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INSTALLATION DE M. LE PROFESSEUR F. COSANDEY EN QUALITÉ DE RECTEUR POUR LA PÉRIODE DE 1948 A 1950

LIBRAIRIE DE L'UNIVERSITÉ, LAUSANNE
F. ROUGE & Cie S. A. 1949

DISCOURS DE M. LE

PROFESSEUR HENRI MEYLAN
RECTEUR SORTANT DE CHARGE
Monsieur le Conseiller d'Etat,

C'est à vous en premier lieu qu'il convient que je m'adresse en cette cérémonie d'installation. Vous venez, selon l'usage — et c'est un usage qui nous paraît heureux — de retracer la vie de l'Université durant ces deux dernières années.

A mon tour, avant de présenter quelques considérations sur notre Haute Ecole, je tiens à vous exprimer les sentiments de reconnaissance qui sont les nôtres, à l'égard de votre prédécesseur et de vous-même. Le temps que M. le conseiller d'Etat Jaquet a passé à la tête du Département de l'instruction publique et des cultes n'a pas été long en regard des quinze années de son prédécesseur, feu M. le conseiller d'Etat Paul Perret, décédé il y a dix-huit mois et dont l'Université conserve fidèlement le souvenir. Mais ce laps de temps a suffi pour nous permettre d'apprécier les qualités de bon sens et de courtoisie de M. Jaquet, son honnêteté foncière et l'intérêt qu'il portait à notre Université.

Vous étiez, Monsieur le conseiller d'Etat, professeur de machines hydrauliques à l'Ecole polytechnique, lorsque vous fûtes désigné, au début de l'année 1948, pour remplacer M. Rodolphe Rubattel, élu conseiller fédéral. 11 est à peine besoin de rappeler cela, mais ce que je tiens à dire, c'est la fierté légitime que nous

avons tous ressenti de cet honneur mérité fait à l'un des nôtres. Nous n'en fûmes pas surpris, car nous savions l'autorité dont vous jouissiez comme député au Grand Conseil, aussi bien que comme professeur à l'Ecole. Ce sont sans doute vos étudiants, dont beaucoup n'ont pas encore le droit de vote, qui ont eu le plus sujet de regretter ce changement, qui les privait d'un de leurs meilleurs maîtres. Vous leur avez donné du reste, Monsieur le conseiller, une preuve de l'intérêt que vous continuez de leur porter, en présidant vous-même aux examens, lors de la dernière session.

Quant aux professeurs de l'Université, ils se sont consolés sans trop de peine de perdre un collègue très apprécié, lorsqu'ils ont appris que le nouveau conseiller d'Etat allait prendre le Département de l'instruction publique et se vouer ainsi à une tâche pour laquelle il était particulièrement désigné. Nous savions en effet que les qualités dont vous avez fait preuve déjà au cours de votre rapide et brillante carrière, cette intelligence aiguë, cette puissance de travail, cette force de volonté pourraient se manifester généreusement dans le domaine de l'instruction publique, à tous les degrés. J'ai eu l'occasion moi-même, durant ces quelques mois de rectorat finissant, d'apprécier l'intérêt si actif que vous portez à notre Université, dont vous connaissez les usages et l'esprit, et dont vous savez aussi les besoins.

Ce n'est pas la première fois, sans doute, que l'un des nôtres est appelé à quitter son enseignement pour entrer au Conseil d'Etat; le souvenir d'Ernest Chuard est encore vivant parmi nous, et nous avons le plaisir de voir ici M. Maurice Paschoud, depuis que Berne nous l'a rendu. S'il m'est permis de faire un voeu aujourd'hui, je souhaiterais que la carrière politique de M. le conseiller d'Etat Oguey soit aussi longue que celle d'Ernest Chuard, mais qu'il nous reste à la Cité plus longtemps que M. Paschoud!

Mesdames et Messieurs,

Nous sommes toujours heureux de vous voir fréquenter nos séances publiques dans cette salle d'apparat qu'est l'Aula, les grands jours tel que celui-ci, ou dans le cadre plus intime du Sénat, sous le regard bienveillant des vieux maîtres de notre Ecole.

Il est juste que vous soyez remerciés de votre fidélité et de l'intérêt que vous portez à ces manifestations de la vie universitaire. Elles furent nombreuses certes, au cours de ces deux ans, encore que nous ayons cherché à ne pas les multiplier. Je rappelle simplement la commémoration des quatre cents ans des Leges Scholae, il y a une année, coïncidant avec l'installation des nouveaux professeurs ordinaires, la réception de nos collègues de l'Université de Caen avec l'inauguration du portrait de Léon Walras, ce printemps, enfin la belle célébration des soixante-quinze ans de notre Ecole de pharmacie et les doctorats honoris causa conférés à cette occasion.

