant
pas le pneumothorax artificiel, comme aussi,
dans les cas où, au début de la grossesse, la fièvre
persiste, dans la tendance aux hémoptysies, dans
l'insuffisance cardiaque notoire, dans les complications
laryngées et dans la bilatéralité des lésions.
Telles sont les directives de conduite des éclectiques.
Avouons qu'elles sont vagues et présentent
de grandes difficultés pratiques.
Je reviendrai tout à l'heure sur l'opportunité
de cette intervention dans les cas de tuberculose,
qu'elle soit pulmonaire, rénale ou autre, et les
dangers qu'elle comporte.
Il y a lieu d'examiner maintenant les indications
dites absolues de l'interruption de la grossesse. Elles
comprennent spécialement l'hydramnios aigu, la
chorée gravidique, certaines névrites gravidiques,
les hémorragies utérines, l'anémie pernicieuse et les
vomissements incoercibles. Nous reconnaissons volontiers
que ces manifestations pathologiques peuvent
créer des situations graves, voire même très graves.
Mais nous verrons qu'ici les progrès thérapeutiques
réalisés pendant ces dernières décennies sont en
voie de modifier favorablement l'absolutisme admis
jusqu'il y a peu de temps.
L'hydramnios aigu d'abord est rare avant le
6e mois. En général, il produit la rupture spontanée
de l'oeuf qui met fin à la grossesse. Si l'affection
survient avant cette date, il peut surgir des symptômes
graves, capables d'amener la mort. Il y aurait
là une indication d'intervention.
La chorée gravidique (danse de Saint-Guy) rebelle,
à marche progressive, avec complications cardiaques,
est fort rare. Elle constituerait aussi une même
indication. Mais celle-ci guérirait-elle la mère?
n'entraînerait-elle pas pour elle d'autres complications?
Le même raisonnement s'impose dans les
cas, rares aussi, de névrites gravidiques atteignant les
nerfs vitaux.
Les hémorragies utérines sont des complications
fréquentes et peuvent devenir très inquiétantes par
leur abondance et leur persistance, surtout au début
de la grossesse. Dans des cas de ce genre, les médecins
catholiques peuvent se trouver dans une situation
très pénible, car ces accidents graves constituent
pour les autres médecins une indication d'interruption.
Dans de pareilles conditions, le médecin, quelles
que soient ses convictions religieuses, a l'obligation
d'agir énergiquement, même si son intervention doit
entraîner indirectement l'interruption de la grossesse.
La thérapeutique dans ce domaine des hémorragies
est riche et variée, à commencer par les tamponnements;
elle s'est enrichie de nouvelles injections
intraveineuses et des transfusions de sang.
Pour l'anémie pernicieuse, la statistique de Sachs
révèle que le 79 % des femmes, atteintes de cette
affection, meurent. Si l'on intervient, la mortalité
serait encore de 59 %. Si faibles que soient les chances,
il y a lieu, dit-on, d'intervenir. Mais récemment,
on a signalé des cas de guérison de cette maladie
par des injections d'extrait de foie de veau. C'est là
un progrès de la thérapeutique qu'il ne faudra pas
négliger à l'avenir.
Une autre complication parfois tragique est celle
des vomissements incoercibles. Le mot d'«incoercible»
résume la gravité de la situation qui conduit
la femme à une faiblesse extrême et même à la mort.
Il ne faudrait pas non plus pousser la situation
trop au noir. D'abord, ces cas sont plutôt rares,
et une thérapeutique bien appliquée, dans des conditions
hospitalières appropriées, enregistre bien des
succès. Ainsi une statistique de la Maternité de Nancy
établissait qu'en 25 ans, sur 19.066 femmes traitées à
la clinique, seulement 11 avortements avaient été provoqués,
dont 7 pour des vomissements incoercibles.
Gageons que les méthodes de thérapeutique modernes
donneraient une statistique encore plus favorable.
Dans cette même statistique, nous voyons que, sur
les 4 autres avortements provoqués, deux furent
effectués pour anémie pernicieuse, un pour une maladie
de coeur et un autre pour insuffisance du foie.
Nous pouvons résumer les conclusions de la
majorité des médecins non catholiques de la manière
suivante: au point de vue moral et professionnel,
seules des considérations d'ordre médical doivent
inspirer le médecin. L'unique règle indiscutable sera
le péril vital immédiat de la mère qui crée l'indication
absolue. L'aggravation probable d'une maladie
préexistante, le péril vital à plus ou moins grande
échéance, qui créent l'indication relative, resteront
pour lui un cas de conscience, où pèseront son
éducation, son savoir, son expérience et ses convictions
religieuses.
Maintenant que nous avons passé en revue les
indications scientifiques de l'interruption de la
grossesse, je me permettrai d'y ajouter quelques
réflexions personnelles.
La pratique médicale démontre que des affections
offrant un caractère grave et comportant un pronostic
très sombre peuvent, contre toute attente, s'améliorer
ou guérir spontanément, même au cours d'une
grossesse. Il y a lieu certainement de tenir compte
de ce facteur dans l'interprétation des cas d'espèces.