Mais on aurait tort de penser que ces dates marquantes, et quelques autres encore où l'Université se trouvait tout naturellement associée, comme le centenaire d'Helvetia, sans parler des congrès, ces grandes assises qui se sont succédé dans ces lieux, on aurait tort, dis-je, de penser que ce soit là l'essentiel de notre vie.

L'essentiel, c'est le travail régulier et sans apparat du professeur et de ses étudiants, l'enseignement ex cathedra dont on ne saurait se passer, les entretiens vivants autour d'une table de séminaire où chacun a son texte sous les yeux, les longues après-midi au laboratoire, où l'on apprend à manier une vaisselle fragile sur la flamme du gaz. Mais pour une heure de cours, pour une démonstration de laboratoire, que de temps et de peines, dont le public peut difficilement se faire une idée! Que de minutieuses recherches, que de lectures, d'articles de revue à feuilleter, de notes à revoir, pour rédiger une page qui se tienne! Combien de centaines d'observations, de coupes microscopiques à accumuler

pour pouvoir vérifier une hypothèse de travail ou infirmer une théorie en vogue, afin de parvenir à une meilleure explication!

Le temps est révolu, je crois avoir le droit de le dire, s'il a jamais existé, où le professeur d'université, une fois son cours rédigé, pouvait se reposer ou s'endormir dessus, au risque d'endormir ses auditeurs pour de bon. Le prestige du titre de professeur reste grand dans notre pays, fort heureusement, mais cela est dû, pour une bonne part, au travail acharné, à la conception très haute que presque tous se font de leur tâche. Sait-on bien ce que cela coûte de temps, de concentration d'esprit et de force de volonté, au milieu de l'existence trépidante de notre siècle?

Dans un article récent, le professeur Robert Matthey distinguait deux types d'universités dans notre pays. D'une part, les grandes universités, de type industriel, où le professeur de sciences dispose d'un équipement tout moderne, d'assistants et d'auxiliaires qui lui fournissent, en temps voulu, tout ce dont il a besoin pour ses recherches et ses travaux. D'autre part, les petites universités, de type artisanal, où le professeur est obligé de faire seul, ou avec un chef de travaux, toutes les besognes, longues et délicates, de préparation du matériel d'expérimentation. Que d'ingéniosité et d'imagination ne faut-il pas alors pour remonter ce gros handicap dans la course à la découverte qu'est devenue trop souvent la science contemporaine!

Malgré tout, les petites universités avaient jusqu'à ces dernières années un avantage réel, quoique trop rarement aperçu, sur les grands centres où affluent les courants internationaux. Un avantage, celui de n'être pas submergé par le nombre et de pouvoir maintenir un contact personnel entre le maître et ses étudiants. Mais voici que cela même est menacé. Le nombre des étudiants s'est accru dans des proportions incroyables ces dernières années et rien ne permet de prévoir que les chiffres actuels doivent diminer au cours des prochaines années. On le constate dans tous les pays du monde, et toutes les universités aujourd'hui doivent faire face à des problèmes de masse dont on a peine à se faire une idée. C'est aussi le cas à Lausanne.

L'un de mes prédécesseurs constatait en 1938 qu'avec huit cent soixante-quatorze étudiants, l'Université était bien assez nombreuse et ne devait pas en souhaiter davantage; or il se trouve que dix ans après, le nombre des étudiants réguliers atteint les mille sept cents. 11 a donc presque doublé, et cependant la proportion des Suisses reste ce qu'elle était depuis la fin de la première guerre mondiale, les deux tiers environ.

Mais le nombre des professeurs s'est à peine accru en dix ans et les bâtiments universitaires sont restés les mêmes, sauf à l'Ecole polytechnique qui a pu être installée dans de bonnes conditions à Beauregard en 1943, où elle est déjà à l'étroit.

Ces problèmes sont à la fois difficiles et urgents. Aussi je tiens à remercier le Conseil d'Etat qui en a reconnu l'importance et qui nous a chargé de lui présenter un plan d'ensemble, sorte de gabarit, en vue des années qui viennent. La Commission universitaire a entrepris ce travail et nous espérons le mener à bien avant la fin de cette année.

Mon cher collègue,

C'est toujours avec un plaisir assez mal dissimulé que le recteur sortant passe à son successeur la charge qu'il a portée durant deux ans, dans cet acte solennel d'installation. Car si la tâche est belle, elle est lourde aussi. Je le fais d'autant plus volontiers que vous possédez, je le sais, les qualités de l'homme d'action qui seront nécessaires demain à la conduite des affaires et que vous pouvez compter sur l'appui de tous ceux qui collaborent à la vie de l'Université, et tout d'abord de la Commission universitaire. Je sais, pour l'avoir éprouvé moi-même au cours de ces deux années, qui ont comporté, à côté de l'administration et du courant, quelques grosses affaires, je sais jusqu'où peut aller le dévouement et le labeur de M. le chancelier, de nos secrétaires et de notre huissier.

Je n'aurai pas, Mesdames et Messieurs, la présomption de vous présenter M. Florian Cosandey; vous le connaissez fort bien, car il est certainement un des professeurs les plus connus en dehors

de sa Faculté, et à juste titre. Mais je voudrais souligner un ou deux traits de sa carrière qui méritent de l'être en ce jour:

Il faut noter en premier lieu, que M. Cosandey est, par sa formation première, un ingénieur, qui a conquis à notre Ecole de Lausanne son diplôme d'ingénieur, au terme des huit semestres réglementaires. Mais il y avait en lui l'étoffe d'un savant et d'un pédagogue plus encore que d'un constructeur; et, pour obéir à une vocation impérieuse, M. Cosandey eut le courage de revenir à l'Université, de s'inscrire à la Faculté des sciences, où il eut bientôt conquis sa licence. Et c'est là, qu'après avoir soutenu sa thèse sur les Algues microscopiques, il est revenu en 1936, pour occuper la chaire de botanique génétique et de cytologie végétale de la Faculté des sciences. Bel exemple de persévérance et de volonté donné par l'étudiant d'il y a trente ans aux étudiants d'aujourd'hui!

M. Cosandey appartient au terroir jurassien, si j'ose parler de terroir devant les spécialistes. Il est né à Sainte-Croix, où son père était instituteur, et c'est à Sainte-Croix qu'il est revenu à l'âge de vingt-cinq ans pour enseigner les sciences naturelles au Collège. Il est vrai que, depuis quelques années, les Alpes l'ont en quelque sorte revendiqué, en l'attirant au jardin botanique de Pont de Nant, créé par son prédécesseur, feu le professeur Ernest Wilczek. Mais il n'en reste pas moins attaché à sa ville natale, et cette petite métropole de Sainte-Croix peut aujourd'hui s'enorgueillir d'avoir donné un recteur à notre Université.

Enfin, je voudrais souligner un trait de l'oeuvre scientifique de M. le professeur Cosandey. On n'a pas tout dit, en effet, quand on a rappelé la part considérable qu'il a prise dans l'extension de nos jardins botaniques, dans la création du magnifique ensemble de Montriond. Ce qu'on a trop laissé dans l'ombre, me semble-t-il. c'est l'intérêt passionné qu'il porte aux problèmes essentiels de la physiologie des plantes, qui amènent le chercheur à pousser plus loin et à se pencher sur les problèmes vitaux de la biologie.

Les découvertes capitales de ces dernières années sur la structure et l'action des vitamines, qui éclairent à leur tour celles des ferments et des virus, ont, en effet, retenu l'attention des naturalistes

aussi bien que celle des chimistes et des médecins. La cellule vivante, celle du végétal comme celle de l'animal, captive le savant par la complexité de ses phénomènes et par la simplicité déconcertante de ses moyens; la plante, liée à son terroir, autant que l'animal qui se déplace, nous mettent en présence de ce pullulement prodigieux qui émerveille l'esprit humain. Pour éclairer cette réalité grouillante des êtres vivants, ce n'est pas trop de la collaboration de savants de formation différente, qui observent les choses, chacun de son point de vue, le chimiste habitué aux synthèses de laboratoire, le botaniste et le zoologiste, formés aux recherches de la génétique, le géologue même, qui fait l'histoire du globe, et qui parvient à en déterminer l'âge relatif, grâce aux découvertes toutes nouvelles de la désintégration atomique. On le voit, c'est un véritable «symposium» de savants, un «Banquet» au sens où Platon l'entendait, qui peut favoriser et la discussion des problèmes et le développement ultérieur de la biologie.

Or M. le professeur Cosandey s'est avisé, non seulement que ces problèmes communs existent, et qu'il serait bon de se rencontrer pour en parler, mais il a su y intéresser plusieurs de ses collègues, en particulier son ami, le professeur Schopfer, le nouveau recteur de l'Université de Berne, et constituer ainsi un groupe de travail, où même le théologien a son mot à dire. Et nous espérons que les charges du rectorat n'empêcheront pas nos collègues de publier, à l'adresse du public cultivé, un recueil d'études sur les problèmes de la vie.