La nature, soit le corps humain, dispose parfois de
ressources qui déroutent tous les pronostics.
D'autre part, personne ne pourra me contredire
quand j'affirme que l'opération de l'interruption de
la grossesse, car il s'agit d'une véritable opération
chirurgicale, même quand elle est effectuée par des
mains expertes, à plus forte raison quand cela n'est
pas le cas, comporte aussi des aléas, des complications
graves, voire même mortelles, malgré la bénignité
relative du pronostic. Même chez les femmes gravides
en bonne santé, l'interruption spontanée de la grossesse
peut se compliquer d'infection puerpurale, de
phlébite, d'embolie, etc. A plus forte raison, il existe
un ou des dangers, quand l'interruption est le fait
d'une intervention chirurgicale, chez les femmes
malades, dont la force de résistance est, ipso facto,
bien diminuée. L'opération elle-même peut aggraver,
du fait du choc opératoire, la maladie préexistante
et en engendrer d'autres. Par exemple, il n'est pas
rare de voir l'état des tuberculeux se compliquer,
leur tuberculose prendre tout à coup un temps de
galop et se terminer par la phtisie galopante. On
peut en dire autant des cardiaques, des anémiques
et d'autres malades qui ont peine à supporter le
choc opératoire.
Quand on oppose les indications scientifiques de
l'interruption thérapeutique de la grossesse à la doctrine
catholique, l'observateur impartial ne peut être
que frappé par la rigueur, mais surtout par la pérennité
et l'immutabilité de cette dernière, en présence
des variations successives de la science médicale.
Alors que celle-ci évolue selon les acquisitions, souvent
merveilleuses, de la thérapeutique, la doctrine
catholique, elle, reste la même, sans le moindre
flottement. Elle est aujourd'hui, au XXe siècle, la
même qu'elle fut au XIIIe siècle. On est en droit
d'affirmer qu'elle ne variera pas dans les siècles à
venir, tandis qu'on peut être certain que les indications
absolues et autres de l'avortement thérapeutique
continueront à s'atténuer, à diminuer. On doit
encore reconnaître que la morale obstétricale, telle
que l'Eglise l'enseigne, a incontestablement contribué
et contribue encore à provoquer les recherches
scientifiques adéquates, la découverte et le perfectionnement
de méthodes opératoires qui sauvent à
la fois la mère et l'enfant, leur substitution aux
méthodes brutales qui immolaient l'enfant sans
d'ailleurs toujours sauver la mère. La morale, qui
a l'air de sacrifier des vies à la rigueur de ses principes,
travaille en définitive pour la vie. (P. Lavaud.)
L'interruption de la grossesse au cours des premiers
mois, qu'elle soit thérapeutique ou autre,
entraîne parfois encore d'autres gros inconvénients.
En venant troubler le rythme mensuel et les corrélations
fonctionnelles entre l'utérus et les ovaires,
elle provoque, souvent même, la stérilité ou des
avortements répétés, de même que des complications
diverses (adhérences du placenta, placenta
praevia, hémorragies, etc.) à l'occasion des accouchements
subséquents.
Cette étude de l'avortement thérapeutique
comporterait bien d'autres développements dont
l'absence sera remarquée par quelques-uns. Je m'en
excuse, mais le temps m'en fait défaut.
Il résulte de ces considérations que l'interruption
thérapeutique de la grossesse n'existe pas
pour le médecin catholique, malgré les situations
plus que troublantes dans lesquelles il peut se trouver.
D'autre part, celui-ci a l'obligation — obligation
plus impérieuse encore pour lui que pour
ses confrères — de connaître à fond toutes les
ressources modernes de la thérapeutique et surtout
d'en faire bénéficier largement ses patientes, même
si leur application doit provoquer un avortement
indirect. J'irai plus loin et, d'accord avec un de
mes honorables collègues, M. le Dr Dettling, professeur
de médecine légale à l'Université de Berne,
j'engage les médecins catholiques et les autres à
user de la plus grande franchise vis-à-vis de leurs
patientes. Il arrive que des médecins, pour se débarrasser
d'une cliente importune, lui prescrivent, ut
aliquid fieri videatur (pour la forme), une médication
anodine, par exemple une préparation ferrugineuse,
de la mie de pain en pilules, ou de l'eau
de fontaine édulcorée. Cette pratique est absolument
défendue vis-à-vis d'une femme sollicitant un avortement,
car en agissant de la sorte, le médecin
trompe sa confiance en lui laissant croire qu'il est
disposé à lui faciliter l'avortement et il la raffermit
dans son intention de mettre fin à sa grossesse.
Le médecin engage ainsi sa conscience et sa responsabilité
pour toutes les suites possibles de cette
attitude. Il s'expose aussi à être mêlé plus tard à
un procès pénal pour avortement criminel.
J'estime qu'il n'était pas inutile de soulever
cette question dans une université catholique. Il
importe, en effet, que les étudiants et les médecins
de notre confession aient une notion précise de leurs
obligations et de leur responsabilité. Formés dans
des établissements d'enseignement supérieur, où, de
très bonne foi, on enseigne et l'on effectue l'interruption
thérapeutique de la grossesse, ils se croient
autorisés, en arrivant dans la pratique médicale, de
penser et d'agir comme le leur enseignèrent les représentants
les plus éminents et les plus autorisés de
la science obstétricale.
Avant de terminer: Cette situation délicate
dans laquelle se trouve placé parfois le médecin
catholique n'a pas manqué de préoccuper de nombreuses
personnalités, aussi bien dans les milieux
universitaires catholiques que dans le corps médical
et les autorités religieuses de notre pays. L'on comprend
mieux ainsi pourquoi, à maintes reprises, les
dirigeants de la Suisse catholique ont non seulement
formulé le voeu, mais même réclamé impérieusement
le parachèvement de notre Université par la création
de l'enseignement clinique. Un grand pas fut
fait dans cette voie par l'institution des chaires
d'anatomie, de physiologie, d'histologie et d'embryologie
qui permettent aux étudiants de se présenter
chez nous aux épreuves du second examen propédeutique.
Mais l'oeuvre des fondateurs de notre
Alma Mater sera complète, lorsque ces mêmes
étudiants pourront se livrer, à Fribourg, aux études
cliniques et y subir l'examen professionnel.
Je n'ignore pas les difficultés qui entravent la
réalisation de ce beau projet. Elles ne seront pourtant
pas insurmontables. Parmi les nombreux arguments
que l'on invoque contre la fondation de la
faculté de médecine, je ne veux, faute de temps,
en retenir qu'un seul: il se rattache à la question
que j'ai soumise aujourd'hui à votre attention. On
répète d'abord un peu partout que cette fondation
est vraiment inutile, qu'il existe déjà trop de facultés
de médecine en Suisse, qu'elle ne pourrait qu'augmenter
et aggraver la pléthore médicale, et surtout
on ne cesse d'affirmer qu'il n'existe pas de science
médicale catholique proprement dite, et que celle
qui serait enseignée à l'Université de Fribourg serait
la même que celle que professent les hautes écoles
actuelles de Suisse.
Permettez-moi de dire que je ne partage aucunement
cette manière de voir. Volontiers je reconnais
que l'enseignement clinique, que le plus grand
nombre de recherches scientifiques, que les travaux
de laboratoire s'effectuent dans les mêmes cadres
et sur les mêmes plans, quelles que soient les convictions
religieuses de leurs auteurs. Mais où nous
pourrons constater des différences, parfois capitales,
c'est dans l'application pratique de ces connaissances
scientifiques. Dans bien des cas, par exemple
dans les maternités, dans les salles de chirurgie,
comme aussi auprès des malades en danger de
mort, ou bien à l'adresse des familles de ces
patients, la conduite et l'attitude du médecin
catholique ne seront pas les mêmes que celles de
confrères étrangers à toute conception religieuse,
étrangers aussi parfois à toute idée de responsabilité
dans ce domaine spécial. La pratique
médicale est un art. C'est à juste titre que l'on
parle d'art médical. Or, l'artiste, quel qu'il soit,
s'inspire dans ses travaux, non seulement des
connaissances acquises, mais aussi et surtout de son
idéologie. Voyons ce qui se passe chez les poètes,
les hommes de lettres, les peintres, les sculpteurs:
leurs oeuvres reflètent leur état d'âme, leurs goûts,
leurs aspirations. Si les unes approchent parfois du
sublime, surtout dans le domaine religieux, d'autres
ne sortent pas du matérialisme. Les oeuvres du
médecin sont assimilables à celles des autres artistes,
et bien des médecins catholiques ne pourront pas
apporter, dans l'exercice de leur mission, de leur
sacerdoce, les qualités requises et indispensables, s'ils
n'y furent formés pendant leurs études universitaires
par une préparation adéquate, par des contacts
fréquents avec les maîtres de la pensée chrétienne,
dans un milieu catholique, avec les représentants
des autres facultés d'une université catholique et
par des amitiés nouées avec des camarades professant
les mêmes sentiments religieux.
Je n'ai fait qu'aborder l'importante question
de la nécessité de préparer, avec une activité accrue,
la fondation à Fribourg des cliniques universitaires.
Ce serait pour moi une grande satisfaction de pouvoir
y apporter mon modeste concours pendant cette
année académique.
Je termine en exprimant le voeu qu'en apportant
dans la discussion, de part et d'autre, une bonne volonté,
comme c'est le cas chez nous actuellement, et en
application des progrès thérapeutiques qui iront toujours
en augmentant, les indications médicales de l'interruption
thérapeutique de la grossesse deviennent
moins nombreuses et surtout moins impérieuses, et
que, peu à peu, la conduite des médecins continuera à
se rapprocher, dans ce domaine, d'une doctrine qui sera
la même que celle enseignée par l'Eglise catholique.