Et comment ne pas relever ici le fait que, sans s'être concertées, l'Université de Berne et celle de Lausanne ont confié la charge du rectorat aux deux titulaires de la chaire de botanique et physiologie végétale?

On permettra bien à un historien, qui ne peut travailler que sur l'herbier desséché des documents, de voir un heureux présage dans cette confiance faite aux connaisseurs des plantes vivantes et de leur terroir.

Messieurs les étudiants,

C'est vers vous que je me tourne, à la fin de ce discours; je ne veux pas ici vous donner des conseils — vous n'en avez cure — mais vous dire la joie que j'ai eue, au cours de ces deux ans, à vous rencontrer en mainte occasion. J'ai tenu à vous associer autant que possible à la vie de l'Université. Je n'ai jamais eu à me repentir de vous avoir fait confiance, et je garde un excellent souvenir de mes relations avec les présidents de l'A. G. E., MM. Jean Huber et Claude Dolivo.

Le recteur possède, à côté des pouvoirs disciplinaires qui sont énoncés dans le règlement général, une autorité paternelle, si j'ose dire, dont il use dans certains cas, lorsqu'il le juge nécessaire. Ces cas ont été, fort heureusement, en très petit nombre, et je tiens à vous féliciter de votre tenue, de votre entrain au travail et de votre bonne humeur. Plus l'Université devient nombreuse, comme c'est le cas partout, plus il est nécessaire d'avoir des cadres bien organisés à l'A. G. E., prêts à collaborer avec les sociétés portant couleurs; plus il est nécessaire aussi d'avoir une vie de Faculté ou d'Ecole, qui permette un contact aisé entre professeurs et étudiants, comme aussi entre étudiants des semestres voisins. Tout ce qui peut renforcer la cohésion de ces cadres naturels est à imaginer et à réaliser. Je dis à dessein «imaginer», car nous manquons trop souvent d'imagination dans ce domaine, et l'accueil indifférent ou réfrigérant que nous réservons presque toujours à des initiatives d'où qu'elles viennent, est trop souvent la preuve d'une indigence d'esprit, et non de cet esprit critique dont nous croyons posséder l'apanage. Que l'on puisse être à la fois un bon étudiant qui aime son travail et qui passe ses examens, et un boute-en-train dans sa société, ou un concurrent redoutable sur les terrains de jeux et dans les champs de neige, c'est ce que plusieurs d'entre vos camarades ont brillamment démontré ces dernières années. Je souhaite vivement que cet esprit de travail et de bonne amitié se maintienne et se renouvelle, dans les vieux

auditoires de la Cité, comme dans les laboratoires tout modernes des cliniciens ou des ingénieurs.

Et, puisque je parle des ingénieurs, permettez-moi de citer, en terminant, ces paroles du général Dufour, qui les concernent tout particulièrement, mais dont on peut faire son profit dans toutes les Facultés. Elles sont tirées d'un ouvrage très technique, Le mémorial pour les travaux de guerre, publié en 1820.

«Il faut que l'officier en campagne fasse flèche de tout bois, qu'il sache mettre à profit tout ce qu'il trouve sous sa main et tirer tout le parti possible des ouvriers qu'il dirige et des soldats qui lui sont confiés, sans cependant trop exiger d'eux. Il évitera de leur donner des ordres qui se contrarient; il saura allier la douceur avec la sévérité; et il mettra dans les affaires une certaine rondeur, ennemie de l'esprit minutieux qui cherche toujours une perfection intempestive, perd de vue l'ensemble pour s'attacher à des riens, consomme du temps et fatigue les agents subalternes. Mais, par-dessus tout, l'officier du génie doit savoir se concilier l'attachement de ses subordonnés; il faut qu'on le craigne et qu'on l'aime; que son approbation fasse redoubler de zèle, et que ses réprimandes ne restent pas sans effet; qu'il soit toujours sur ses travaux; qu'il sache endurer le froid et les ardeurs du soleil; qu'il ne craigne pas de se mouiller ou de se salir; qu'il soit toujours le premier arrivé et le dernier à partir; qu'il s'assure de tout par lui-même, car on cherchera souvent à le tromper; enfin, qu'il ne dédaigne pas de manier quelquefois les instruments pour enseigner aux ouvriers le meilleur usage à en faire.»